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Catherine Sultan : recentrer la PJJ sur les besoins des enfants en difficulté (interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Justice le mardi 12 novembre 2013.
Mots clés : Sultan, PJJ

"Mes ambitions ? Conduire, selon l’engagement de la garde des Sceaux, une réforme de la justice pénale des mineurs qui doit être spécialisée, clarifiée, simplifiée, réactive tout en préservant le temps de l'éducation. La protection judiciaire de la jeunesse a subi ces dernières années, pour cause de RGPP, une baisse drastique de ses moyens conduisant à des restructurations et des bouleversements; le sens de ses métiers a été malmené par les orientations du gouvernement précédent; je veux prendre le temps de recentrer l’institution sur le contenu de ses missions, la prise en compte des besoins des enfants en difficulté." Catherine Sultan a été nommée à la direction de la PJJ au mois de juin. Elle définit pour ToutEduc son projet.

ToutEduc : Le budget du ministère de la Justice vient d'être voté en première lecture. Quels moyens vous donne-t-il ?

Catherine Sultan : La PJJ a vu 610 emplois supprimés entre 2008 et 2012 et le budget consacré au secteur habilité, donc les associations avec lesquelles nous travaillons, a été diminué de 24 %. Ces réductions de moyens ont conduit à une restructuration et des regroupements de services, donc un bouleversement important de l'encadrement. Le budget 2013 nous a permis de récupérer 205 postes, fléchés vers le milieu ouvert qui représente 95 % de nos actions. Le budget 2014 en prévoit 78, essentiellement pour les solutions de placement, l'idée générale étant la pluridisciplinarité. Nous avons besoin de psychologues, d'assistant(e)s sociaux, d'éducateurs... Nos dispositifs doivent rester diversifiés : foyers, familles d'accueil, foyers de jeunes travailleurs, CER [centres éducatifs renforcés, ndlr], CEF (centres éducatifs fermés, ndlr]...

ToutEduc : Le budget 2014 ne prévoit l'ouverture que de deux CEF, est-ce suffisant ? Les réseaux sociaux font état de grandes difficultés dans nombre d'entre eux.

Catherine Sultan : Les CEF ne sont qu'un élément d'une palette de solutions et ces deux créations correspondent à une évolution raisonnée, elles ne doivent pas se faire au détriment des autres solutions. Les CEF sont des établissements de placement qui accueillent des jeunes en très grande difficulté. L'absence d'incidents est impossible. Le milieu associatif, qui gère un certain nombre de ces établissements, peine parfois à recruter des personnels qualifiés. Et certains CEF publics ont connu des moments difficiles. Mais la majorité d'entre eux fonctionne bien, ils ont su tisser des liens avec les juges, la police, l'hôpital..., et réagir avec leurs partenaires en cas de crise.

ToutEduc : Parmi les autres solutions de placement figurent les familles d'accueil. En avez-vous suffisamment ?

Catherine Sultan : Non. Il faut trouver des familles volontaires, suffisamment solides, structurées, alors que la rémunération est peu attractive, même si elle a été améliorée. Il faut aussi qu'elles soient soutenues par des éducateurs, que leur statut soit amélioré. Les lieux de vie, qui concilient cadre familial et approche plus professionnelle, sont souvent très intéressants et on en parle moins.

ToutEduc : La délinquance des mineurs fait l'objet de nombreuses polémiques. A-t-elle augmenté ?

Catherine Sultan : Nous entendons effectivement des discours alarmistes, et nous assistons à une instrumentalisation de cette délinquance. Il est faux de dire qu'elle est en constante augmentation. Depuis des années, elle représente 15 à 17 % de la délinquance générale. Pour y répondre avec efficacité il est indispensable de prendre en compte les spécificités de la délinquance juvénile, distincte de celle des adultes. Elle est caractérisée par l'immaturité des jeunes impliqués. Le plus souvent, nous avons un(e) adolescent(e) qui commet un acte transgressif, et la réponse doit être réactive, mais compréhensive. Dans le cas d'actes répétés, nous devons faire du sur mesure, résoudre un à un les problèmes qui sont ainsi révélés. Nous avons aussi des actes uniques, mais graves. Nous travaillons toujours avec des individus, qui ont des parents, lesquels ont besoin d'être soutenus... L’objectif est de répondre à un acte interdit et d’agir sur les causes pour favoriser la non récidive et l’insertion durable.

ToutEduc : La PJJ donne parfois le sentiment d'être un peu isolée. Travaille-t-elle suffisamment avec l'Education nationale ?

Catherine Sultan : L'Education nationale est aujourd'hui un partenaire habituel de la PJJ, après une longue période où les deux institutions s'ignoraient. Nous avons des personnels détachés dans les internats-relais par exemple, et inversement des enseignants interviennent dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, dans les CEF... La PJJ a également un rôle à jouer dans la réflexion menée par Eric Debarbieux et la mission ministérielle sur la violence scolaire; nous pouvons apporter notre expertise. Notre école de formation, l'ENPJJ et ses antennes proposent des formations qui sont ouvertes à tous nos partenaires. Les futurs enseignants qui sont dans les ESPE peuvent faire des stages à la PJJ. Encore faut-il qu'elle soit sollicitée. Nous travaillons avec des adolescents qui sont souvent très fâchés avec l'école, qui sont en souffrance, et la formation est un de nos leviers pour leur insertion. Nous ne pouvons que travailler ensemble, mais peut-être avons-nous à ajuster nos coopérations.

ToutEduc : Les lois de décentralisation ont amené à distinguer les enfants victimes, relevant de la protection de l'enfance et confiés aux départements, et les jeunes délinquants, qui vous sont confiés. Cette distinction ne se révèle-t-elle pas quelque peu artificielle ? Comment éviter que l'action des départements soit trop disparate ?

Catherine Sultan : La PJJ intervient dès lors qu'une action judiciaire concerne un mineur, qu'il soit auteur ou victime, qu'il s'agisse des mesures d'investigation ou de l'application des décisions du juge. Son action a été recentrée sur le pénal, et cela a été fait d'une manière extrêmement brutale et sans nuance. J'espère pouvoir revenir sur ce clivage, de façon que nous puissions agir sur la continuité, la cohérence de l'action qui peut, pour un même jeune, impliquer le conseil général, l'Education nationale, une structure de soin... Un adolescent délinquant est aussi fréquemment un jeune en danger. L'un des objectifs de la loi cadre de 2007 était d'unifier les pratiques des départements. La réalité reste inégale. La PJJ a un rôle à jouer pour que se mette en place une vraie politique de l'enfance, et il faut qu'elle redevienne un acteur dont la parole compte. Les Conseils généraux doivent voir la Justice, c'est à dire les juridictions et la PJJ, qui représente l'Etat, comme des acteurs incontournables.

Sur Catherine Sultan, voir ToutEduc ici

Propos recueillies par P. Bouchard et relus par Catherine Sultan

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