La démission d'A. Boissinot n'empêche pas le CSP de travailler (E. Favey)
Paru dans Scolaire le jeudi 12 juin 2014.
Eric Favey, membre du CSP (conseil supérieur des programmes) et secrétaire général adjoint de la Ligue de l'enseignement, ne cache pas son agacement face aux commentaires qui ont suivi la démission d'Alain Boissinot et la publication du projet remis au ministre pour le socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
ToutEduc : La démission de son président est-elle, pour le CSP, un coup dur ?
Eric Favey : C'est incontestablement une difficulté, mais le CSP ne se résume pas à son président et sa démission ne l'empêche pas de travailler. Une vingtaine d'auditions en plénière sont prévues d'ici le mois de juillet. Il a une présidente par interim, Anny Cazenave et 16 autres membres, ainsi qu’un secrétariat général compétent. Les groupes chargés de l'élaboration des programmes travaillent aussi, et rassemblent déjà plus d'une centaine de personnes. Nous entendons le 19 juin les propositions du groupe en charge de l'école maternelle par exemple. Le groupe chargé de la partie scolaire des parcours d'éducation artistique et culturelle sera constitué la semaine prochaine, celui chargé du cycle IV sera constitué cet été ou à la rentrée...
ToutEduc : La publication du projet a provoqué des commentaires souvent acerbes...
Eric Favey : Oui, ils témoignent d'une lecture partielle et aléatoire d'un texte dont il faut rappeler qu'il a été approuvé à l'unanimité par les membres du CSP, mais qu'il est destiné à être amendé et corrigé. Je pense d'ailleurs que nous avons laissé passer quelques formules jargonnantes ou insuffisamment précises pour prévoir leur déclinaison dans un programme, même si ces défauts sont moins marqués que dans la première version du socle [celle de Gilles de Robien, ndlr]. Mais j'ai été choqué par exemple par l'analyse du Café pédagogique, estime que notre proposition se focalise sur la validation terminale alors que c'est l'inverse, nous demandons "une évaluation progressive", "à la fin de chaque cycle" et nous demandons qu'il soit mis fin à la concurrence entre l'évaluation du socle et le brevet. Nous n'avons pas eu le temps de nous prononcer sur les modalités. C'était d'ailleurs un point de débat avec Alain Boissinot qui estimait que le document remis au ministre était définitif, alors que nous aurions pu l'assortir d'un complément sous quinzaine.
ToutEduc : Le SE (le syndicat UNSA des enseignants) est également très critique.
Eric Favey : Oui, il reproche notamment à notre texte de ne pas reprendre les "Compétences clés pour l'éducation et la formation tout au long de la vie" du cadre européen de référence. Mais elles y sont toutes ! La communication dans la langue maternelle et la communication en langues étrangères sont dans le premier domaine, la "compétence mathématique et les compétences de base en sciences et technologies" sont dans le premier domaine et dans le quatrième, etc. Chaque pays européen les organise d'ailleurs en fonction des spécificités de son système scolaire et de son histoire. Nous faisons une place toute particulière à la compétence "apprendre à apprendre" qui ne figurait pas dans le "socle Robien" et il faut reconnaître que nous l'insistons pas sur "l'esprit d'initiative et d'entreprise". Je remarque d'ailleurs que les parlementaires de l’opposition comme de la majorité qui siègent parmi nous n’en ont pas fait un point de fixation.
ToutEduc : Le SGEN-CFDT pose une autre question, quand il demande au ministre de reprendre la main, et qu'il souligne l'absence de commande claire de la part du politique.
Eric Favey : Il est vrai que nous avons fait une partie du travail que n'avait pas fait le législateur. La loi de refondation de 2013 mentionne le socle mais ne le définit que partiellement. Nous l'avons fait en quelques lignes. Je les cite parce qu'elles disent bien l'importance des enjeux du socle : "la scolarité obligatoire (...) donne aux élèves la culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur permettra de s'épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de poursuivre leur formation tout au long de leur vie, quelle que soit la voie choisie, de s'insérer dans la société où ils vivront, et de participer, comme citoyens, à son évolution. Cette culture commune doit devenir une référence centrale pour la Nation, en ce qu’elle définit les finalités de l’éducation dans le monde contemporain et qu’elle a pour exigence que l’école tienne sa promesse pour tous les élèves (...)".
J'invite tout un chacun, enseignants, parents, élus, citoyens, à lire ce document, à s'en emparer, à poser les termes du débat. J'insiste, les enjeux sont forts, lorsque nous écrivons par exemple que l'internationalisation de tous les échanges implique "la pratique d’au moins deux langues vivantes étrangères ou régionales dont l’anglais".
ToutEduc : Comment voyez-vous l'organisation de ce débat ?
Eric Favey : Il faudrait que le ministère accorde aux enseignants au moins une demi-journée, au mois d'octobre, pour qu'ils en débattent, et réellement. La "consultation Thélot" a montré qu'il était possible que l'Education nationale était capable de recueillir les avis de ses personnels, mais aussi des parents, des associations et mouvements pédagogiques, des collectivités, élus et professionnels de l’Andev... Il faut absolument que les collectivités soient associées à la consultation, puisque leurs compétences en matière d'éducation vont croissant. Mais tous les citoyens ont leur mot à dire d'une culture commune qui fera référence pour toute la Nation, et qui sera l'un des éléments forts d'une école juste et bienveillante. Le débat doit durer au moins jusqu'à la fin novembre , le CSP, s'il le faut, reverra sa copie, mais il n'est pas nécessaire qu'il se prononce sur les avis qui auront été exprimés, ce sera au ministre de le faire, et, à mon sens, il devrait publier le texte définitif tout début janvier. Il servira alors de cadre pour sa déclinaison en programmes.
ToutEduc : A titre personnel, que souhaiteriez-vous voir amendé dans ce texte ?
Eric Favey : Ce projet pour le socle est le produit d'un travail sur des convictions partagées et des désaccords féconds. Il est, à mon sens, encore trop piloté par l'aval, même s'il est plus raisonnable que le socle actuel. Peut-être pour éviter le mauvais débat sur "le socle SMIC culturel", il contient des éléments que je verrais mieux au niveau lycée. Mais il constitue "le programme des programmes" et beaucoup va se jouer dans sa déclinaison dans les programmes de cycles.