Le numérique modifie-t-il les organisations scolaires ? (échos du colloque de l'AFAE)
Paru dans Scolaire le jeudi 28 mars 2013.
"Les chefs d'établissement sont inquiets. Les élèves savent parfaitement contourner tous les dispositifs de contrôle d'accès aux sites. Or leur responsabilité est engagée." C'est l'un des éléments qui est ressorti du colloque que l'AFAE (Association française des acteurs de l'éducation) organisait du 22 au 24 mars à Lille sur le thème "Vers quelles organisations scolaires à l'heure du numérique ?" Bernard Toulemonde, ancien recteur et ancien directeur d'administration centrale, qui y assistait, répond aux questions de ToutEduc.
ToutEduc : Le colloque s'était donné pour thème une question de gouvernance. Ce sont pourtant les questions de pédagogie que l'on évoque le plus souvent à propos du numérique...
Bernard Toulemonde : Effectivement. Notre premier conférencier, le philosophe Denis Kambouchner, s'est d'ailleurs plutôt fait le défenseur de la pédagogie traditionnelle. Le maître reste celui qui sait. Et pour la salle, très nombreuse, plus de 300 personnes alors que nos colloques en réunissent habituellement 250, et qui n'étaient pas toutes sur des positions traditionnelles, le maître reste irremplaçable. Le numérique donne accès au savoir, mais c'est l'enseignant qui donne du sens, et qui rassemble les petits bouts épars de connaissances. C'est d'ailleurs ce que font déjà les professeurs-documentalistes.
ToutEduc : Avez-vous évoqué les freins à l'utilisation en classe du numérique ?
Bernard Toulemonde : Nous avons eu une excellente conférence du Jean-Yves Capul, sous-directeur au ministère, en charge du développement numérique, qui a expliqué comment la loi d'orientation allait transférer aux collectivités les compétences sur les matériels et leur maintenance, compétences qu'elles ont souvent déjà prises en charge, comme en Rhône-Alpes. C'est que les enseignants craignent souvent qu'une défaillance technique les mette en difficulté au milieu d'un cours.
Un autre frein a été évoqué, c'est les corps d'inspection. Si tous les enseignants ne sont pas férus d'informatique, c'est encore pire avec les inspecteurs. Il faudrait qu'ils s'y mettent, qu'ils soient des usagers du numérique, et qu'ils modifient leur organisation, qu'ils se décloisonnent. On voit d'ailleurs que ce sont les élèves qui poussent à la roue, qu'ils attendent du numérique davantage d'interdisciplinarité, et des activités de type TPE (travaux personnels encadrés).
ToutEduc : Les ENT (environnements numériques de travail) jouent-ils un rôle important dans l'organisation scolaire ?
Bernard Toulemonde : Quand j'étais inspecteur, je me rendais bien compte que les cahiers de textes, que les enseignants étaient tenus de renseigner, l'étaient de façon très inégale, et c'est une litote ! Avec les ENT, ils le sont. Et les parents, qui disposent presque tous d'une connexion, suivent par ce biais les progressions pédagogiques, les travaux donnés à leurs enfants. Ils peuvent ainsi les aider. Les ENT ont vraiment modifié la relation des parents à l'établissement, depuis qu'ils ont accès immédiatement aux notes de leurs enfants et au cahier de textes de la classe.
ToutEduc : Le numérique modifie aussi les relations avec les collectivités ?
Bernard Toulemonde : Du fait de la décentralisation, nous avons trois niveaux à articuler, l'académie, l'établissement et la collectvité. Celle-ci va doter l'établissement, mais en fonction d'un projet. Les CRDP jouent aussi un rôle important, en termes d'information des enseignants.
Cela dit, nous n'avons pas encore une vision très claire de ce que le numérique va induire en termes d'organisation des établissements, de leurs relations entre eux et avec l'académie.
ToutEduc : Au numérique est souvent associé l'idée d'un danger nouveau pour les élèves, qui peuvent accéder à des sites pornographiques...
Bernard Toulemonde : Les chefs d'établissement sont inquiets. Leur responsabilité est engagée. Or les élèves sont très doués pour contourner tous les dispositifs techniques mis en place pour contrôler l'accès à certains sites, et dont l'efficacité est aléatoire.
ToutEduc : Quel sera le thème du colloque de l'an prochain ?
Bernard Toulemonde : Nous nous demanderons si on peut réformer l'Education nationale !