"Lire avec les tout-petits" pour développer leur autonomie psychique (colloque "Lire et faire lire")
Paru dans Petite enfance, Périscolaire, Culture le vendredi 12 octobre 2012.
Bibi Lolo de Saint Malo
Qui tue sa femme À coups de couteau
Qui la console À coups de casserole
Qui la guérit À coups de fusil
En chantant cette comptine avec une pointe de provocation, Marie-Claire Bruley illustre sa réponse à ce que signifie "Lire avec les tout-petits", intitulé du colloque par l'association "Lire et faire lire" qui a eu lieu aujourd'hui.
"Ce qu'apprennent les comptines aux enfants, c'est qu'on peut se permettre de dire un mot à la place d'un autre. On peut penser l'impensable, l'inconvenant. Elles offrent un rapport plus léger à la langue écrite et orale trop mystifiée", explique l'auteure d'Enfantine, spécialiste de la litterature orale pour la jeunesse devant une assemblée constituée de bénévoles et de professionnel(le)s.
"Les comptines, comme celle de Bibi lolo, celle qui parle de souris verte, d'un bonhomme assis sur une pomme, ou la belle lisse poire du prince de Motordu, sont une invitation à la transgression, au jeu. Les comptines étonnent, elles sont incongrues, fantaisistes et développent la pensée et l'imagination", ajoute-t-elle. "Les enfants apprécient leur cadence serrée, ramassée, leur régularité rassurante. Quand on lit une comptine, un récit dans une crèche, on observe des petits qui se balancent, qui tapent des pieds, pris par le rythme du récit. Ils sont touchés dans leur corps. Plus grands, quand ils commencent à jouer avec la langue, ils prennent plaisir à jouer avec les rimes et les allitérations. Le style importe beaucoup pour les petits. C'est un fil conducteur vers le jeu, la découverte, l'exploration du langage. Qu'est-ce que l'expérience littéraire dès le plus jeune âge? Les petits peuvent être touchés par le style de l'auteur, par sa langue. Ils ne s'intéressent pas qu'au contenu. Ils éprouvent aussi un plaisir esthétique."
"Le petit à qui on lit une histoire cherche à comprendre ce qui se passe, et ce qu'on lui raconte. Le monde pour lui est une énigme. Et les véritables oeuvres littéraires pour enfants fécondent cette part d'enigme et le renvoient à ces questions qu'inlassablement il se pose. Il faut absolument distinguer ce travail psychique, ce questionnement d'un but utilitariste de la lecture qui permettrait un apprentissage précoce de la lecture", ajoute Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre.
"Lire un livre avec un enfant, c'est développer du lien social, sa capacité à la rêverie et à la pensée. Le fait qu'il fasse moins de fautes d'orthographe n'est qu'un apprentissage accessoire comparé au développement de son autonomie intellectuelle et psychique." Et de citer le livre "Pourquôôââ" publié aux Editions Thierry Magnier qui raconte ce moment entre 3 et 6 ans où les enfants posent des questions sur tout. "Ce qui compte, c'est la situation : raconter une histoire ensemble ici et maintenant et tout ce qui se passe autour de la situation présente. Il faut arrêter de toujours penser à l'enfant comme un devenir mais plutôt se préoccuper de la qualité de ce qu'il vit au présent."
Ce colloque, animé par Agnès Florin, chercheure en psychologie de l'enfant et de l'éducation, a été organisé en partenariat avec le MOTif, l'observatoire du livre et de l'écrit de l'Ile-de-France. Associé à la Région, il développe le lien entre les métiers du livre et propose des politiques publiques adaptées. Il produit des études sur les problématiques de la librairie et de l'édition franciliennes, la commande publique des bibliothèques, les manifestations litteraires...
Ces études sont publiées sur le site du MOTif ici, le site de Lire et faire lire ici