Harcèlement : Prise d'otages dans un lycée de Vesoul... (mais c'est du théâtre)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le vendredi 06 décembre 2013.
Mardi 3 décembre, 10h10, au lycée professionnel Luxembourg à Vesoul, en Haute-Saône : une trentaine d'élèves de terminale et une dizaine d'adultes viennent d'être pris en otages. Le jeune Sebastian vient de fermer toutes les issues. Il court entre les rangs, se jette sur l'estrade et harangue violemment son public. "Salauds ! Depuis que j'ai six ans, vous vous moquez de moi ! Maintenant vous allez payer !" Cet "ange de la mort" est interprété par un comédien de la compagnie bisontine Les Trois Sœurs, Théo Lanatrix. "Je ne pense plus au suicide. Avant j'y ai pensé. Le matin souvent. Avant d'aller à l'école. Je pensais à ce qui m'attendait. À la façon dont les profs allaient me traiter. Aux élèves. Ce qu'ils préparaient comme saloperies."
Le thème est d'actualité puisque Vincent Peillon, vient de présenter son plan d'action contre le harcèlement. Ce monologue, qui va tenir les élèves en suspens durant une heure, est tiré d'une histoire vraie. Celle d'un jeune allemand de 18 ans, Sebastian Bosse, qui, le 20 novembre 2006, s'est donné la mort après avoir ouvert le feu sur les élèves et les professeurs de son ancien collège, à Emsdetten, en Allemagne.
Imaginée à cette rentrée par la metteure en scène de la compagnie, Marylin Pape, cette opération de sensibilisation se déroule en deux temps : la pièce, fondée sur le texte écrit par Lars Norén, percutante parce qu'elle livre une parole brute, puisée à même le journal intime du jeune allemand ; puis un débat, animé par des référents harcèlement de l'Académie de Besançon.
Amener aux "bonnes pratiques" en suscitant d'abord de l'empathie pour la victime
Pour Théo Lanatrix, cette pièce constitue "un formidable outil pour lutter contre le harcèlement puisqu'elle permet de faire revivre aux jeunes, à huis clos, ce qu'à vécu Sebastian". Violent, le monologue évoque crachats, sévices physiques dont des brûlures, le fouet, l'enchaînement à un réverbère avec un câble en acier... "La théorie et le rappel à la loi ont en général un impact très faible, voire négatif", explique de son côté Antoine Neves, le référent académique du dispositif Stop harcèlement. "Il faut d'abord leur faire ressentir ce que peut vivre une victime, susciter des émotions et développer de l'empathie pour leur faire mettre des mots là-dessus, puis générer des bonnes pratiques, notamment sur le fait qu'il faut être un témoin actif." Une formule à "haute valeur éducative" car elle permet de "passer du 'j'ai honte de parler' à 'je suis fier de témoigner' ".
Effet vérifié ce jour là puisque les élèves se sont impliqués très vite et en nombre dans le débat. "C'est triste", "intense", "on peut comprendre", "ressentir la douleur de la personne", "on a de la compassion", "on ne pense pas toujours aux conséquences que cela peut engendrer sur la victime"... La pièce touche. Et permet d'ouvrir le débat aux formes de harcèlement, aux profils des harcelés et harceleurs, aux témoins silencieux, aux moyens de changer les choses... Et les jeunes sont invités à proposer eux-mêmes des solutions.
Ces derniers ont été préparés à cette intervention particulière. La compagnie a en effet conçu un dossier pédagogique dédié aux enseignants et personnels de santé qui comprend différents outils pour travailler avant comme après sur la thématique : des extraits de la pièce, un focus sur le drame de 2006, des documents sur la définition du harcèlement, les attitudes à adopter, un test...
Former les lycéens pour qu'ils interviennent en écoles et lycées
Le rectorat travaille depuis deux ans sur la prévention et la lutte contre le harcèlement : sensibilisation et formation des cadres, personnels de santé et CPE, nomination de référents harcèlement dans tous les départements depuis la rentrée 2012, à la fois issus des corps de santé et du corps des inspecteurs, ces derniers "pouvant faire entrer la thématique plus facilement dans les classes". Du 15 au 17 janvier 2014, ce sont les élus et vice-présidents des CVL et CAVL qui sont de leur côté conviés à un séminaire à Rochejean (Doubs), pour y "développer des compétences afin d'être capables, à terme, d'intervenir aux niveaux inférieurs, en écoles et collèges", précise Antoine Neves.
La compagnie intervient depuis 2007 dans les collèges et lycées notamment via des théâtres-forums sur diverses thématiques : respect à l'école, relation garçon/fille, diversification des choix professionnels... La création du spectacle a bénéficié d'un soutien financier du Conseil général du Doubs. Deux représentations ont déjà été données en octobre et novembre, au lycée Pasteur de Besançon et au lycée du Grand Chênois à Montbéliard.
Camille Pons