Education à la sexualité : "Pour l'Education nationale, la prévention doit découler de l'éducation" (Chantal Picod)
Paru dans Scolaire le mercredi 06 mars 2013.
Chantal Picod est chargée depuis 1994 au ministère de l’Education nationale des formations et de la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité. Elle interviendra vendredi 8 mars 2013 au colloque "La santé des femmes en question" organisé par la chaire Santé de Sciences po. Elle répond aux questions de ToutEduc.
ToutEduc : Que peut-on attendre de l’Education nationale en termes d’éducation à la sexualité ?
Chantal Picod : Il faut distinguer ce qui relève du social et ce qui relève de l’intime. Nous ne voulons pas nous mêler de la vie privée des adolescents et des enfants. Selon nous, la prévention découle de l'éducation. Nous ne faisons pas non plus de démonstrations de ce qui pourrait se passer dans l’intime. Notre projet, c’est d’aborder la sexualité par l’entrée sociale. Nous travaillons sur les représentations sociales de la sexualité, qui recouvrent aussi bien le biologique, avec la procréation, la contraception par exemple, que le psycho-affectif, c’est-à-dire le rapport à l’autre, la famille, et la manière dont la société encadre cette sexualité. Nous discutons de ce qu’ils savent, de ce que la société attend d’eux, des cadres institutionnels et législatifs qui encadrent la sexualité.
Nous leur faisons prendre conscience aussi des injonctions paradoxales implicites que leur impose la société. Mais nous ne cherchons pas à les résoudre à leur place. Par exemple, la société permet la liberté sexuelle des adolescents mais en revanche, ils ne faut pas qu’ils fassent d’enfant avant 25 ans. Donc ils peuvent se comporter un peu comme des adultes mais pas vraiment.
ToutEduc : Comment s’organise cette éducation à la sexualité ?
Chantal Picod : Ce sont des groupes de parole animés par des intervenants formés, en binôme. Nous ne souhaitons pas que les élèves nous parlent de leur vie sexuelle ou privée. Nous les amenons à généraliser, à prendre du recul par rapport aux situations auxquelles ils sont ou peuvent être confrontés. Notre propos n’est pas de donner une foule de connaissances mais de réfléchir sur des problématiques. Nous leur donnons bien sûr les informations nécessaires à la construction d'une réflexion dans le groupe. Et nous les amenons à exprimer eux-mêmes leurs messages de prévention. Par exemple, à propos de la contraception, il est important de parler d'abord du désir d'enfant pour que le groupe élabore ensuite une réflexion sur la réalisation possible ou non de ce désir et sur les moyens de différer la concrétisation de ce désir. C'est à ce moment-là qu'ils peuvent intégrer le message de prévention et donc une contraception. Ce que nous voulons, c’est qu’ils soient en mesure de faire des choix éclairés. Ils doivent savoir que nous vivons dans une société libérée mais qu’il y a des contraintes.
ToutEduc : Et l’homosexualité ?
Chantal Picod : Je précise que les intervenants n'arrivent pas cette thématique mais vont se ressaisir du questionnement des jeunes, si, compte tenu de l'actualité, comme la question du mariage pour tous, ils abordent le sujet. Evidemment, il ne sera pas traité de la même manière en fonction de l'âge des élèves. Nous les amenons alors à comparer le statut de l'homosexualité dans les diffrénets pays, la pénalisation ou pas de cette orientation sexuelle. Nous leur signalons que c’est un fait que 6 à 8% de la population est homosexuelle. Nous les amenons à réflechir sur les préjugés sociaux. Et nous leur donnons des arguments pour les aider à respecter, à accepter la différence. Nous leur expliquons la distinction entre identité sexuelle et orientation sexuelle. Et que personne, à part eux-mêmes, ne peut déterminer qu’elle est leur orientation sexuelle. Nous expliquons aussi que les pratiques sexuelles, même avec quelqu'un de son propre sexe ne modifie pas l’orientation sexuelle. Enfin, nous les informons de l’existence de groupes de paroles, des numéros azur et des personnes relais dans l’établissement s’ils font l’objet de discriminations.
ToutEduc : Quels sont les freins à la mise en place de la loi de 2001 et de la circulaire de 2003 ?
Chantal Picod : L’éducation à la sexualité n’est pas une discipline. Nous dépendons de la bonne volonté des enseignants, à se former, à prendre du temps en dehors de leur temps de travail. Et les formations qu’ils reçoivent ne sont pas reconnues. Je plaide d’ailleurs pour que ces formations soient reconnues, pour les 40 000 professionnels bénévoles et les 379 formateurs. On pourrait par exemple inscrire dans l’emploi du temps des élèves et des enseignants une heure par semaine d’éducation à la santé, à la sexualité et à la citoyenneté, dans le cadre des CESC (comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté).
Le problème c’est les moyens. Si on compte 3 séances par an, cela équivaut à un temps plein pour un établissement de 500 élèves. Si on ajoute l’éducation à la santé, cela fait deux équivalents temps plein. En outre, cela mobilise le personnel medico-social qui se consacre déjà à de nombreuses autres missions. Ces restrictions ne sont pas propres à la France. Au Québec, l’éducation à la sexualité était inscrite dans les programmes scolaires avant d’être supprimée à cause d’un manque de moyens.
Chantal Picod est chargée depuis 1994 au ministère de l’Education nationale et au rectorat de Lyon des formations et de la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité. Elle est enseignante. Elle a une formation de sexologue en France et au Québec. Elle a publié "Eduquer à la sexualité", Chronique Sociale 2010.
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