Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Auxiliaires de Vie Scolaire : Les difficulté d'une nouvelle profession (témoignage)

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 19 octobre 2012.

Avec l’ouverture du chantier interministériel du métier d’accompagnant le 16 octobre dernier ou encore la création de 1 500 postes à la rentrée, les AVS (auxiliaires de vie scolaire) sont très présents dans l’actualité de ces dernières semaines. Florence Sicaud, adjointe de direction du SESSAD (Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile) APF de Bonneuil-Choisy, revient pour ToutEduc sur le fonctionnement de ces AVS, sur les enjeux de leur présence l’école et sur les réalités auxquels ils sont quotidiennement confrontés. Chargée d’assurer la cohérence entre les PPS (projets personnalisés de scolarisation, élaborés par la Maison départementale des personnes handicapées pour définir et satisfaire les besoins de l’enfant au sein de l’établissement scolaire) des enfants pris en charge par le service, et le projet global proposé pour la scolarisation de ces enfants, elle connaît les rouages d’un dispositif complexe.

ToutEduc : La demande d‘attribution d’un AVS pour un enfant se fait lors de la réunion de l’équipe de suivi de scolarisation, qui réunit la famille, l’école (direction et enseignants), et les partenaires de soins. Comment se déroule cette demande, et comment se fait ensuite l’attribution ?

Florence Sicaud : Habituellement, on évalue le nombre d’heures d’accompagnement nécessaire et leur répartition en fonction de l’emploi du temps de la classe et des difficultés de l’enfant en lien avec le contenu des apprentissages. Sauf que souvent, la répartition des heures qui est faite ensuite ne correspond pas aux besoins. On insiste assez régulièrement pour qu’apparaissent dans l’emploi du temps les moments où on voudrait que l’AVS soit là. Il y a aussi une grille qui nous permet de cibler les besoins de l’enfant et la façon dont l’AVS devrait intervenir, de dire si ce sont des besoins purement matériels, ou si il y a besoin de reformuler les cours, d’aider l’enfant à s’organiser…. La demande est signée par la famille, l’enseignant référent et les partenaires de soins. Elle est envoyée à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), puis c’est lors de la CDAPH, qu’est décidé si oui ou non il y aura AVS. La Commission peut notifier exactement le nombre d’heures sollicité, ou un nombre inférieur. Elle peut aussi notifier un refus, par exemple si elle juge que l’enfant a trop de difficultés motrices ou intellectuelles et n’a pas sa place à l’école. Ça c’est la première étape. Ensuite, il faut attribuer l’AVS. Ce sont les enseignants référents qui rencontrent les auxiliaires de vie scolaire, et il y a parfois une priorisation des demandes d’attribution, ce qui peut paraître difficile à comprendre mais c’est la réalité de terrain. Dans certaines villes du Val-de-Marne, à la rentrée, il manquait la moitié des heures notifiées. Dans ce cas-là, l’enseignant référent peut être amené à établir des priorités entre les besoins des enfants en fonction de la capacité de l’école à les accueillir en toute sécurité et sérénité. Quand il manque des heures par rapport à la notification, pour les enfants suivis par un SESSAD, l’APF (l'association des paralysés de France) propose un document de mise en demeure, qui peut aider à faire remonter le dossier sur le dessus de la pile. À ce moment-là, il n’y a plus d’égalité entre les enfants suivis par une association comme la nôtre, et ceux dont les familles font face seules.

ToutEduc : Quelle est la place des familles dans la décision d’attribuer un AVS ?

Florence Sicaud : Ce sont les parents qui sont décideurs. Au moment de la demande, ils doivent rédiger une saisine. Et ils décident jusqu’au bout, c’est-à-dire que même après avoir rédigé la saisine, même après la notification de la CDAPH, ils peuvent finalement refuser l’AVS. Quand il y a des difficultés, ce qui fait plus bouger les choses, c’est que les parents fassent remonter les problèmes.Parfois, les familles veulent absolument continuer l’accompagnement alors que l’enfant n’en a plus besoin.

ToutEduc : une fois que la demande d’AVS a été acceptée, il faut recruter. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les conditions de recrutement des AVS ?

Florence Sicaud : Concrètement, les contrats signés avec les AVS sont très mal rémunérés et très précaires, puisqu’ils sont de maximum 20h. Il y a deux types de contrats. Les contrats ASED (assistants d’éducation), concernent des gens qui ont au moins le niveau bac. Ils sont renouvelables tacitement tous les ans pendant 6 ans maximum. Si la personne a moins de 50 ans, elle ne peut pas être reprise comme AVS après ces 6 ans, si elle a plus de 50 ans c’est possible. Ce sont souvent des étudiants. C’est ce qui fait, entre autres, que les heures de prise en charge ne correspondent pas toujours aux besoins, parce que ces étudiants doivent aussi aller en cours.

Les contrats CUI (contrats uniques d’insertion) sont passés avec Pôle Emploi. Ce sont des contrats de retour à l’emploi, pour des personnes sans qualifications. Ils sont signés pour une période de 24 mois maximum. 24 mois de date à date. Ça veut dire qu’en cours d’année scolaire le contrat va s’arrêter et que l’enfant change d’AVS, si on en a trouvé un autre. Dans la pratique, on met souvent les personnes sous contrats ASED dans le secondaire, les autres en maternelle et en élémentaire. Quel que soit le type de contrat, les familles sont souvent dans la frustration de voir partir un AVS avec qui ça se passait très bien. Il y a des accompagnements très spécifiques qui demandent six mois pour se mettre en place : au bout d’une année scolaire et un petit bout de rentrée, tout reprendre à zéro est très, très compliqué…

ToutEduc : Un nouveau dispositif est en train d’être mis en place, celui des AVS mutualisés (AVS-m). En quoi consiste-t-il ?

Florence Sicaud : Jusqu’à présent, il y avait deux types d’AVS, les AVS-co (collectifs), dans les CLIS et les ULIS, et les AVS-i (individuels). Maintenant, pour les nouvelles demandes, ils ont mis en place l’aide mutualisée : sur un établissement scolaire, il y a un certain nombre d’heures d’accompagnement à pourvoir pour un certain nombre d’enfants, et le collège emploie un pôle d’AVS. Les AVS peuvent accompagner les jeunes en fonction de leurs besoins de façon plus pointue. Le dispositif fonctionne très bien pour des enfants qui ont besoin d’une aide matérielle : ça nous évitera de demander des heures d’AVS pour un jeune autonome dans ses apprentissages. Mais il peut y avoir des abus.

ToutEduc : On parle souvent du manque d’AVS, qui serait dû à un budget trop serré...

Florence Sicaud : Pour cette année, l’Etat a donné carte blanche pour les recrutements. Contrairement aux années précédentes, le budget est " illimité". Le manque d’AVS n’est pas lié au budget de l’Etat mais aux difficultés de recrutement. Certaines villes ont plus de problèmes de recrutement parce qu’elles sont mal desservies par les transports. Ce sont souvent des personnes dont le salaire ne leur permet pas de se payer un permis ou une voiture. Il arrive régulièrement que le jour de la signature du contrat ou le premier jour de travail, les gens ne se présentent pas. C'est parfois dû aussi au fait que le quartier a mauvaise réputation.

ToutEduc : L’une des grandes revendications des associations dans le cadre du chantier interministériel sur le métier d’AVS qui est en train de démarrer, c’est que les AVS bénéficient d’une vraie formation initiale diplômante. Pour l’instant, qu’en est-il de leur formation ?

Florence Sicaud : Les AVS ont tous droit à 60 de formation. On leur parle globalement de ce qu'est un enfant en situation de handicap, mais tous handicaps confondus. C’est très rapide. Ils ont une connaissance globale : ils peuvent passer une année avec un enfant autiste, et l’année suivante être basculés auprès d’un enfant handicapé moteur. Mais chaque enfant en situation de handicap a des besoins différents, et les AVS ont beaucoup de mal à se positionner par rapport à l’enfant, à l’enseignant, à la famille… Nous les aidons à ajuster au mieux leur présence. Ils sont demandeurs. C’est parfois compliqué, pour un AVS qui accompagne un enfant à plein temps, de ne pas en faire trop, de ne pas prendre la place de l’enseignant. Il y a des AVS qui donnent les réponses à l’enfant. Les 60 heures de formation ne sont pas suffisantes. Mais il y a des AVS qui sont très compétents sans avoir un niveau scolaire élevé, alors qu’à l’inverse des AVS avec un haut niveau d’études qui ne sont pas capables d’avoir une certaine empathie avec l’enfant, et l’accompagnement s’en ressent. Parmi les AVS, on a rencontré tous les cas de figures : des gens très qualifiés et d’autres pas, des gens empathiques et d’autres pas du tout, des gens avec qui on peut travailler intelligemment et d’autres qui croient avoir toujours raison. Parfois on se "bat" contre eux. Nous sommes à contre courant au niveau des besoins et de la réponse apportée.

ToutEduc : il y a un versant du métier d’AVS dont on ne parle pas beaucoup, c’est le versant relationnel. Quelle expérience avez-vous des problèmes relationnels qui se posent dans l’accompagnement d’un enfant par un AVS, et de la façon dont on peut gérer ces problèmes ?

Florence Sicaud : Il y a des classes d’âge où c’est difficile d’accepter l’AVS, au collège par exemple, parce que l’enfant se sent stigmatisé par sa présence. Parfois l’AVS se sent inutile, parce que l’enfant ne veut pas de lui et le sollicite très peu. On travaille là-dessus en équipe de suivi. Il y a des enfants pour lesquels on demande un AVS à plein temps, mais qui n’en ont pas vraiment besoin en classe. Ils en ont besoin entre les cours pour se déplacer, porter leurs affaires… Dans ces cas-là, on propose que l’AVS se mette en retrait au fond de la classe. Pour les enseignants aussi, c’est parfois compliqué d’accepter un adulte dans la classe. Certains délèguent tout à l’AVS. Certains n’ont pas envie d’un témoin dans leur classe. Certains ne comprennent pas la raison de cette présence. Il faut tout le temps prouver que l’accompagnement est nécessaire. Il peut y avoir de la jalousie, entre les enfants ou entre les adultes. Et il y a parfois de gros problèmes de positionnement de l’AVS. On a déjà eu affaire à un AVS très inadapté, qui était assez méprisant avec le jeune, qui ne le laissait pas vivre. On a demandé à ce qu’il soit changé. On l’a retrouvé quelques années plus tard auprès d’un enfant de maternelle : il ne le laissait rien faire, il prenait des notes sur l’enfant. On a fait en sorte qu’il ne soit plus auprès de l’enfant parce que l’enfant n’avait plus besoin d’AVS. Et on l’a retrouvé un an plus tard auprès d’une autre enfant : il n’arrivait jamais à l’heure, il refusait de l’accompagner pour certaines choses… On a donc fait une lettre pour expliquer qu’il y avait vraiment un problème, et il a été licencié. Ils ont tellement de difficultés à recruter qu’ils l’avaient gardé : ils l’ont promené de villes en villes et de classes d’âge en classes d’âge. Un jour, on a eu un AVS qui a fait un courrier aux parents pour leur expliquer qu’ils ne faisaient pas ce qu’il fallait, qu’ils ne prenaient pas leur place de parents. C’est nocif. Il y a des AVS qui s’entendent extrêmement bien avec l’enfant, et c’est la famille qui supporte mal cette relation.

ToutEduc : Comment s’organisent les relations entre l’AVS et les parents ?

Florence Sicaud : Normalement, les familles ne sont pas censées rencontrer directement l’AVS, il faut que ça passe par l’institution scolaire. Par exemple, on s’occupe ici d’un enfant avec une pathologie très particulière dont la maman a voulu rencontrer l’AVS pour le lui expliquer : ça lui a été refusé. Quelque part ça protège, mais c’est aussi un obstacle. Un échange direct faciliterait parfois les choses

ToutEduc : Quelle est la place des AVS au sein de l’équipe de suivi ?

Florence Sicaud : Les AVS ne savent pas toujours ce qu’ils ont le droit de dire. Ils sont au plus près des difficultés de l’enfant, et souvent plus objectifs que d’autres acteurs. Mais ils ne se sentent pas légitimes à dire les choses. Le problème de légitimité est induit par la précarité et le manque de formation. Ce ne sont pas des postes faciles, ils manquent vraiment de reconnaissance. Il y en a qui sont vraiment compétents et on ne les remercie pas assez.

ToutEduc : l’AVS est souvent considéré comme la condition sine qua non de la scolarisation d’un enfant. Quels problèmes cela pose-t-il ?

Florence Sicaud  : Il y a des directeurs d’école qui, par peur, refusent des enfants en l’absence d’une AVS à plein temps. Par exemple pour qu’un enfant puisse rester dans son établissement sur les temps de cantine sans son AVS, l’éducatrice est venue plusieurs fois pour prouver qu’il n’y avait pas de problème. L’équipe municipale a constaté qu’il n’y avait pas besoin d’une personne supplémentaire pour lui, mais ça n’a pas abouti parce que la directrice était complètement affolée. Parfois, on en arrive même à faire des demandes d’accompagnement par une AVS non pas en fonction des besoins de l’enfant, mais en fonction des blocages de l’environnement. Alors que dans la loi, la scolarisation d’un enfant en situation de handicap ne doit pas dépendre exclusivement de la présence d’un accompagnement. Ce ne doit pas être la possibilité d’un accompagnement AVS qui doit conditionner l’inclusion scolaire !

ToutEduc : Et même quand il y a un AVS, la scolarisation n’est pas acquise...

Florence Sicaud : Au SESSAD de Bonneuil, on a une petite fille qui a eu une rentrée très difficile cette année. L’équipe pédagogique avait proposé un redoublement de la grande section. Les parents ont refusé, et le passage a finalement été accordé par la première commission d’appel. Une demande de dérogation avait été faite à la municipalité pour que la petite fille aille dans une autre école, à cause d’un problème d’accessibilité des locaux La directrice de la nouvelle école a refusé l’enfant parce qu’elle trouvait trop compliqué d’accueillir trois enfants handicapés. Une autre dérogation a été accordée, l’enfant s’est présentée le jour de la rentrée dans une troisième école, et le directeur a refusé de la scolariser pour des raisons de sécurité. C’est une quatrième école qui a finalement accepté l’enfant. Mais à chaque fois ce sont des démarches lourdes pour mettre en place le transport, l’AVS…

ToutEduc : Selon vous, quelles sont les limites de la présence d’un AVS auprès d’un enfant ?

Florence Sicaud : L’inclusion scolaire, ce n’est pas la scolarisation à tout prix. Mais c’est compliqué pour certaines familles, qui peuvent occulter la souffrance de leur enfant, ou ne pas bien la reconnaître…plutôt que de le voir passer dans une institution spécialisée. Les AVS se retrouvent alors dans des grandes difficultés relationnelles ou de reconnaissance de leur travail parce qu’ils voient bien que ça ne suffit pas. Ils sont impuissants. Il peut arriver de plus que les parents se retourne contre l’équipe enseignante et l’AVS parce que l’enfant ne progresse pas.

 

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →