Ph. Meirieu - Luc Cédelle : Eduquer pour "rendre possible la démocratie"
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le samedi 04 février 2012.
"Ou bien l'on construit la formation [des élèves] à partir (...) des seuls usages sociaux prévisibles. On bien on le fait à partir d'une vision de l'Homme en tant que sujet qu'on voudrait libre dans une société qu'on voudrait démocratique." Cette alternative, Philippe Meirieu la pose, presque incidemment, dans le livre d'entretien qu'il publie avec Luc Cédelle. Le pédagogue passe en revue bon nombre des questions qui se posent lorsqu'on s'interroge sur l'Ecole à la veille de l'élection présidentielle. Pas toutes. Le journaliste, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, ne l'interroge pas sur tous les sujets d'actualité. Il vise, à travers certaines polémiques ou difficultés actuelles, comme celles suscitées par le "socle commun de connaissances et de compétences", les fondements mêmes d'un système de pensée, de nature philosophique, épistémologique et politique.
Même s'il n'est pas le simple décryptage d'une conversation poursuivie sur plus d'un an, le texte en garde le ton, et Luc Cédelle, à chaque fois que son interlocuteur se réfère, avec érudition, à l'histoire des idées en matière d'éducation, ou à certains concepts, prend garde de le ramener aux préoccupations de notre temps. Et, en filigrane ou explicitement, comme dans la citation en tête de ce compte-rendu, est toujours présente la question des finalités de l'éducation. L'ouvrage s'achève pratiquement d'ailleurs sur la formule, "Eduquer, c'est rendre possible la démocratie".
Philippe Meirieu règle au passage certains comptes, avec des polémistes, comme Jean-Paul Brighelli, Natacha Polony ou Jean-Claude Michéa, qui le critiquent sans l'avoir lu, avec l'administration actuelle de l'Education nationale, une "nomenklatura drapée dans sa suffisance", coupable d'avoir produit le "livret personnel de compétences", avec certains de ses collègues en sciences de l'éducation, qui ne l'aiment pas, au point de barrer systématiquement la route à ses étudiants, mais aussi avec bon nombre de contre-vérités le concernant. On le décrit comme le prototype de l'enseignant qui attend des élèves qu'ils construisent eux-mêmes leurs savoirs. Il fait l'apologie du cours magistral, et critique, sévèrement, la non-directivité. Il oblige ainsi le lecteur à toucher du doigt, très concrètement, avec sensibilité, la complexité des débats qui parcourent, à tous les niveaux, le monde de l'éducation.
"Un Pédagogue dans la Cité", Philippe Meirieu, conversation avec Luc Cédelle, Desclée de Brouuwer, 296 p., 19,90 €