La "mastérisation" est incompatible avec une "bonne gestion des finances publiques" (Cour des comptes)
Paru dans Scolaire le jeudi 09 février 2012.
"Il faudrait organiser les concours de recrutement des enseignants avant ou au début des masters." Dans son rapport annuel, rendu public mardi 8 février 2012, la Cour des comptes recommande une restructuration de la formation des enseignants. Pour diminuer le coût important du système actuel, il faudrait faire en sorte que "les étudiants n'aient pas été formés, en cas d'échec au concours, à un métier qu'ils ne pourront pas exercer". Une telle mesure impliquerait de renoncer à la "masterisation" des concours de l'enseignement, mise en oeuvre depuis la rentrée 2010-2011.
Luc Chatel a déjà fait savoir qu'il ne donnerait pas suite à cette recommandation. Dans sa réponse aux propositions de la Cour, il estime que "le recrutement en fin de 3e année de licence ou en début de master" signifierait "revenir à un principe d'organisation qui prévalait avec les IUFM". Or ce système ne permettait pas de démontrer "l'aptitude des candidats à faire la classe ou exercer des responsabilités éducatives". La réforme de la mastérisation a pour objectif de ne pas recruter les enseignants seulement "sur la base de connaissances académiques de haut niveau". Ils doivent avoir démontré "leur capacité à enseigner", ce qui passe par une formation professionalisante plus longue.
Cependant, la Cour des comptes note que la réforme de la mastérisation "n'atteint pas les objecifs assignés", à savoir la mise en place d'une formation "professionalisante". La Cour observe que la durée totale des stages de pratique accompagnée en première et seconde année de master "représente au maximum 12 semaines", soit "le même temps de présence devant les élèves que prévoyait le dispositif précédent" pour les enseignants stagiaires. La mastérisation n'amène donc pas les nouveaux lauréats des concours "à arriver devant les élèves avec une expérience pratique de la classe plus importante que celle de leurs prédécesseurs."
Par ailleurs, le faible taux de réussite au concours rend ce dispositif coûteux: "les étudiants recalés auront été spécifiqueent et coûteusement formés à un métier qu'en définitive ils n'exerceront pas". La réorientation professionnelle de ces étudiants n'est pas non plus assurée: "les débouchés alternatifs fournis par les métiers de la formation dans le secteur privé ne peuvent à cet égard fournir un réponse suffisante".
Un référentiel de formation commun à toutes les universités
L'organisation des nouveaux masters se heurte aussi à des problèmes de communication entre le ministère et les universités. En-dehors des "dix compétences extrêmement vagues" définies par l'arrêté du 12 mai 2010, "le ministère de l'éducation nationale n'a encore diffusé aucun référentiel de la formation aux métiers de l'enseignement: il ne peut donc guère peser sur le contenu de la formation initiale assurée par les universités". La Cour des comptes recommande donc "d'élaborer un référentiel de formation" pour les masters préparant aux métiers de l'enseignement. Il déterminerait notamment "des durées minimales de formation des étudiants en milieu professionnel", ce qui n'est pas le cas actuellement. L'élaboration de ces directives doit s'accompagner, en aval, d'une "évaluation de l'adéquation des actions de formation aux besoins des enseignants".
Le ministère de l'Education nationale prévoit de répondre favorablement à ces deux propositions. Il "fait sienne la proposition de la Cour d'élaborer un référentiel de formation, cadre commun à toutes les universités et à tous les rectorats". Il concède qu'il est nécessaire "de mieux outiller le suivi de formation que le ministère de l'éducation nationale effectue par l'intermédiaire de la Direction générale des ressources humaines (DGRH) et des inspections générales."
Plus généralement, le ministre de l'Enseignement supérieure et de la recherche, Laurent Wauquiez, rappelle que la mise en place des formations professionnalisantes demande à être "ajustée dans le temps au regard des difficultés apparues". Ces ajustements "ne devront entraîner aucun surcoût budgétaire" pour Valérie Pecresse, ministre du budget, qui affirme "veiller personnellement" à la préservation de cette stabilité.
Le ministère favorable à une réforme du métier d'enseignant
La Cour souligne aussi l'inadéquation entre la formation actuelle des enseignants et la définition d'un "socle commun de connaissances". Celui-ci suppose "une continuité dans les apprentissages entre le premier et le second degré." Or "aucune réflexion n'a été engagée au niveau national pour mettre en place des maquettes de formation initiale commune pour l'enseignement primaire et le collège."
Le ministère prend acte de cette critique et concède qu'il "est juste de remarquer que la continuité pédagogique 1er degré-collège induite par les objectifs du socle commun n'apparaît pas explicitement comme une composante des concours de recrutement des professeurs des écoles et du CAPES."
Luc Chatel annonce ainsi "une réforme du métier d'enseignant", qu'il juge "nécessaire". Elle développerait notamment la "bivalence" des enseignants, c'est-à-dire leur capacité à enseigner plusieurs disciplines. Le lancement de cette réforme a été retardé par la mise en place de la mastérisation. Selon le ministre de l'Education nationale, "il était exclu de mener deux réformes d'envergure de front."