Le SGEN-CFDT estime que les questions d'éducation restent mobilisatrices, même si les politiques sont en panne d'inspiration
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture, Justice, Orientation le mercredi 10 juin 2009.
Thierry Cadart, secrétaire général du SGEN-CFDT, répond aux questions de ToutEduc: violence à l'école, absence de politique "Jeunesse" du Gouvernement, absence d'alternative à gauche, lien entre la Nation et l'Ecole en déshérence. Et pourtant, il conserve une bonne dose d'optimisme (le site du SGEN).
- Xavier Darcos annonce des moyens pour lutter contre l'introduction d'armes dans les établissements scolaires. L'ensemble paraît encore très flou. Comment jugez-vous le travail d'une administration qui n'a pas étudié la faisabilité technique des mesures dont elle préconise la mise en oeuvre?
Thierry Cadart: Une fois de plus, on se retrouve avec des annonces très médiatiques, non réfléchies, qui flattent ce que l'on croit être l'opinion publique pour se payer un succès facile. Après l'effervescence médiatique, on se retrouvera avec des mesures pour l'essentiel inapplicables (ou qui l'étaient déjà) et un problème, celui de la violence à l'école, intact voire aggravé parce que l'on aura encore reculé le moment de se poser la vraie question: qu 'est-ce qui relève de la responsabilité de l'Ecole dans les phénomènes de violence? En quoi son organisation, son fonctionnement, doivent-ils être modifiés pour la réduire?
- Si je vous entends bien, vous dites "brutalité et improvisation". Ce jugement vaut-il pour d'autres départements ministériels?
Thierry Cadart: Ce sont les deux faces de la même attitude: l'improvisation provient souvent d'un refus de la concertation et du dialogue social qui exprime une forme de brutalité. Il y a dans les décisions et dans les expressions de ce gouvernement la permanence de la tentation d'une revanche à prendre sur la fonction publique qui est très mauvaise conseillère. Ceci dit, entre le sabrage à la hussarde dans l'administration et les missions de "Jeunesse et sports", et les gages de volonté de dialogue donnés par Mme Pécresse à la suite des mouvements dans le sup et la recherche, il y a quand même des nuances.
- Que devient la Jeunesse dans le dispositif gouvernemental?
Thierry Cadart: Bonne question ! Un secrétaire d'Etat absent, un haut commissaire qui n'est pas un ministre, il y a un manque de lisibilité dont les personnels se plaignent. Par ailleurs, nous sommes dans l'attente du plan de monsieur Hirsch, nous verrons bien, mais le gouvernement est-il prêt à fournir l'effort nécessaire pour les jeunes générations et à mener une politique sur la durée ? Et puis quelles réponses à l'aggravation du chômage des jeunes ? Vu la déprime du marché de l'emploi, est-ce acceptable de maintenir les suppressions de poste dans la fonction publique ?
- Le président, le Premier ministre, le ministre de l'Education nationale revendiquent leur appartenance à la Droite. En quoi la politique suivie permet-elle de comprendre ce qu'est une perspective de droite pour l'Education?
Thierry Cadart: Au début du quinquennat il y avait un pari ambitieux de réconcilier les enseignants avec la droite. Pour l'instant c'est raté ! Ce pari reposait sur l'idée que les enseignants étaient prêts à échanger des améliorations de leur situation matérielle contre une diminution de leur nombre. C'était faire peu de cas de la question des conditions de travail qui se trouvent aggravées par les suppressions de postes, c'était présupposer que les enseignants pouvaient adhérer à une vision élitiste et malthusienne de l'Ecole. Heureusement, ce n'est pas le cas. Au delà de ce dogme de la réduction de l'emploi public et d'une vision souvent passéiste de l'Ecole, il ne faut pas oublier que des hommes de droite comme René Haby ont pu porter des réformes progressistes, au total la situation doit être plus complexe dans ce camp que ne le laisse supposer l'action gouvernementale.
- L'absence de projet "de gauche" pour l'Education gêne-t-elle l'action syndicale, ou au contraire, la libère-t-elle?
Thierry Cadart: Cela fait maintenant longtemps que le Sgen-CFDT affirme son indépendance face au politique. Mais il n'empêche que la situation politique rejaillit directement sur les conditions de notre action. Globalement l'absence à ce jour d'alternative gouvernementale crédible nous affaiblit par rapport au gouvernement. Sur les questions d'éducation, ce qui nous gêne c'est que le PS tienne un discours finalement symétrique de celui du gouvernement sur les moyens: à ceux qui n'envisagent une réforme que si elle économise des moyens s'opposent ceux qui n'envisagent plus de réformes tant qu'on ne règle pas la question des moyens...
- Contrairement à ce qui est souvent dit, les syndicats ne sont pas les courroies de transmission des partis politiques. Les partis, notamment à gauche, élaborent leur projet en fonction des syndicats, et en matière d'éducation craignent de fâcher l'électorat enseignant. Pensez-vous que la crise de la pensée politique actuelle annonce la rupture de ce lien? L'espérez-vous?
Thierry Cadart: Je ne sais pas trop ce que l'on peut espérer des réflexions actuellement en cours dans les partis politiques sur les évolutions de l'Ecole. Les partis craignent non seulement de s'aliéner l'électorat enseignant mais aussi de poser toutes les questions qui fâchent sur les sujets liés à l'éducation. Et pourtant il y des choix qui sont des choix politiques à faire. Qui d'autres que les partis politiques auraient la légitimité pour les proposer, même si d'autres acteurs doivent intervenir dans le débat comme les confédération syndicales? Prenez l'exemple de l'introuvable réforme des lycées: j'attends encore que soit posée sur la scène publique la question des missions du lycée du XXI ème siècle : sélectionner une élite ou devenir un élément de démocratisation du système ? Évidement cela a des conséquences, comment les assumer si le débat public n'est pas porté ?
- Que retenez-vous de la Commission Thélot? A-t-elle été, pour vous, une occasion ratée de rétablir un lien entre l'opinion publique, la Nation, et l'Ecole?
Thierry Cadart: Le grand débat pour l'école a quand même été un moment très fort de démocratie participative. La méthode était la bonne, elle a rencontré une véritable envie, partagée par nombre de nos concitoyens de débattre de ces questions d'éducation. Avec, au final, une vision assez consensuelle des attentes vis à vis de l'Ecole. Dommage que la montagne ait accouché d'une souris avec la Loi Fillon qui est bien en deçà des attentes exprimées. Mais le constat reste : le débat autour de l'Ecole peut rester passionnant et porteur de progrès social pourvu qu'on veuille le mener. Le lien entre l'opinion publique, la Nation et l'Ecole n'est pas rompu, il est en déshérence, sans doute parce que les formations politiques peinent à inventer l'avenir, en particulier de la jeunesse. Mais la passion reste intacte, je suis persuadé que ces questions d'éducation peuvent, demain, redevenir des questions mobilisatrices.