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Éducation artistique et culturelle : le chant en campagne(s) en Haute-Saône

Paru dans Scolaire, Culture le vendredi 11 avril 2014.

"Bonjour, bonjour, allez, tenez-vous bien !" Un vendredi matin, 9h30, le théâtre de Vesoul est quasi-comble. Une main se lève. Depuis un pupitre placé devant la scène. Elle fait coucou. Puis les deux. Coucou, coucou. Dans la salle, plus de 800 mains s'élèvent. Elles répondent au chef de chœur. Toutes synchros. Celles de 408 enfants très exactement, des écoliers de 8 à 11 ans en moyenne, de 17 écoles et venus des quatre coins de la Haute-Saône, ou presque. Des écoliers qui ont pour particularité d'être majoritairement éloignés des grands centres urbains, du chef-lieu de leur département, la Haute-Saône, et de ses équipements culturels.

"Plus vite ! Mimique du chef de chœur. Allez, un visage comme moi !" Mimiques de 400 mômes. Puis les enfants se tournent. À droite, à gauche. Coucou, coucou. Se lèvent dans un même élan. "On est fiers, on est des artistes, on est beau (...) Ah, ouh ouh ouh..." Écho dans la salle. Ils claquent des doigts, tapent des mains, sur les cuisses... Pas de pause, les mômes enchaînent, s'exécutent. Avec une discipline quasi-militaire. Pourtant c'est entraînant et harmonieux comme un jeu de percussions.

Puis 400 voix s'élèvent dans le théâtre. "Pour aller à Suresnes ou bien à Charenton. Tout le long de la Seine on passe sous les ponts..." Ils chantent "Sous les ponts de Paris". Puis "La croisade des enfants" d'Higelin. Les enfants en sont à leur quatrième répétition générale et devront interpréter 12 chansons ici, les 22 et 23 mai prochains, pour commémorer le centenaire de la 1re guerre mondiale. Baptisée "Les voix de la mémoire", c'est l'une des quatre actions inscrites dans le projet "Mémoire(s) et commémoration". Projet qui fédère, sous l'impulsion du DASEN de Haute-Saône (Directeur académique des services de l'Éducation nationale), l'ensemble des partenaires culturels du département, musées, archives, structures de spectacles, etc.

Compenser les manques en matière d'activités éducatives en zones rurales

"C'est génial !" Derrière moi c'est l'extase. Une mère... "C'est génial ! Je ne regrette pas d'être venue !" Moi non plus... Pourquoi ? Un projet de chœur avec des écoles, c'est plutôt légion. La plupart du temps montés avec des enseignants, un intervenant en musique, une association ou, dans le meilleur des cas, avec le conservatoire du coin. Avec des objectifs souvent communs, se servir du chant et de la musique, la "classique" de préférence car réputée "élitiste", pour favoriser l'accès de tous à la culture.

Ici les objectifs sont les mêmes, à ceci près que l'un des plus importants projets vise d'abord les écoles rurales dans un département moins peuplé qu'une ville comme Strasbourg ou Montpellier, et où la population urbaine ne représente que 44 % des habitants.

Favoriser l'équité d'accès à la culture est l'une des priorités du DASEN et de l'académie de Besançon. Le recteur Éric Martin a d'ailleurs inscrit dans le contrat d'académie, signé le 12 novembre dernier, cette "volonté de continuer à structurer l'école afin d'établir une équité d'éducation dans les différents territoires, en compensant les manques en matière d'activités éducatives (sport, culture, etc.), notamment dans les zones rurales". Une politique qui se justifie, selon lui, parce que "c'est la dimension éducative qui étaye la réussite scolaire", et ce, d'autant plus que la région est marquée par des fortes disparités territoriales économiques et sociales. L'Académie mène donc un travail sur "les dispositifs d'accueil des moins de trois ans, les activités liées au sport, à la culture... qui sont très différentes d'un territoire à l'autre".

Cette politique s'appuie sur des partenariats avec des structures culturelles comme La Bulle, architecture nomade qui invite les écoles des territoires ruraux à des rencontres avec le spectacle vivant, créée par l'ADIMM 70 (Association départementale pour le développement et l'initiative de la musique et de la danse) et soutenue par des communautés de communes de Haute-Saône. Cette même volonté de "compensation" a également motivé la signature de conventions avec des maires ruraux de Haute-Saône et du Jura, pour favoriser le développement du numérique à l'école, mais aussi dans les collèges et lycées, qui auront tous un ENT (Espace numérique de travail) d'ici la fin 2014.

Un projet partenarial

En Haute-Saône, ce projet de chœur va donc "chercher" des écoles jusque dans les Vosges "où il n'y a pas de théâtre, pas d'école de musique, où la Bulle et Justinia (deux structures itinérantes qui promeuvent respectivement les arts du spectacle et l'art lyrique en campagne) ne sont pas passées", explique Éric Fardet, le DASEN. Dans des communes pour certaines situées dans les Vosges et qui affichent pour la plupart entre 160 et 600 âmes. S'y ajoutent 8 classes de Vesoul situées en zone d'éducation prioritaire, cette commune finançant une enseignante de l'école de musique pour intervenir en complément du chef de chœur, entre les répétitions générales, dans 8 écoles. Une deuxième intervenante est mise à disposition dans les 9 autres écoles par la compagnie nationale de théâtre lyrique et musical "Justiniana".

Ce projet de territoire associe aux partenaires locaux l'un des plus grands professionnels du domaine. Le chef de chœur, de nationalité américaine, Scott Alan Prouty, est connu en France comme spécialiste des voix d'enfants. Responsable des études musicales de l'École de danse de l'Opéra national de Paris depuis 2004, il est aussi, depuis 1992, le chef d'orchestre du chœur d'enfants qu'il a créé, "Sotto Voce", parrainé notamment par les Villes de Paris et Créteil et le Fonds d'action de la SACEM.

Pour lui, qui vient depuis cinq ans former des chœurs d'enfants au théâtre Edwige Feuillère labellisé scène conventionnée "Voix d'enfants/espace scénique", nul doute que "la meilleure manière d'intéresser et d'amener les enfants à la voix et au théâtre est de les associer au spectacle". L'initiative aurait d'ailleurs, selon lui, contribué au doublement en 3 ans du nombre de spectateurs qu'accueille le théâtre. Celui-ci comptait près de 33 000 spectateurs pour la saison 2012-2013. Il est vrai que potentiellement ce sont 408 familles qui vont venir en mai voir leurs enfants sur scène. "Et qui, sans ça, ne viendraient certainement jamais", argue le chef de chœur. Et "repartiront avec la brochure du théâtre..."

Grâce au chant, "ils sont vraiment dans les tranchées"

Ses attentes? "Que les écoles continuent de chanter après [s]on passage". Car, explique-t-il, le chant est "une discipline extrêmement structurante", parce qu'elle permet de "travailler sur la respiration, la concentration, l'esprit d'équipe... et on apprend à se lâcher."

Les enseignants constatent de leur côté que les élèves "retiennent davantage, apprennent les paroles sans problème, fredonnent dans les rangs... ce qui n'est pas la même chose pour la poésie et les tables !". Et ce qu'il y a à faire entendre et apprendre "derrière le chant" passe mieux. "Il ne s'agit pas simplement de la guerre", remarque Hélène Boffy, enseignante à Faucogney-et-la-mer. "Là, ils sont dans le chant, dans l'émotion. Et quand ils chantent la chanson de Craonne*, ils sont dans les tranchées".

Les enseignants sont eux aussi formés au chant. Et disposent d'outils financés par le CNDP-SCEREN, des CD avec les versions instrumentales et chantées des morceaux, des fiches pédagogiques et un corpus de livres. Objectif étant, explique Éric Fardet, que ces "enseignants fassent ensuite le lien plus facilement avec l'offre culturelle".

À l'origine étaient les pôles...

Le travail voix d'enfants est pris en charge par l'Ensemble Justiniana, avec un budget qui s'élève entre 22 000 et 25 000 euros et intègre notamment les frais de résidence d'artiste et ceux de l'une des deux intervenantes qui se déplace régulièrement dans 9 classes. Une subvention de 5 000 euros, décrochée auprès de la Mission du centenaire de la Première guerre mondiale qui distingue les projets "les plus innovants et les plus structurants pour les territoires", permet de financer une partie des 6 transports aller/retour sur Vesoul pour les répétitions générales de toutes les écoles, dont le coût s'élève à 7 723 euros. Le dernier, qui conduira les élèves au spectacle, est pris en charge par chaque école. L'ADIMM 70 récupère à sa charge 2 000 euros et abonde aussi de 3 800 euros un projet plus "intimiste" de chœurs, "L'école qui chante", organisé chaque année dans différents territoire. Cette année il ne concerne pas moins de 260 classes, soit 5 958 élèves très exactement, qui préparent 51 concerts dans leurs territoires.

Le travail sur l'équité d'accès aux activités éducatives a démarré il y a 25 ans en Haute-Saône, où a été encouragée la création de pôles éducatifs qui permettent de proposer des équipements et des services mutualisés (haut débit, équipements sportifs, bibliothèques centres de documentation BCD, restauration...) pour le scolaire, le périscolaire, la petite enfance ou encore des maisons de retraite. Une bonne manière "de développer et d'améliorer la qualité des services éducatifs proposés aux familles, en dehors des grands centres urbains, et au sens large puisque ce service dépasse le pédagogique", explique Éric Fardet. Et en se regroupant par pôles, les communes récupèrent 70 à 80 % d'investissement de l'État. Aujourd'hui, on en recense une trentaine qui regroupent, selon les lieux, entre 3 et 10 communes.

L'Éducation nationale a aussi développé des partenariats étroits avec des structures culturelles qui ont fait de l'itinérance en campagne leurs priorités. "Afin de proposer une ouverture et une action culturelles aux territoires défavorisés et dépourvus de structures", poursuit Éric Fardet. À l'instar de l'ADIMM 70 qui a notamment créé la Bulle.

* chanson contestataire, chantée par des soldats français durant la Première Guerre mondiale, entre 1915 et 1917 et censurée par le commandement militaire en raison de ses paroles antimilitaristes

Un reportage de Camille Pons

photos : Daniel Nowak

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