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Education nationale : le retour à « la chasse gardée » ? Le rôle de la Politique de la ville (tribune)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 23 janvier 2013.

Fabienne Messica, sociologue, spécialiste des politiques éducatives locales, propose cette tribune aux lecteurs de ToutEduc.

A la faveur de la décentralisation, les collectivités se sont, au fil des années, impliquées de façon de plus en plus active sur le champ de l’éducation. Elles sont passées d’une politique cantonnée à des "services" aux établissements scolaires -le soutien aux sorties pédagogiques ou aux voyages scolaires par exemple- à une logique plus exigeante de projets éducatifs intégrant ce que propose la collectivité et l’Education nationale. Ce mouvement a été largement favorisé par la politique de la Ville au travers d’expérimentations influentes qui viennent porter au cœur de la question éducative celle de l’égalité. Ainsi, depuis 2005, partant de l’hypothèse que les enfants ont des besoins individuels distincts, le dispositif de la "réussite éducative" a permis l’accompagnement individualisé d’enfants, de jeunes et de parents rencontrant des difficultés. De son côté, l’Education nationale a évolué dans le même sens et développé des dispositifs éducatifs individualisés. Avec ces coopérations s’est imposée l’idée que tout le monde est concerné par l’éducation. Pas seulement l’école et ses enseignants mais l’ensemble de ceux qui entourent l’enfant : parents, voisinage et associations de quartier.

Si, à priori, il semble légitime que se préoccupant du futur citoyen, les collectivités soient concernées, tout autant par les problématiques de comportement dans l’espace public que par celles de la santé, de la réussite scolaire, de l’ouverture culturelle, artistique et sportive, bref par l’environnement global qui permettra à chaque enfant de s’épanouir et de devenir un adulte inséré socialement, cette démarche rencontre de nombreux obstacles. En premier lieu, l’extra-territorialité de l’Ecole rattachée d’abord à l’Etat-nation avant de l’être à la ville conduit à des degrés de coopération inégaux selon que les acteurs locaux de l’école y soient favorables ou non. Pourtant, on le sait tous : l’école s’inscrit dans un environnement éducatif (conditions sociales, quartier, famille, etc.) qui influe sur la manière dont chacun grandit et se construit, et l’engagement d’une école au sein de son territoire est un facteur de réussite pour les élèves. Mais, reposant sur la volonté individuelle des enseignants ou des équipes, cet engagement n’est pas porté politiquement par l’institution et les enseignants qui s’y consacrent ne sont pas reconnus au niveau de l’effort consenti.

Il est ainsi d’autant plus difficile pour la politique de la Ville d’être reconnue spécifiquement dans le domaine éducatif pourtant vecteur de cohésion sociale, qu’elle est portée par des collectivités confrontées à l’acteur "Education nationale" dans sa déclinaison étatique et locale sans qu’aucune règle du jeu, ni cadre de coopération n’ait été défini. Cette question, quoique cruciale, de la gouvernance éducative, du rôle des collectivités, de l’Etat, de l’Education nationale et de sa déclinaison locale n’a jamais été clairement tranchée.

Sans doute faut-il voir aussi, dans le refus d’une politique de la Ville éducative, un reproche bien plus fondamental que celui de "trop faire" dans un domaine où les besoins sont immenses. Admettre l’utilité de la politique de la Ville dans ce domaine, c’est en effet reconnaître que l’école ne parvient pas toute seule à corriger les effets de l’inégalité sociale et de la situation des quartiers sur l’accès à l’éducation. Une politique éducative de la Ville, c’est la remise en cause de l’égalité républicaine et de son mythe fondateur : l’Ecole pour tous. Aussi, même si les collectivités partagent la conviction avec les acteurs de l’Education nationale que c’est d’abord l’inégalité des ressources des écoles (tous degrés confondus) qu’il faut combattre, leur intrusion dans la "chasse-gardée" de l’Education résonne comme une accusation. S’il est avéré que l’école seule n’est pas en capacité de corriger les inégalités, si pour y remédier sérieusement, il faudrait une fois pour toutes l’entendre, l’afficher au travers d’une politique, c’est encore lui faire perdre son prestige.

Les lignes bougent pourtant et deux tendances contradictoires se manifestent. D’un côté, la concurrence avec l’Education nationale semble s’accroître: cette dernière intervient désormais sur le temps périscolaire (mise en place de l’accompagnement éducatif depuis 2008 dans les écoles élémentaires des quartiers prioritaires et dans tous les collèges) et reprend à son compte le concept de "réussite éducative" pour ses propres dispositifs ; d’un autre côté, l’interdépendance des acteurs par exemple pour organiser la journée et la semaine des enfants les conduit à coopérer plus étroitement ; enfin une évolution "philosophique" les rassemble avec la prise en compte plus forte des parents ou de la singularité des individus.

C’est pourquoi, je crains que les rapprochements entre les acteurs municipaux, les associations et l’Ecole ne soient progressivement mis en échec par des orientations politiques qui favorisent la concurrence de "compétences" autour de l’éducation**. Or, revenir à une conception réductrice plaçant l’Ecole au centre et la Ville en périphérie, viendrait briser des dynamiques et tarir toute une énergie orientée vers le changement. Si l’Etat comme il le manifeste est réellement mû par une volonté de réforme tant de l’Ecole que de la politique de la Ville, il est temps de la traduire par une orientation politique et un cadre juridique qui prennent acte de ces dynamiques et qui facilitent des coopérations locales sans lesquelles toute réforme sur le champ éducatif ne pourra intervenir qu’à la marge.

C’est d’autant plus crucial et urgent que la question de l’éducation est au cœur de la lutte contre les inégalités au même titre que le logement et l’emploi. C’est aussi un enjeu de démocratie locale qui demande à associer les habitants, organisés ou pas, aux décisions dans ce domaine ; ce que l’Ecole réalise encore difficilement et surtout, qui ne peut réussir sans l’engagement des Villes dans un projet éducatif réellement démocratique et vigoureusement impliqué dans la lutte contre les inégalités.

* Cette évolution s’est traduite par celle des dispositifs avec un accompagnement à la scolarité ouvert à tous, les contrats ou projets éducatifs locaux (offre collective) puis enfin une offre individualisée pour les enfants et jeunes rencontrant des difficultés et pour les parents (Programme de Réussite éducative en 2005).

** A cet égard, observons que les attributions de la ministre chargée de la réussite éducative auprès du ministre de l’Education nationale qui "traite …des questions relatives à la préparation et à la mise en œuvre des mesures propres à favoriser la réussite scolaire de tous les élèves" ne mentionnent à aucun moment la politique de la Ville pourtant auteure du concept.

Contact: fabienne.messica@wanadoo.fr.

 

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