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Socle commun : "Il y a deux conceptions de la scolarité commune entre lesquelles il faudra choisir", estime le SE-UNSA (interview).

Paru dans Scolaire le mardi 17 juin 2014.

Sans citer expressément le SE, le syndicat UNSA des enseignants, Alain Boissinot met en cause dans l'interview qu'il a donnée ce lundi à ToutEduc "le monde médiatique et syndical" comme source des tensions qui ont motivé son départ. Soucieux de donner à chacune des parties la parole et de donner à ses lecteurs tous les termes du débat sur le socle commun, nous avons interrogé Claire Krepper, secrétaire nationale du SE.

Claire Krepper : M. Boissinot nous honore en nous prêtant un tel pouvoir ! Nous ne sommes pas responsables du fait que le CSP n’a pas disposé des moyens et d’un calendrier correct pour faire un travail abouti. M. Boissinot a eu la délicate mission d’organiser le CSP avant d’accepter sa présidence. Il en connaissait à l’avance toutes les limites même si, lorsque nous nous étions inquiétés du sous-dimensionnement du CSP, il nous avait répondu qu’il n’y avait pas de problème puisque le CSP pouvait mobiliser tous les services du ministère. Nous avions raison de nous inquiéter. M. Boissinot n’a pas pu ou su obtenir les moyens de l’indépendance du CSP et n’a pas pu ou su installer une démarche stratégique permettant d’aboutir à un projet de socle en phase avec la loi de refondation. Il doit assumer sa part de responsabilité. Le travail en huis clos à 18 membres - aussi compétents et impliqués qu’ils soient- sur des bases faussées par la volonté imposée par son président d’un "consensus" introuvable ne pouvait conduire qu’à la situation actuelle.

M. Boissinot accuse l’UNSA d’une brutale radicalisation. Nous récusons totalement cette accusation. L’UNSA porte le même discours et les mêmes propositions depuis la concertation de 2012 sur la loi de refondation. Si elle se fait entendre avec force depuis plusieurs semaines, c’est qu’elle a découvert avec stupeur début mai un projet de socle qui n’est pas un socle mais, encore et toujours, un programme idéal pour élève idéal, celui qui apprend tout seul parce qu’il a le bon goût d’aimer les savoirs. Nous avions rencontré le président du CSP à plusieurs reprises avant cette diffusion publique du projet de nouveau socle. Chaque fois, M. Boissinot nous avait rassurés en insistant sur sa proximité avec nos propositions. Certes, il évoquait parfois son souci de ne pas réveiller les Finkelkraut et autres Brighelli, mais de là à imaginer ce qui nous a été finalement proposé…

ToutEduc : Autre procès qui vous est fait, non par A. Boissinot, mais par la rumeur publique, vous feriez monter les enchères avant les élections professionnelles, en escomptant que certains enseignants, électeurs habituels du SNUIPP ou du SNES seraient déçus de voir leur syndicat susceptible de cautionner une nouvelle définition du socle. Que répondez-vous ?

Claire Krepper : Notre positionnement n’est pas un positionnement stratégique. Nous ne sommes pas en train de faire de la "tambouille syndicale". Nous défendons des convictions très fortes que nous portons depuis plus d’une décennie. La première est qu’il faut cesser de raisonner dans une logique de contenus à enseigner (les programmes actuels pour élèves idéaux) pour raisonner à partir des acquis réels des élèves réels (le futur socle que nous appelons de nos vœux). La seconde est qu’il faut cesser de déterminer les contenus de formation de la scolarité obligatoire uniquement dans une logique de préparation à l’entrée au lycée général et qu’il faut que ces contenus répondent de manière équilibrée aux trois finalités fixées par la loi : poursuite d’étude (dans les trois voies du lycée), épanouissement personnel et insertion sociale et professionnelle. La troisième est que le socle commun doit faciliter la continuité cognitive, éducative et pédagogique entre l’école et le collège, car la triple rupture actuelle est une des causes de l’échec des plus fragiles. Enfin, il doit conduire à un travail plus collectif des enseignants et à la mise en place d’une évaluation plus qualitative et bienveillante.

ToutEduc : Alain Boissinot estime que le CSP a travaillé sur le projet de socle selon "le cap fixé par la loi d'orientation" et avec la volonté "de rechercher les équilibres permettant de dépasser les polémiques qui ont beaucoup nui ces dernières années au bon fonctionnement de l’école". Comment comprenez-vous cette affirmation ?

Claire Krepper : La loi de 2013 pose le socle commun de connaissances, de compétences et de culture comme "principe organisateur de la scolarité obligatoire". Le CSP transforme ce principe pour celui de culture commune, qui n’est pourtant pas dans la loi. Le socle commun est réduit à un "cadre", la finalité étant la culture commune, et non plus l’acquisition du socle par les élèves. C’est une interprétation pour le moins tendancieuse de la loi et du "consensus" issu de la concertation quand on sait que le concept de "culture commune" est porté par une seule organisation syndicale, la FSU. On nous parle de polémique stérile alors que nous demandons seulement qu’on réponde à nos questions : Pourquoi avoir introduit cette notion de "culture commune" qui n’est ni dans la loi, ni dans le consensus hérité de la loi de refondation ? Que pense le législateur de cette nouvelle "référence centrale pour toute la Nation", la "culture commune" ? Bien sûr, l’école doit permettre aux jeunes de construire une culture partagée. Mais la  "culture commune" de la FSU est un écran de fumée qui dissimule son refus de la refondation, et c’est pourquoi nous refusons qu’elle remplace le socle commun qui, lui, est inscrit dans la loi.

ToutEduc : Votre réponse amène une autre question : pensez-vous qu'il soit possible d'arriver sur l'école et sa réforme à un consensus ? Si non, pourquoi ?

Claire Krepper : Cela va faire 40 ans que, dans la scolarité commune, on "expose" les élèves aux savoirs les plus ambitieux. Ceci grâce à ceux qui - sans doute de bonne foi - ont défendu, lors de la création du collège unique, qu’il fallait généraliser le modèle réservé à une minorité pour garantir l’égalité des chances. On peut les excuser de s’être trompés. Après tout, il fallait inventer, ce n’était pas si facile. Mais nous ne pouvons pas 40 ans plus tard reproduire les mêmes erreurs. Le statu quo n’est plus possible. Un socle qui ne détermine pas clairement les acquisitions garanties et qui en reste aux déclarations générales et généreuses, c’est un socle inopérant. On s’en remettra donc aux programmes disciplinaires et on pourra espérer ainsi prolonger l’organisation scolaire traditionnelle, avec toutes ses cases séparées dans lesquelles chaque enseignant peut travailler seul comme il l’entend, en laissant aux élèves le soin de relier les morceaux du puzzle pour faire du sens avec tout ça. Il y a bien deux conceptions de la scolarité commune entre lesquelles il faudra choisir. Le consensus n’est tout simplement pas possible. D’ailleurs le consensus de M. Boissinot n’en n’est pas un, c’est un compromis avec la FSU. Ce qui ne signifie pas que les équipes éducatives ne peuvent pas se retrouver autour d’un socle solide et cohérent, accompagné de véritables outils professionnels pour l’apprentissage et la certification (situations d’apprentissage et d’évaluation). Nous ne sommes pas les ennemis des connaissances disciplinaires. Au contraire, nous leur donnons tout leur sens en proposant aux élèves de les utiliser pour résoudre des situations problèmes et développer leur pouvoir d’agir. Ce pourquoi l’humanité a toujours développé des savoirs…

ToutEduc : Que pensez-vous de l'analyse du SGEN pour qui, en résumant à gros traits, le ministre Vincent Peillon a confié au CSP cette tâche sans lui donner d'orientation politique claire, donc sans assumer sa fonction, sans trancher dans le vif ?

Claire Krepper : Nous partageons cette analyse même si nous n’excluons pas que le président du CSP se soit largement autocensuré, obsédé par la recherche du "consensus" et la crainte des réactions de la FSU et des "républicains". Mais cette vision mène à l’immobilisme et l’impuissance, ce que refusent les progressistes qui ont porté la logique du socle commun.

Pour en revenir au ministre, nous attendons que Benoît Hamon, qui fait de la lutte contre les inégalités le cœur de sa politique, nomme un nouveau président capable de remettre le projet du CSP sur le métier pour que le socle tienne sa promesse démocratique.

ToutEduc : Alain Boissinot estime que le projet du CSP permet à la fois d’assurer à tous les élèves la maîtrise des "incontournables", sans pour autant se contenter d’un enseignement minimal et appauvri. Qu'en pensez-vous ?

Claire Krepper : Ce projet ne permet rien puisqu’il ne fixe aucun niveau d’exigence. C’est un catalogue qui liste environ 160 objectifs hétérogènes qui ne sont ni didactisés ni évaluables. Les enseignants seront encore plus démunis qu’avec le socle actuel. Démunis et déstabilisés par une nouvelle architecture que le CSP n’a jamais justifiée malgré nos questions très précises. Pourquoi renoncer à s’appuyer sur les compétences-clés européennes ? En quoi le nouveau cadre permettra-t-il aux élèves de mieux réussir ? Nous ne défendons pas un enseignement minimal et appauvri. En revanche nous avons le souci d’assurer à tous les compétences nécessaires à l’insertion sociale, ce que notre école ne fait pas pour près d’un élève sur cinq.

ToutEduc : Quelle est pour vous la fonction du socle? Celui-ci doit-il être le moteur d'une transformation de l'école ? Pouvez-vous donner un exemple précis d'un élément qui devrait figurer dans le socle et qui contribuerait à la refondation de l'Ecole ?

Claire Krepper : Au risque de me répéter, le socle commun doit définir les compétences dont l’acquisition est garantie par la Nation à tous les élèves à l’issue de la scolarité obligatoire. L’approche par compétences, c’est-à-dire, la mise en place de situations d’intégration des diverses ressources construites par les élèves dans et hors l’école (connaissances, capacités, procédures, attitudes,) pour agir dans des tâches complexes continuera de transformer l’école. Car le mouvement est déjà engagé dans de nombreux écoles et collèges. Il n’y a qu’à voir le nombre très important de classes dites "sans notes" mises en place dans les collèges. Pour que le socle contribue à la refondation de l’école, nous pensons par exemple qu’il doit comprendre un cadre de référence pour l’évaluation, décrivant qualitativement les niveaux de maîtrise des compétences attendus à chaque palier du socle. Alors, il sera bien le cadre structurant de la scolarité obligatoire. Parce que nous sommes un syndicat constructif, nous avons élaboré des propositions que nous avons transmises au CSP.

Les propositions du SE-UNSA ici et ici.

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