Pourquoi certains enseignants décrochent-ils ? (recherche québécoise)
Paru dans Scolaire le mercredi 19 septembre 2012.
On parle beaucoup du décrochage scolaire, "mais il existe une autre forme de décrochage dont il est moins souvent question : le décrochage des enseignants", estime Frédéric Sauvé qui vient de soutenir à l'université de Montréal un mémoire de maîtrise sur "l’attrition des enseignants au Québec". Il y rend compte de ses entretiens avec 26 "ex-enseignants". Pour lui, il n'y a pas de causalité simple, mais "un long processus au cours duquel ils ont pris conscience du fait qu’ils n’étaient pas en mesure de se réaliser pleinement dans le cadre du travail enseignant (...) ils se sont sentis malhabiles, dévalorisés ou même incompétents, et tout cela malgré qu’ils aient déployé de nombreux efforts pour s’adapter".
Ils ont aussi été confrontés à des questions sans réponse : "Tu sors un élèves de ta classe, ton directeur va te reprocher d'avoir laissé un élève sans surveillance. Oui, mais je l'ai fait parce qu'il dérangeait dans la classe à un point tel que je n'avais pas d'autres moyens que celui-là. Il va te dire : Ce n'est pas un moyen. Trouve autre chose. C'est dernier recours."
Ils n'ont pas non plus trouvé d'aide de la part de leurs collègues. "A leurs débuts, ils [ont] candidement sollicité l'aide de leurs collègues plus expérimentés, mais cela s'est, en quelque sorte, retourné contre eux (...) Plusieurs ont affirmé avoir compris très vite que, si on désirait éviter les ennuis en enseignement, il fallait éviter d'ébruiter ses difficultés." Ils se sont de plus senti impuissants à répondre aux difficultés de leurs élves : "Quand un enfant vient te voir, qu'il te demande de l'aide et que tu sais que tu n'as absolument aucun temps et pas l'argent pour l'aider : qu’est-ce que tu dis à l'enfant ? […] Poqués [sic] et j'en avais tellement. Je le savais que je ne pouvais rien, j'étais devant eux, je trouvais ça trop triste." Ils ont aussi éprouvé le manque de reconnaissance : "Quand tu es dans ta classe, il faut quasiment que tu te dises je sais que ce que je fais c'est bon. Il n'y a personne qui voit vraiment ce que tu fais et qui peut te dire : wow, c'est vrai c'est original. Il faut vraiment que le prof soit capable de s'auto-motiver, de se dire je suis contente du projet que j'ai fait. Mais, il y a une limite à ça."
S'y ajoute une réforme dont "Il faut admettre que l’implantation avait des allures d’endoctrinement". Elle "préconisait de façon marquée une certaine façon d’enseigner" et certains participants "ont perçu qu’ils ne seraient plus à même d’agir en cohérence avec leur conception de l’enseignement et de l’apprentissage". D'autres au contraire se sont heurtés à un "milieu de travail plutôt conservateur" : c’est par "son refus de l’innovation" que le milieu de l’enseignement ne leur permettait pas d’agir en conformité avec leurs valeurs.
Le mémoire de maîtrise "Analyse de l’attrition des enseignants au Québec" présenté par Frédéric Sauvé est téléchargeable sur le site du RIRE (ici).