"Les bibliothèques scolaires doivent devenir des agitateurs de pédagogie" (Cl Bisson-Vaivre à l'IFLA)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le samedi 30 août 2014.
Jean-Louis Durpaire (Inspecteur général de l’Éducation nationale, établissements et vie scolaire) retient d'abord du congrès de l'IFLA "la Déclaration de Lyon, qui semble recueillir l’adhésion de tous, et qui positionne bien l’avenir de la documentation scolaire dans un environnement très large". Il ajoute : "ce congrès me conforte car il y a un partage international de valeurs et de concepts. Le numérique est un élément de l’éducation, et seules la documentation et l’éducation peuvent réagir à des entreprises qui ne sont pas forcément démocratiques. Or la robotisation n’est pas suffisante, la relation humaine est première."
Voici d'autres échos du 80ème congrès mondial de l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions) qui s'est tenu à Lyon du 17 au 21 août, et du séminaire national organisé par l’Éducation nationale et CANOPE à cette occasion (sur l'IFLA, lire aussi ToutEduc ici et ici)
RESEAUX SOCIAUX. Pour Michel Reverchon-Billot (IGEN, Groupe EVS), il faut, avec le numérique "repenser le paradigme de l’éducation" et non pas "partir du cadre ancien, avec des outils autour (...) Le numérique offre l'opportunité d’intégrer dans l’École des pratiques que les élèves ont par ailleurs dans leurs univers sociaux. Je suis très surpris qu’on ait un numérique scolaire qui est un peu déconnecté du numérique social que les élèves pratiquent tous les jours. L’enjeu est de savoir comment on utilise les compétences sociales des élèves en termes de collaboration dans des pratiques scolaires, et comment des pratiques que l’on peut développer à l’École, comme l’internet responsable ou la citoyenneté numérique, rejaillissent sur les pratiques sociales de l’élève quand il est seul. On ne peut jouer sur ce transfert que s’il y a un va-et-vient constant entre des pratiques qu’ont les élèves dans leur vie quotidienne et celles de l’École. Je ne pense pas qu’il y ait des pratiques légitimes en dehors de l’École qui deviennent illégitimes lorsqu’elles entrent dans l’École."
REFONDATION. "Les évolutions des bibliothèques scolaires à l’heure du numérique sont inscrites dans la loi de refondation, et la volonté exprimée en décembre 2012 par le ministre de l’Éducation nationale de faire entrer l’École dans l’ère du numérique", estime Françoise Moulin-Civil (rectrice de l’académie de Lyon).
INFOBESITE. Pour Julien Roche (conservateur général des bibliothèques de Lille-I) "l’information à l’ère du numérique est passée d’une information concentrée à une information diffuse. Elle est partout, passée de rare à surabondante. Elle est passée de monopolistique à co-construite. Elle est passée d’une logique de diffusion lente et contrôlée à une logique de diffusion immédiate, et d’une inscription dans la très longue durée à une logique volatile. L’électronique n’est plus gérée dans une logique de collections mais dans une logique de flux. La principale problématique aujourd’hui est celle de l’étudiant augmenté et bientôt de l’élève augmenté, parce qu’il est connecté."
INCLUSION. Bruno Racine (président de la BNF), retient de ce congrès que les bibliothèques sont un "des vecteurs de l’inclusion dans la société. C’est quelque chose qui peut réunir les bibliothécaires de tous les pays quel que soit leur environnement national." La directrice de la BPI (Paris), Christine Carrier ajoute : "Les bibliothèques jouent un rôle social beaucoup plus important qu’on ne le croit. A la BPI, un service s’occupe d’accueillir des migrants qui viennent d’arriver en France : une entrée par la langue avec des associations partenaires." Même schéma à la bibliothèque municipale de Grenoble avec un gros travail sur l’alphabétisation et les albums jeunesse. "Les bibliothèques vont avoir des missions encore plus étendues qu’aujourd’hui ; lieu de mixité sociale, d’accès à la connaissance, de hiérarchisation du savoir, de conseil, ce qui suppose de développer des compétences techniques, pratiques, culturelles…" Et à Lyon, Gilles Eboli précise : "La première action à mener c’est la proximité. Par exemple dans le quartier de la Duchère, à Lyon, on a créé une bibliothèque : 75% des usagers appartiennent aux catégories professionnelles les moins favorisées. C’est la bibliothèque qui a les CSP les plus faibles et la moyenne d’âge la plus jeune du réseau. La proximité, ça marche ! I faut aussi casser les codes qui rejettent les jeunes, et être plus en phase avec leurs attentes, leurs pratiques. Par exemple, on a varié les postures possibles d’assise au sein de la bibliothèque."
DEMATERIALISATION. "L’espace documentaires est en train de perdre ses murs, des flux irriguent l’établissement scolaire, son environnement, sa famille." (Claude Bisson-Vaivre, IGEN EVS)
"La vision d’OCLC (Online Computer Library Center), c’est de numériser et de connecter toutes les bibliothèques du Monde par le cloud. Que la connaissance soit connectée entre tous les pays. Les lieux peuvent changer mais le but c’est que l’usager reçoive cette information n’importe où, n’importe quand, qu’il retrouve ce qu’il veut là où il veut." (Ana Fernandez, OCLC).
CDI - CCC. "La notion de lieu physique n'est pas inintéressante, la création des CDI entre 1960 et 1974 s’est faite avec l’idée d’un 'autre lieu', d’un ' tiers lieu' dans lequel il peut se vivre autre chose. Heureusement qu’il y a ça. Si on supprimait les centres de documentation il faudrait faire en sorte que les établissements scolaires…. soient des centres de documentation." (Bruno Devauchelle, professeur associé à l'Université de Poitiers).
"Le métier de documentaliste a déjà beaucoup évolué. Je m’entends dire, lorsque j’étais professeur documentaliste, que je ne voulais pas d’élèves qui viennent faire leurs devoirs au CDI.. c’était le grand combat ! Maintenant, avec le numérique, les ENT, les appareils mobiles, il paraît difficile de séparer les deux et je me rallie au projet de CCC (centres de connaissances et de culture) qui rassemblent la vie scolaire, la documentation et qui réfléchirait à comment on apprend en dehors du temps de classe. Quand on dit que le professeur documentaliste est au centre de l’établissement, vraiment je le pense !" (Dominique Provot (chargée de mission e-éducation à l’Agence départementale du numérique des Pyrénées-Atlantiques)
PROFESSEURS- DOCUMENTALISTES. "J’ai apprécié l’intervention de la princesse Laurentien des Pays-Bas remarquant qu’on n’était pas assez fiers de notre métier, et j’ai repris conscience de la beauté du métier." (Anne Francou, professeur documentaliste au Canopé Lyon)
"Il faut orienter son travail vers les usagers : il y a beaucoup d’élèves 'dys' et notre rôle est de les accompagner, pas seulement pour la mise à disposition d’une documentation, mais pour des parcours individualisés, de l’accompagnement méthodologique.. On a un rôle d’accompagnant, de figure référente pour les jeunes… (Cerise Chevalier, professeur documentaliste au Lycée professionnel agricole public La Martellière, Voiron, Isère).
"Il faut pluraliser les méthodes d’enseignement et d’apprentissage pour répondre à la diversité des élèves. Le professeur documentaliste qui était déjà dans une pédagogie relativement différenciée est le mieux placé dans ces logiques. Le nouveau professeur documentaliste est central dans la politique pédagogique et éducative de l’établissement. (Annie Ballarin, IA-IPR EVS).
"Trop longtemps instrumentalisées, les bibliothèques scolaires doivent devenir des agitateurs de pédagogie." (Claude Bisson-Vaivre)
FRANCOPHONIE "La plate-forme canadienne érudit promeut la recherche en français en Amérique du nord, explique Joannie Lavoie, l’une de ses directrices. Elle va vers un modèle d’accès libre et un financement des universités permettant d’assurer indépendance et qualité éditoriales. Mais, et c'est paradoxal, il y a trop peu de coopération entre recherches francophones et françaises; le portugais est devenu la deuxième langue de recherche au Monde avec une plate-forme d’initiative transnationale en libre accès créée au Brésil !"
LE CAP ... DE L’APPRENTISSAGE TOUT AU LONG DE LA VIE . "Les bibliothèques doivent relier les personnes de tous âges, développer l’esprit de curiosité pour l’apprentissage tout au long de la vie et le respect pour les croyances et les points de vue diversifiés…" estime Rejoice Mabudafhasi, députée ministre sud-africaine des Arts et de la culture qui annonce que le 81ème congrès de l’IFLA se déroulera du 15 au 21 août 2015 au Cap, avec pour thème : "Dynamic Libraries: Access, Development and Transformation"
Propos recueillis à l'IFLA par C. Baudoin pour ToutEduc