Ecole, collectivités, projets éducatifs de territoires, numérique... Un malaise (Université d'été de PRISME)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 02 juillet 2014.
Les collectivités se sont impliquées dans les PRE, les programmes de réussite éducative, et doivent s'investir dans les PEDT, projets éducatifs de territoire, après avoir monté des PEL, projets éducatifs locaux... Jean Roucou évoque leur "malaise" lorsqu'il lance, hier 1er juillet, l'université d'été de PRISME et de la fédération des PEP dont le président, Jean-Pierre Villain, évoque pour sa part une "crise de la pensée politique". Les intervenants ne partagent pas tous les mêmes inquiétudes, mais ils font tous le constat que la place de l'école et de l'éducation est en train de changer radicalement sans que les institutions ni les acteurs aient toujours les moyens, ou l'envie de penser ces changements. André Sirota, président des CEMEA et thérapeute, insiste d'ailleurs sur la nécessité pour les enseignants d'avoir une formation aux ressorts psychologiques qui travaillent les groupes, alors qu'on leur demande de travailler collectivement.
"A quelles conditions la construction d'un PEDT peut-elle être pertinente ?" demande Sébastien Bouteix (POLOC, observatoire des politiques éducatives locales) qui souligne que les débats sont souvent "tellement techniques que les gens n'y comprennent rien", et que leur parole est "confisquée". L'implication de l'Education nationale est très variable, le DASEN (directeur départemental) peut faire preuve de beaucoup de volontarisme sans que les inspecteurs de circonscription suivent... Et pour l'instant, là où des PEDT ont été mis en place avec la réforme des rythmes, les acteurs en sont encore à vérifier les horaires et les heures faites ... Les débats sur la qualité des activités ont été remis à plus tard. Jacques Guyard, ancien député-maire d'Evry et ancien secrétaire d'Etat à l'enseignement technique, note que le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités n'avance pas, que l'insertion des enseignants dans l'environnement social de leurs écoles régresse depuis que les directeurs n'occupent plus de logement de fonction.
L'école n'est plus au centre
Mais, plus positivement, il relève que "quand on parle d'un vrai projet d'établissement", et il insiste sur "vrai", "on parle aussi d'un projet de quartier", car les deux vont ensemble. Et il note que la loi de refondation, en prévoyant que l'école est "inclusive", introduit une nouveauté. Jusqu'à présent, elle était inclusive au sens de l'inclusion des individus dans la Nation, ou dans la République, mais elle n'avait jamais eu pour finalité l'inclusion sociale. Didier Jacquemain (délégué général des Francas) estime d'ailleurs qu'on ne devrait plus parler "d'associations complémentaires de l'école publique", ni d'activités "périscolaires", puisque "l'Ecole n'est plus au centre".
Mais Marie Richard (vice-présidente éducation du CG de Seine-et-Marne) est plus pessimiste, "toutes les collectivités ne veulent pas jouer un rôle éducatif" alors que la loi leur confie un rôle dans la lutte contre les inégalités. Bernard Toulemonde (ancien recteur, inspecteur général honoraire) n'en constate pas moins "une pénétration croissante des collectivités au sein des établissements scolaires" ; la clause de compétence générale leur permet d'ailleurs d'aller au-delà des missions d'accueil, d'entretien, de restauration, et de s'intéresser aux résultats des élèves lorsqu'ils financent des activités pédagogiques ou des moyens pour l'enseignement des langues. Il rappelle que Lionel Jospin comme Jean-Pierre Raffarin ont tenté de créer des "agences régionales" pour l'éducation, réunissant recteur, président de région, et représentants des "forces vives".
Des savoirs sans connaissance
Mais "l'Education nationale n'en a pas voulu". Yannick Bodin, ancien sénateur fait d'ailleurs un constat assez similaire s'agissant des usages de l'informatique dans les établissements de Seine-et-Marne. La majorité des enseignants est encore "frileuse" et "on en est au stade de la réquisition des bonnes volontés". Anna Angeli, élue au Pré Saint-Gervais, estime de même que les enseignants partagent "très peu" leurs ressources, comme le permet le numérique. Et pourtant le numérique a suscité "une telle attente", "ça allait résoudre tous les problèmes scolaires", rappelle Alain Bollon. Expert éducation auprès de l'UNESCO, il évoque les constats que font les instances internationales, en attendant de disposer d'évaluations scientifiques probantes des effets sur les élèves de l'informatique. "Ils apprennent autrement", "ailleurs qu'à l'école", "sans maître", "à leur rythme", "sans peur et sans risque". Mais avec quelle "distance critique" ? "Quel partages affectifs avec le groupe ?", "Quelle validation ?" Ils acquièrent des "savoirs multiples", mais comment passer de ces savoirs à une authentique connaissance ? Dans les Andes, des tablettes ont été distribuées aux enfants. Ils ont multiplié leurs savoirs par 4, leur connaissance a été divisée par deux. Ils demandent d'ailleurs des "intercesseurs", des adultes référents qui les préservent du caractère magique de ces matériels et leur permettent de s'approprier réellement ces savoirs qui leur sont transmis avec la machine. Et l'expert de s'interroger. "La forme scolaire peut disparaître" et la prédiction d'Ivan Illitch, avec qui il a d'ailleurs travaillé, se réaliser. Est-ce un bien ? Il pointe le risque d'une école "low cost", où des tablettes très bon marché, distribuées par les américains ou les Britanniques au Nigéria par exemple, permettent l'acquisition d'un savoir minimal. Et il ajoute : "notre génération est peut-être la dernière à avoir la prétention d'éduquer la suivante".
l