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La formule de Bachelard citée par V. Peillon est-elle démagogique ? Une tribune de Ch. Varagnac

Paru dans Scolaire le samedi 28 septembre 2013.

Christophe Varagnac, enseignant et écrivain, auteur de "Peurs sur l'école", a réagi à la partie analyse de la Lettre n° 181. ToutEduc publie bien volontiers cette tribune.

La citation de Bachelard par Mr Peillon (le fait que le prof apprenne en permanence de ses élèves) me semble tomber sous le sens. Je crois comprendre que la fameuse formule du personnage, comme "l'opium du peuple" de Marx, n'a pas toujours été bien comprise. Il est évident pour ma part que la structuration - indispensable - du cours n'est pas incompatible avec l'imprévu. J'irais même plus loin : elle peut créer un terreau assez fertile au surgissement de ce qu'il faut bien appeler... la vie. C'est un équilibre permanent entre tutorat classique et libération de la pensée. J'ai toujours préféré les élèves qui, plutôt que de chercher à donner une réponse (fût-elle bonne) m'obligent surtout à répondre à d'excellentes questions. Ce qui a pu effrayer les anti-pédagogistes purs et durs, c'est qu'ils ont voulu voir dans cette philosophie une sorte de caution apportée aux cours foutraques, voire aux enseignants qui ne sont pas eux-mêmes très sûrs de ce qu'ils peuvent transmettre ou échanger. Posant cela, je repense à Bégaudeau dans "Entre les Murs", que je perçois comme une caricature de ce que certains ont projeté dans la phrase de Bachelard. Lorsque Bégaudeau croit marquer des points envers une élève et sa classe en général en expliquant que "moi non plus, je ne suis pas fier d'être français", il commet selon moi une erreur grave, techniquement et moralement. Car il envoie alors le message selon lequel lui-même ne se reconnait pas dans l'institution qu'il est censé pourtant servir. Cela sape de fait son autorité : si le prof crache dans la soupe, comment les élèves peuvent-ils ensuite eux-mêmes respecter ladite institution ? Bachelard a raison mais il a pu prêter le flanc à une approche démagogique.

L'analyse fait surtout référence à une tentative de transversalité entre philosophie et ingénierie informatique. L'idée me semble bonne, voire excellente, car elle peut non seulement faciliter les apprentissages des deux disciplines respectives mais surtout permettre une alchimie dont le produit serait, idéalement, supérieur à la simple addition des éléments qui la compose. Principe classique mais peu envisagé dans l'E.N... Ladite synergie est d'autant plus pertinente qu'elle conduit à interroger les trois niveaux d'intelligence - ce mot valise dans lequel je distingue intelligence spirituelle, intelligence cérébralo-spéculative et intelligence pratique. Les articulations de cette trinité sont infinies - Kubrick dans "2001..." l'avait déjà explorée. La passerelle entre philosophie et ingénierie informatique est une idée puissante : mettre du sens là où la nouvelle génération (concepteurs et utilisateurs confondus) n'en voit pas forcément. Comme si l'outil était devenu une fin en soi, qu'il se suffisait à lui-même. Nouvelle forme de scientisme ? Je crois remarquer l'émergence d'une quasi-religion à ce sujet. Etant moi-même un adepte d'Apple - ah, si toute l'E.N pouvait tourner comme mon Mac Book Air... -, je sais combien la tentation de verser dans des comportements sectaires et mystiques est grande en la matière.

En somme, méditons déjà Pascal (comme par hasard inventeur d'une des premières calculatrices automatisées de l'Histoire) ou le "Science sans conscience..." de Rabelais que les connaisseurs du Darknet par exemple ont déjà intégré...

Inciter les enseignants à réfléchir à la transversalité

Les passerelles avec la philosophie devraient aussi se faire avec la science économique (notamment pour comprendre la mutation d'un capitalisme dématérialisé et l'économie virtuelle), les mathématiques (la différence entre une droite et un segment ouvre la voie à la métaphysique...) et bien entendu l'Histoire (afin de replacer tout cela dans une perspective chronologique hélas de plus en plus déficiente).

Ne nous leurrons pas cependant : un peu de management (au sens noble) me semble souhaitable pour inciter les enseignants à réfléchir à la transversalité. Ici, il y a un problème culturel dans la corporation. Et la conception des programmes n'y aide pas toujours... Encore très récemment je me suis étonné de constater que dans le programme de 6ème, l'étude du monde grec en Histoire est désynchronisée de l'étude des textes comme Homère ou Virgile en Lettres. C'est dommage...

Quant à l'enseignement de la philosophie proprement dite, je pense qu'il ne devrait pas être réservé aux seuls élèves (surtout de Terminale) du cursus général. J'aime rappeler à mes élèves (comme à mon inspectrice) que ce n'est pas un sport réservé à une élite...bien au contraire. La philosophie infiltre tout ce qui est vivant-pensant - même à son insu. Cela devrait faire l'objet d'initiations dès le primaire - où la capacité d'abstraction me semble sous-évaluée. Compte tenu que le "formatage" intellectuel est optimal entre 6 et 10 ans, ce serait l'occasion idéale de procéder à l'appréhension de ce qui fait le plus défaut au monde contemporain : la connaissance du logos pour penser ce même monde. L'accent, jusqu'à la fin du collège, devrait être mis sur ce qui est pour moi la base et la finalité de la philosophie : comprendre le sens des mots, pour mieux envisager ensuite des concepts, et éventuellement en bout de chaîne pouvoir philosopher au sens plus traditionnel (soit traiter des questions plus ou moins générales mais fortement impliquantes sur le plan éthique). Les profs de philo récupèrent trop souvent des élèves qui n'ont pas les outils sémantiques et dialectiques lorsque se présente la Terminale. Ces profs sont donc assez démunis, et je les plains, même si j'en connais qui font des miracles.

 Philosopher en bac pro

Avec mes élèves de bac pro ancienne manière (quand ces classes ressemblaient encore à quelque chose), j'ai pu tutoyer ce plaisir de la philosophie pure, mais avec des partis pris réalistes bien entendu... C'est là que ma passion pour la SF par exemple m'a été du plus grand recours - au moins autant que les philosophes classiques et humanistes. Je crois me souvenir que les élèves qui jouaient vraiment le jeu auraient pu pondre des dissertations certes très ramassées mais sans doute plus précises que pas mal de lycéens inscrits en général de manière surfaite. Ce qui est bien avec la philo, c'est que ce n'est ni de la littérature ni une science exacte. Mais de la première elle peut repiquer un effort d'imagination et de métaphorisation ; de la seconde, le goût pour l'esprit logique et la définition d'un postulat ouvrant la brèche à l'argumentation.

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