Faut-il rapprocher les enseignants d'EPS des fédérations sportives ? (Cour des comptes)
Paru dans Scolaire le mardi 29 janvier 2013.
"Dans la pratique du sport pour tous il existe un net cloisonnement entre, d’une part, le sport scolaire et universitaire et, d’autre part, le sport en club, auquel il est nécessaire de remédier." Dans un rapport publié le 17 janvier dernier, la Cour des comptes critique le fonctionnement actuel du "sport à l'école". Elle le juge mal articulé avec l'objectif majeur du ministère, "l'accès au sport pour tous", en dépit de financements publics très importants. La Cour note ainsi que la seule rémunération des enseignants d'EPS regroupe "plus de 80% des dépenses de l'Etat en direction du sport", soit 3.5 milliards d'euros. Pourtant, "le sport à l'école n'est pas clairement intégré à la politique de l'Etat en faveur du sport pour tous".
La Cour émet trois recommandations principales. Elle considère que "le décloisonnement des acteurs apparaît indispensable" et préconise de développer "les passerelles entre le sport à l'école et le sport en club". Les enseignants d'EPS devraient avoir la possibilié d'utiliser une partie de leurs 3h dérogatoires hebdomadaires en-dehors du cadre scolaire, pour intervenir dans les clubs fédéraux. Leur participation aux activités de l'association sportive de leur établissement serait aussi soumise à "un contrôle effectif du travail fait".
Pour la Cour, le décloisonnement doit aussi être institutionnel. Il faudrait mieux coordonner l'action des ministères du Sport et de l'Education en élaborant "un document de politique transversale" qui définirait "des conventions d'objectifs communes". Ce contrat pourrait déboucher sur une redéfinition du statut de l'UNSS, la fédération du sport scolaire. La Cour ne plaide plus pour son intégration "au sein même de l'Education nationale, éventuellement dans le cadre de l'enseignement obligatoire", comme elle l'avait proposé dans un précédent rapport (lire ToutEduc ici). En revanche, elle demande "une clarification de la répartition des rôles entre l’Education nationale et l’UNSS en matière de sport scolaire", ce qui passe par une meilleure définition des objectifs poursuivis par l'Education nationale en matière d'éducation physique et sportive.
Des "aménagements" prévus
Dans sa réponse à la Cour des Comptes, Vincent Peillon affirme vouloir mettre en oeuvre "des aménagements" pour mieux contrôler le fonctionnement des associations sportives et de l'UNSS. Il confirme la signature d'une convention entre l'UNSS et le ministère (déjà annoncée en septembre dernier), et annonce avoir fixé "un objectif quantitatif en matière de développement du sport scolaire" à chaque académie. Afin de vérifier "l'effectivité" du travail des enseignants auprès de l'association sportive de leur établissement, V. Peillon affirme que "les inspections sur les créneaux horaires dévolus au sport scolaire seront accrues".
En revanche, le ministère de l'Education ferme la porte à deux propositions de la Cour des Comptes. Il estime "difficilement envisageable" de faire intervenir les enseignants d'EPS dans des clubs fédéraux sur leur temps de service. Cette proposition ne tiendrait pas suffisamment compte "des réalités de terrain et des règles statutaires ou de finances publiques". S'il se montre moins définitif sur la définition d'un "document de politique transversale" qui coordonnerait les actions des ministères de l'Education et du Sport, V. Peillon semble juger cette proposition irréalisable à court terme. Elle nécessiterait "une disposition législative dans une loi de finances", ainsi qu'un "travail de coordination préalable très significatif de la part des ministères concernés".
Pour favoriser le rapprochement des établissements scolaires et des fédérations, le ministère n'envisage pas d'aller au-delà des instructions actuelles. Il estime que la convention cadre du 25 mai 2010, passée avec le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), encourage déjà "un rapprochement entre le monde sportif et l’Ecole". En-dehors de cette convention, la formule actuelle oblige les sections sportives à nouer "un partenariat avec un club ou une ligue dans l'activité pratiquée" tout en laissant aux AS le soin des "définir les modalités des partenariats". Des expériences éducatives, comme le dispositif "cours le matin, sport l'après-midi", sont aussi menées, sans se situer dans un cadre d'action national.
Valérie Fourneyron confirme cette analyse et affirme que "des efforts ont déjà été engagés" pour rapprocher l'Ecole et les fédérations afin de définir une "approche globale" du sport. Ils doivent cependant être "accentués" car le décloisonnement entre les acteurs du sport est "nécessaire". Pour ce faire, il faudrait "adapter les outils juridiques actuels", en développant notamment "des passerelles entre les diplômes des STAPS et les diplômes jeunesse et sport" et en signant une "convention d'objectifs avec l'UNSS". Ces évolutions seront menées par le "Conseil national du sport" (CNS), qui devrait être bientôt créé. Il associera "l'ensemble des acteurs du sport à la définition des politiques sportives". Interrogée dans le cadre de ses voeux à la presse, V. Fourneyron rappelle que "les fédérations scolaire ont toute leur place dans ce conseil national".
Sans évoquer la possibilité d'élaborer un "document de politique transversal" entre les ministères de l'Education et du sport, la ministre affirme que le CNS favorisera une meilleure coordination entre ces acteurs institutionnels. "Pour la première fois", le ministère de l'Education nationale sera représenté dans cette instance, au même titre que le ministère des Sports, de la Jeunesse, de l'Education populaire et de la Vie Associative.
Le président de l'Union Nationale du Sport Scolaire (UNSS), Laurent Petrynka, rappelle que le statut de l'UNSS est cohérent avec les dispositions du code du sport et de l'éducation dont les associations sportives scolaires dépendent. A la suite de V. Peillon, il estime que la coordination des différents acteurs est déjà assurée par un certain nombre de directives du ministère de l'Education. Selon L. Petrynka, plusieurs textes existants établissent "la cohérence des rôles et des objectifs entre l’éducation nationale, l’UNSS et les associations sportives".
Des liaisons dangereuses ?
Certains syndicats se montrent plus hostiles à un rapprochement du sport scolaire et des fédérations. Selon le SGEN-CFDT, le rapport de la Cour des Comptes confond la "pratique physique pour tous" avec le "sport", qui est "par définition dans la recherche de la performance". Selon le syndicat, les établissements scolaires doivent rester à l'écart des fédérations sportives, "qui ont souvent des intérêts économiques et commerciaux qui orientent leurs politiques". Il oppose ainsi la démarche de l'Ecole, où "toute activité, sportive ou autre, est un moyen d'émancipation de l'élève, non une fin", à celle des fédérations, "centrées sur leur spécificité disciplinaire". Le SGEN-CFDT incite donc le sport scolaire à "rester à l'abri de ces appétits-là" et "rester scolaire".
Le syndicat FO des lycées et collèges se montre tout aussi réfractaire au rapprochement des établissements scolaires et des fédérations sportives. Le SNFOLC s'oppose au "changement de statut" de l'UNSS, ainsi qu'à la mise à disposition des 3h dérogatoires "au profit d'autres partenaires", dont les fédérations sportives.
Pour autant, contrairement au SGEN-CFDT, il ne s'oppose pas à la proposition de la Cour des comptes en raison de sa conception du sport scolaire. FO n'oppose pas sport scolaire et pratique de la compétition. Selon le syndicat, l'UNSS et l'EPS permettent au contraire "d'inciter les élèves à poursuivre des pratiques sportives compétitives pendant et après leur scolarité, dans les structures sportives civiles".
En revanche, les propositions de la Cour des Comtes iraient selon le SNFOLC dans le sens d'une "territorialisation" de l'éducation, à laquelle il s'oppose. Le syndicat FO de l'enseignement reproche à la loi de Vincent Peillon de "confirmer ces orientations" et ainsi de menacer "le service public" d'éducation. "Le passage d’une partie des obligations de service au bénéfice des collectivités territoriales risque de devenir la règle", s'inquiète le syndicat. Il milite donc pour préserver "la spécificité de l'UNSS comme service public et prolongement de l'EPS qui ouvre sur des pratiques sportives compétitives".