Rythmes scolaires : pourquoi les villes moyennes hésitent...
Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 22 mars 2013.
"La recension des villes qui passent aux 4,5 jours dès 2013 est en cours, toutes n'ont pas encore pris leur décision, mais je suis frappée de voir que certaines, comme Anglet et Beauvais, qui avaient annoncé fin janvier qu'elles optaient pour 2013 finalement reportent à 2014." Nicole Gibourdel, déléguée générale de la Fédération des villes moyennes, répond aux questions de ToutEduc
ToutEduc : Les Villes ont encore quelques jours pour se prononcer... Quelles sont les tendances ?
Nicole Gibourdel : Fin janvier, nous avions, parmi nos 155 villes adhérentes, une trentaine de communes qui annonçaient leur intention d'appliquer la réforme en 2013, une soixantaine optant pour 2014 et autant qui n'avaient pas encore fait leur choix. Nous verrons à la fin mars ce qu'il en sera, mais je ne vois pas arriver de nouveaux "oui", et, à l'inverse, des Villes comme Anglet, dirigée par un maire PS, et Beauvais, dont la maire est UMP, et qui avaient opté pour 2013 reviennent sur leur choix.
ToutEduc : Comment comprenez-vous les hésitations des maires ?
Nicole Gibourdel : Je ne peux pas me prononcer sur tel ou tel, mais en règle générale, et indépendamment des étiquettes politiques, les maires sont favorables à tout ce qui est une amélioration du scolaire et du périscolaire. Là, ils n'ont pas toujours senti l'adhésion des familles, et ils ont perçu de gros freins du côté des enseignants. On leur demande des journées aussi longues qu'avant et de revenir le mercredi...
ToutEduc : La réforme ne demande pas aux enseignants de venir plus longtemps...
Nicole Gibourdel : En nombre d'heures de classe, non, mais beaucoup de Villes envisagent de placer les activités périscolaires dans le prolongement de la pause méridienne, parce qu'ils ont sur place, dans l'école, les animateurs qui assurent le temps du déjeuner. C'est difficile de les faire partir à 14h et revenir à 15 h 45 ! Du coup, pour les enseignants, la journée se termine toujours à 16h 30. De plus, ils s'inquiètent de la qualité des activités périscolaires organisées sur 3/4 d'heure. Cela risque d'être de la garderie, des siestes prolongées, des jeux de ballon, ou pire... regarder la télé par temps de pluie !
ToutEduc : Les maires partagent certainement cette inquiétude !
Nicole Gibourdel : Oui, ils sont tous d'accord avec les objectifs de la réforme, et ils disent tous "soyons ambitieux, faisons des choses intéressantes", mais ils ont besoin de temps pour les mettre en place. Il faut trouver, et souvent former, des animateurs de qualité, qui ne seront pas forcément ceux du mercredi matin, souvent des étudiants qui groupaient leurs cours sur les autres jours de la semaine, et qui ne peuvent pas se rendre disponibles un peu tous les jours.
ToutEduc : A combien la fédération estime-t-elle le surcoût de cette réforme ?
Nicole Gibourdel : Nous l'avons chiffré à 152,75 € par enfant et par an, y compris les dépenses de chauffage pour la demi-journée supplémentaire, mais non compris la cantine le mercredi. Or il sera souvent difficile de dire aux parents : "vos enfants vont à l'école le mercredi, mais vous vous débrouillez pour le déjeuner." Tous les textes que nous voyons passer, que ce soit la loi, le décret sur les rythmes scolaires ou la circulaire publiée le 21 mars, évitent soigneusement tout ce qui pourrait faire penser à "un transfert de compétences". Qui dit "transfert de compétences" dit en effet compensation financière... En même temps, il nous faut demander une dérogation pour ne pas appliquer le décret dès cette année. C'est assez contradictoire.
Si on pense que les Caisses d'allocations familiales n'auront pas les moyens d'abonder les budgets, les Villes auront le choix : augmenter la fiscalité ou tailler dans d'autres dépenses. Or les populations s'appauvrissent, les impôts locaux et les droits de mutation rentrent moins, les dotations de l'Etat diminuent...
ToutEduc : Quelles sont les difficultés matérielles auxquelles se heurtent les Villes ?
Nicole Gibourdel : Elles sont parfois confrontées à des questions très complexes. Pour créer un service de cantine le mercredi, s'il est délégué à un prestataire extérieur, il faut lancer un appel d'offres. C'est une procédure qui prend un an. Même une commune qui a choisi d'y aller en 2013 dès janvier est hors délais. Même chose pour les transports scolaires le mercredi ou le samedi matin. Il faut un appel d'offres. Imaginez en plus la complexité si l'organisation des transports est départementale, que certaines communes optent pour le mercredi, d'autres pour le samedi, et que d'autres attendent un an !
Les organisations intercommunales sont également bousculées, si toutes les communes ne font pas les mêmes choix. Comment gérer les infrastructures sportives et culturelles, souvent situées dans la ville centre, si certains enfants doivent aller à la piscine dans le cadre scolaire le mercredi matin, et d'autres y aller avec le centre aéré le même mercredi matin ? Quand le conservatoire départemental de musique va-t-il réunir sa classe d'orchestre ou de chant choral ?
ToutEduc : Vous avez évoqué les élections de 2014, n'y a-t-il pas aussi une difficulté politique ?
Nicole Gibourdel : Si, bien sûr. La future loi de décentralisation, et au-delà, tout le mouvement actuel incite à l'intercommunalité. Or le décret, tout comme la circulaire "Peillon-Fourneyron" sur les PEDT, se situent dans une logique communale, elle crée une segmentation. La réforme des rythmes scolaires ne doit pas pénaliser les enfants des plus petites communes de l'intercommunalité qui ne seraient pas prêtes pour 2013 et qui ne disposeraient plus de l'offre culturelle et sportive de la ville centre le mercredi matin. Les maires veulent prendre le temps de rassembler tout le monde, pour y aller ensemble...
ToutEduc: Avez-vous dit tout cela à Vincent Peillon et à ses conseillers ?
Nicole Gibourdel : Oui. Mais ils ne sont pas dans une logique territoriale.
Le site de la fédération des villes moyennes ici