Décrocheurs: et si on essayait le jazz ? (Charles Calamel)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture, Orientation le mardi 02 octobre 2012.
"Le Jazz, École de vie...", et remède contre le décrochage scolaire ? Charles Calamel,
Jazzman professionnel et docteur en sciences de l’éducation, publie dans les jours qui viennent, chez l'Harmattan, un ouvrage sur ce thème. Né en 1956, contrebassiste, fondateur du Trio Davenport, dont Vogue distribue le premier CD, il travaille également avec le CREF (centre de recherche en éducation et formation) de Paris-X. Il répond aux questions de ToutEduc.
ToutEduc : En quoi le Jazz est-il un modèle pour apprendre tout autre chose qu’à swinguer ?
Charles Calamel : Le Jazz est un modèle en ce sens qu’il conduit l’individu vers une autodirection en apprentissage, une construction de soi. De par les conditions de jeu, le respect et la transgression des codes et des formats, le jazz renverse le système de guidance pédagogique traditionnel pour mettre en place un modèle d’autonomie : il n’est pas question de recevoir le savoir mais plutôt d’aller le chercher.
ToutEduc : Le jazz peut-il contribuer à la construction de soi, par exemple pour des jeunes qui aurait des difficultés ?
Charles Calamel : Pour répondre aux situations de jeu sans cesse renouvelées, le jazzman se retrouve face aux imprévus, auxquels il répond en élaborant son discours musical et social. En cela le jazz est un modèle d’apprenance à situer parmi les théories de l’action.
ToutEduc : Votre livre porte en filigrane sur la couverture le mot « insiders »...
Charles Calamel : La notion « d’Insider » veut dire « ceux qui sont dedans » et par là même ceux qui veulent savoir ce qui s’y passe. Théorisé, le jazz donne les moyens de comprendre à la fois le système de production de savoir et la manière dont les individus en jouent. Cette immersion les conduit inévitablement à une construction de soi ; une conscientisation de leur identité de « personne en devenir ».
ToutEduc : Quelles sont les animations, formations, interventions que vous êtes en train de développer ?
Charles Calamel : Aujourd’hui, je travaille au positionnement professionnel et social d’artistes ou de tout autre professionnel souhaitant « prendre en mains » son parcours de vie. Par une méthodologie de diagnostic objectivée, j’expertise plus de 200 projets par an. Le travail de modélisation du jazz m’a conduit à la didactique, à réfléchir aux conditions d’apprentissage, à favoriser les modifications du savoir, à transformer le rapport au savoir... En partant des spécialités artistiques, je me suis intéressé aux fonctionnements des artistes avant tout. Ces derniers sont très enclins à la création d’œuvres ; en revanche, ils sont souvent hermétiques à l’innovation dans les domaines de la commercialisation, de relations publiques et de la transmission pédagogique.
ToutEduc : Intervenez-vous dans l’univers de l’école ? La musique peut-elle adoucir les moeurs scolaires ?
Charles Calamel : Après avoir été artiste intervenant musical, mes recherches en sciences de l’éducation m’ont amené à concevoir des programmes pédagogiques à destinations d’élèves en mal d’école. Les pratiques artistiques et les rencontres avec les artistes offrent une autre manière de voir le monde ; si la musique adoucit les mœurs, les œuvres d’art nous donnent à voir ce qui est estimable.
ToutEduc : Que peut apporter le Jazz au système scolaire conventionnel ?
Charles Calamel : Un modèle qui propose une nouvelle option pour les décrocheurs en marge des cadres scolaires traditionnels ; autrement dit : « Insider pour les Outsiders ». Le modèle jazz permet de concevoir une didactique pour les apprentissages autodirigés. Mais cette « autodirection » ne réussit pas à tout le monde. Pour les élèves en difficulté scolaire par exemple, il est force de proposition : soit il séduit parce qu’il répond aux attentes et aux envies de se construire en autonomie ; soit, il ne séduit pas, mais apprend du même coup à l’élève qu’il n’est pas fait pour cette approche pédagogique et que son salut est ailleurs, dans un autre système d’acquisition.
Ce modèle rappelle aussi aux professeurs (français, maths etc.) que les potentialités de l’élève sont à questionner et sont une réalité avec laquelle il faut faire. Le modèle jazz permet de penser une lecture en positif des individus, et concevoir à partir de leurs capacités, des ingénieries pédagogiques adaptées à une construction de soi.
ToutEduc : Êtes-vous soutenu par les autorités, les administrations, les organismes financeurs, les collectivités locales ?
Charles Calamel : La fondation de France, et les fondations HSBC pour l’éducation, RATP, et COFACE ont financé certains de mes programmes éducatifs : Diapason (2006-2009) ; Double Croches (2009-2011) ; Chorus-Ecole (2005). Actuellement, la DASES (direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé) et la DDEES (direction du développement économique, de l’emploi et de l'enseignement supérieur) de la Ville de Paris m’ont confié l’expertise du projet professionnel des artistes allocataires du RSA. Cette démarche réflexive répond à une problématique d’insertion sociale qui ressemble étrangement à celle des décrocheurs scolaires, par la difficulté de « prendre place » dans un système qui ne reconnaît pas toujours les différences.
"Le Jazz : un modèle pour apprendre, De la musique à une cons truction de soi", L'Harmattan, postface d'Alain Vulbeau, 18 €