Paroles d'enseignants, saisies sur le vif dans un collège
Paru dans Scolaire le dimanche 04 mars 2012.
"Le choix de notre métier, ça n'a jamais été pour de l'argent. C'est une insulte de mettre cette question en avant pour supposément nous mettre en mouvement; c'est un dénigrement de notre métier auprès de la population." Cet enseignant d'EPS du collège d'une petite ville du sud de la France s'exprime devant le journaliste de ToutEduc, qui s'est invité dans "la salle des profs" à la condition de leur garantir l'anonymat. Ils s'inquiètent des réactions du chef d'établissement, vu comme un "homme de pouvoir" et connu pour son engagement politique à l'UMP.
C'est la pause de 10h, chacun arrive avec son paquet de copies ou son croissant, mais aussi son envie de commenter la proposition de Nicolas Sarkozy de permettre aux enseignants de gagner 500 € de plus par mois, même si, à mesure que la salle se remplit, la parole se fait plus rare, plus précautionneuse. On évoque aussi le texte sur l'évaluation par le chef d'établissement, et le DHG (dotation horaire globale), diminuée de 4h alors que l'établissement compte 100 élèves de plus.
"Si je prends mon exemple, je suis amenée à faire deux heures de plus par semaine, je passe de 4 000 copies à 6 000 copies..., pourtant, pour vous donner une idée sur l'état d'esprit, je fais partie des 17 % d'enseignants qui ont voté Sarkozy en 2007", nous glisse une prof de math. Un prof d'espagnol ajoute : "ça nous amène à recruter un vacataire, évidemment sous-payé, recruté par le principal..."
Les sentiments à son égard sont partagés. Il a réglé certains problèmes de "cadrage sur la tenue du collège en général" mais plusieurs lui reprochent d'avoir "évité pendant au moins 10 jours les collègues du conseil de discipline qui ne s'étaient pas rangés à son avis d'exclure deux collégiens". Il avait dû user de sa voix prépondérante en cas d'égalité et il tenait à "leur montrer qu'il ne le leur pardonnait pas". Pour les enseignants présents, cet incident montre que "l'autonomie mise en place n'est pas celle d'une collectivité au service d'intérêts pédagogiques, contrairement à ce qui est dit".
Les enseignants s'offusquent de le voir les contourner et prendre des décisions importantes sans l'avis des collègues impliqués; ainsi pour une élève de 5ème passée en 4ème pour qu' "elle sorte du scolaire au plus vite"; même chose pour un jeune dont les parents refusaient une orientation en Segpa (enseignement adapté) et qui est passé directement de 5ème en 3ème. Il applique les consignes sans discussion possible. Un prof de maths : "les non-redoublements comme consigne pour éviter des traumatismes ? mais parfois c'est bien plus traumatisant d'entrer en 6e sans les bases."
Quant à l'évaluation par le principal, elle ne passe pas. "Il me demande déjà - et cela va jouer sur 40 % de ma note - de devenir tuteur de ma collègue reçue au concours l'an dernier et nommée sans formation sur un poste complet. Ce à quoi je me refuse." Globalement, ce sont les méthodes managériales venues du privé qui sont rejetées. "La gestion entrepreneuriale n'est pas adaptée à l'école", ajoute en passant un prof de français. "Chatel vient de L'Oréal... au moins Peillon ou même Bayrou ont été profs"... assure un professeur d'histoire-géo pris entre l'envie d'exprimer son ressentiment et la crainte diffuse de le faire dans cette salle où ont à présent pris place une petite dizaine de ses collègues.
La coupure avec l'administration affecte aussi la CPE qui "bosse le concours pour être principale" et dans le même temps "passe la pommade aux parents" :" Il y a de plus en plus des risques d'allégeance, sans compter les pressions à l'encontre de ceux qui nous représentent au CA" ajoute un prof de maths qui ajoute : "Le principal est venu me demander d'installer le site Internet, j'ai dit OK mais j'ai demandé une rémunération pour ne pas être pris dans un système à l'affectif" .
Interrogés sur la liaison primaire-collège, les enseignants mettent en cause une application à la Kafka plus qu'un désaccord ou une démotivation : 5 jeunes de la commune étaient pressentis pour le stage de rattrapage de la Toussaint, les parents s'y sont opposés, les enseignants présents se sont occupés d'élèves venant du CM2 d'un village voisin qu'ils ne connaissaient pas ; quant aux cours donnés en maths, ils étaient du niveau 5e et donc pas adaptés aux lacunes entrevues ! "On est là pour donner aux élèves la possibilité de réussir. Le diplôme n'est peut-être plus ce qu'il était mais c'est une protection au moment de l'emploi, la seule; or on ne nous demande plus que de nous adapter à des élèves qui sont en difficultés particulières!"
Et un enseignant revient sur la question de l'évaluation : " Le principal était instit, j'aimerais qu'on m'explique comment il peut avoir un avis sur l'enseignement de 10 disciplines. C'est vrai, que les inspections, ça ne marche pas trop, mais ce n'est pas parce qu'on a une jambe de bois qu'il faut la couper."