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ESPE : "la réforme risque de ne pas atteindre ses objectifs" (P. Demougin)

Paru dans Scolaire le vendredi 26 avril 2013.
Mots clés : ESPE, CDIUFM, Demougin

Patrick Demougin, président de la CDIUFM (la conférence des directeurs d'IUFM, directeur de l'IUFM de l’académie de Montpellier) estime que la création des ESPE, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, qui doivent remplacer les IUFM à la rentrée, "risque de ne pas atteindre ses objectifs", et de refaire les erreurs qui ont présidé à la création des IUFM. Il remarque de plus la situation faite à leurs personnels et à leurs responsables, qu'on n'écoute pas, et dont on dénie l'expérience, assez fréquemment. "Nous avions de l'espoir, nous pensions qu'il y avait une réelle ambition...", ajoute-t-il. Il répond aux questions de ToutEduc.

ToutEduc : Le débat sur les ESPE a-t-il opposé les tenants des "savoirs académiques" aux "pédagogues", partisans de la professionnalisation de la formation initiale des enseignants?

 Patrick Demougin : Oui, et je le regrette. J'ai l'impression que notre débat avec les Conférences des directeurs d’UFR [unités de formation et de recherche, les anciennes facultés, ndlr] de lettres et de sciences a été instrumentalisé. Nous n'avions pourtant pas le même niveau de préoccupations, et nul ne nie que les enseignants doivent avoir une bonne formation académique. Mais le résultat est qu'on a réfléchi à comment "emboîter" les deux temps de la formation, qu’on s'est demandé où placer le curseur entre les IUFM et les UFR au lieu de se donner les moyens de produire un nouveau modèle de formation, répondant à une cohérence forte fondée sur l’objectif et non sur des conflits hérités de l’histoire. Les cadrages nationaux contribuent à donner une cohérence, mais à un niveau qui reste limité dans de nombreuses situations, notamment dès qu’on passe aux travaux pratiques en produisant les maquettes de formation. On retrouve alors ces guerres de territoires parfaitement stériles.

 ToutEduc : A quoi ressembleront les futures ESPE ?

 Patrick Demougin : Il est encore difficile de le savoir. Mais je ne crois pas que ce seront, dans de nombreux cas, de vraies "écoles" au sens où l'entendent les parlementaires qui votent la loi qui les crée : des étudiants et des enseignants qui travaillent ensemble, dans une dynamique liée à un lieu et à une équipe. La situation va beaucoup varier selon les contextes locaux. A Montpellier, l’option choisie a été celle d’une ESPE sans étudiants et sans professeurs, mettant en relation différentes UFR au sein d’unités de formation. Certains parleraient d’une coquille vide. Il faut bien comprendre qu’avec les ESPE, l’Université française cherche à développer une nouvelle logique de "composantes" (les ESPE ne sont ni des UFR ni des écoles relevant du statut L.713-9) et de relation entre composantes, ce qui devrait conduire à des résultats variés. La logique de pôles qui permet de faire travailler ensemble plusieurs UFR pour une formation professionnelle donnée et des formes proches des ex-IUFM peuvent coexister. Est-ce que ces différentes logiques permettront, dans leur hétérogénéité, d’atteindre les objectifs de la réforme de la formation des enseignants, qui visait à plus de simplicité et à une meilleure lisibilité du système pour les étudiants? C’est toute la question.

ToutEduc : Le concours a été placé en fin de M1, comme précédemment. Quelles en sont les conséquences ?

Patrick Demougin : Nous avions l'habitude de dire "une année de bachotage, avant le concours, une année de surmenage, après le concours". Nous ne sommes pas sortis du problème. La définition des maquettes des concours (voir ToutEduc ici) a manifestement fait l'objet de débats et leur publication tardive en est probablement le signe. C’était un peu mission impossible puisqu’il fallait vérifier un niveau de qualification important après seulement quelques mois de formation, et sur des sujets aussi divers que la compétence académique et la capacité à comprendre une situation professionnelle. Elles peuvent mécontenter tout le monde et satisfaire partiellement chacun. Certains syndicats ont dit leur satisfaction, d’autres leurs réserves. Les tenants du tout disciplinaire ne s’y retrouvent pas, ceux du tout pédagogique non plus. De là à dire qu’elles sont un bon compromis… En fait, les épreuves écrites restent essentiellement disciplinaires, avec une légère coloration professionnelle. En revanche, pour que les étudiants puissent se présenter aux épreuves orales, qui supposent une réflexion sur les conditions d'exercice de leur futur métier, il faut qu'ils aient fait au moins un stage. Mais on retrouve alors la question du temps : où placer, et avec quel volume, ces périodes de stage que les étudiants percevront comme peu utiles pour réussir les écrits ? La contrainte de faire tenir dans une seule année des exigences importantes et aussi différentes peut conduire à n’être pertinent ni sur le plan des savoirs académiques, ni sur celui de la professionnalisation qui risque de se limiter à quelques stéréotypes faute d’un recul suffisant.

ToutEduc : Ne faudrait-il pas que cette formation professionnelle commence beaucoup plus tôt ?

Patrick Demougin : Bien sûr. Et c’est une des voies pour dépasser les risques que je viens d’énoncer : mettre en place un vrai continuum de formation. Mais comment faire pour que, idéalement, des étudiants puissent suivre, dès le L2, des périodes de stages d'observation dans des collèges et des écoles et bénéficier d’un accompagnement vers la professionnalisation? Les ESPE auront-elles les moyens de coordonner les plannings des diverses universités où sont inscrits les étudiants, pour dégager des périodes communes? Comment de plus valider ce temps de formation ? L’articulation avec les UFR qui portent les diplômes de licence sera complexe. De plus, cette professionnalisation ne pourrait pas concerner tous les étudiants, puisque certains n'imaginent pas à ce moment de leur cursus s'orienter vers l'enseignement. La question resterait donc entière au niveau du master, pour ces étudiants fraîchement orientés vers les métiers de l’éducation. La réponse à ce problème n’est pas seulement en amont, dans le cursus de licence, elle est aussi en aval, dans l’accompagnement par l’université pendant les premières années d’exercice.

ToutEduc : Les ESPE vont-elles continuer d'accueillir, comme les IUFM après la réforme de la "masterisation", des étudiants de toutes disciplines qui seraient inscrits dans d’autres masters que le MEEF?

Patrick Demougin : Le titulaire d'un M1, voire d'un M2 ou d’un diplôme supérieur, quel que soit son domaine, peut très bien se présenter, de droit, au concours. S'il le réussit, il devient professeur stagiaire et suit le parcours M2 MEEF correspondant à son domaine de spécialisation professionnelle. En revanche, s’il a déjà terminé un M2, ou plus, il n’a pas à suivre le cursus de M2 des "Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation" (puisqu’il possède déjà un diplôme équivalent ou supérieur) : il lui est proposé de « récupérer », pendant cette année de formation, des crédits correspondant à l’acquisition de compétences professionnelles, pour l’essentiel liées au stage qu’il effectue, comme les étudiants de M2, à mi-temps sur le terrain (dans le système stabilisé à partir de la rentrée 2014). Il est donc bien sous la responsabilité de l’ESPE mais ne suit pas exactement le cursus MEEF. Les stratégies des étudiants devront être observées de près. On peut penser, ainsi, que les étudiants des disciplines littéraires et de sciences humaines qui rateront le concours en fin de M1 (les fameux reçus-collés) s’inscriront, dans certains cas et de leur propre chef, dans un M2 "recherche", essentiellement disciplinaire, qui leur permettra de se présenter une nouvelle fois au concours. Les ESPE leur proposeront aussi diverses solutions qui ne sont pas, à ce jour, stabilisées, d’une inscription en M2 MEEF adapté à leur situation, à des possibilités de césure pour continuer à préparer le concours, ou encore en passant par un diplôme universitaire adapté à cet objectif… Mais ce sont bien les étudiants qui auront la main : ils vont rapidement peser le pour et le contre, voir où est leur intérêt, qui ne coïncidera pas toujours avec les intentions de ceux qui mettent en œuvre la réforme aujourd’hui!

ToutEduc : Ces écoles formeront-elles aussi d'autres personnels, appelés à travailler dans les collectivités locales par exemple ?

Patrick Demougin : Oui, en principe. Le MEEF aura 4 mentions, pour les futurs enseignants du 1er degré, du 2d degré, pour "l'encadrement éducatif", qui concernera notamment les CPE, et pour les "pratiques et ingénierie de la formation", cette dernière mention pouvant préparer à des métiers hors Education nationale. La plupart des IUFM avaient initié de tels parcours. Mais, encore une fois, on n’a pas inventorié tous les acquis accumulés par les IUFM et il faut simplement espérer qu’on saura en profiter dans cette nouvelle donne. La question reste de savoir si les ESPE auront les moyens et l’ambition de les développer.

ToutEduc : Vous évoquez les UFR, mais les ESPE auront aussi pour partenaires les rectorats...

Patrick Demougin : On remarque, dans toutes les académies, que les personnels d’encadrement relevant des services académiques des rectorats s’impliquent comme il le leur est demandé dans cette réforme. La question est de savoir comment ils articulent leurs compétences sur celles portées par l’université. La tentation pourrait être de penser qu’ils portent la réalité de la professionnalisation, et l’université le reste… un peu comme s’il était question du compagnonnage, tel que le voulait Xavier Darcos. Il faut se garder de ce raccourci et définir sans préjudice pour les missions que porte l’université les parts respectives de responsabilité et les modalités d’intervention de chacun. La question sera sensible pour la formation continue, partiellement à la charge des ESPE. Il serait contre-productif de recréer, au sein des services académiques, des moyens de formation continue des personnels qui se substitueraient, en prenant à leur charge les missions de formation continue, à celles des ESPE, tout en prétendant y contribuer. Ce sont des réglages qui sont en cours, dans les groupes de travail réunis au sein de chaque académie.

Cette réforme de la formation des enseignants est nécessaire. Il est clair, pour tous, qu’elle ne doit pas conduire à la reconstitution des anciens IUFM et ne peut pas plus se limiter à une adaptation de l’existant, sans réelle transformation de la formation professionnelle des enseignants. Si l’ont tient compte aujourd’hui des éléments de mise en œuvre qui se dessinent, eu égard aux disparités de structure, selon les académies, à la résurgence de conflits de territoires dans les groupes de travail, un peu partout, aux difficultés à produire un cursus cohérent en lien avec les concours, et à la faible prise en compte de l’existant, porté par les actuels IUFM, on peut marquer quelques réserves, sans chercher à exaspérer quiconque ou à jouer la mouche du coche. La refondation de l’école de la République exige que l’on ait de fortes ambitions pour la formation des enseignants. Elles ne seront possibles qu’avec des ESPE fortes, qui accueillent et forment des étudiants, dans une logique simple et lisible pour tous les usagers du service public, véritablement organisée comme une formation universitaire-professionnelle, sur des durées qui permettent de donner du sens à chacune des parties qui la constitue.

Propos recueillis par P. Bouchard, et relus par P. Demougin.

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