Innovations et expérimentations : le HCE dresse un bilan sévère de la politique ministérielle
Paru dans Scolaire le vendredi 23 décembre 2011.
"Le nombre d’authentiques expérimentations selon l’article 34 n’est pas encore connu avec précision." Le HCE (Haut conseil de l’Éducation) est chargé d’un bilan des expérimentations conduites dans le cadre de cet article de la loi "d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École" de 2005, mais il publie deux "notes" assez sévères sur sa mise en oeuvre de cette disposition. Il constate qu'elle est souvent utilisée comme "un outil pour diffuser des injonctions rectorales ou nationales", ou pour "contrôler les dérogations et les autorisations" et "surmonter les résistances au changement ".
Le HCE constate aussi que l’enseignement primaire "n’est que peu présent dans les actions relevant de l’article 34", malgré "sa tradition d’expérimentation pédagogique", du fait des structures mises en place par les rectorats pour en assurer le suivi.
Récupération
Quant aux différentes listes disponibles qui permettent de les connaître, elles sont "contradictoires et parfois lacunaires", et "elles ne reflètent certainement pas la réalité". En cause, les procédures et la charge de travail induite pour les personnels, mais aussi l' "instabilité liée à l’absence de pérennité des moyens, au changement de personnel enseignant et de direction". Le HCE évoque aussi la "crainte que les expérimentations ne servent pas les écoles et les établissements mais l’institution ou, du moins, les intérêts d’autres niveaux du système scolaire". Autrement dit, même s'il n'emploie pas ces termes, la récupération politique. Il estime au total qu'il est "difficile d’avoir une vision objective des effets réels, notamment sur les élèves, des expérimentations maintenant terminées" alors que la dernière phrase de cet article 34 prévoit que le HCE "établit chaque année un bilan des expérimentations menées en application du présent article".
Cette note reprend les principaux constats d'une équipe universitaire, menée par Yves Reuter (Lille-III) à qui il a confié le soin de mener une recherche sur le terrain, et dont il publie le rapport qu'elle lui a remis avant l'été. Cette équipe a constaté "des effets de résistance" chez ses interlocuteurs lorqu'ils pensaient qu'elle était "en quelque sorte, missionné[e] par 'l’institution' pour les évaluer". Elle a également constaté des retards dans la transmission de documents, et donc dans la possibilité de travailler.
Méconnaissance du terrain
Au niveau ministériel, la volonté d'agir est "indéniable", mais "le temps passé sur le terrain à observer le fonctionnement des expérimentations (...) a paru fort réduit, voire insignifiant" au point qu' "aucun acteur, au niveau des établissements ou des équipes, ne [lui] a fait part d’une quelconque connaissance des membres du ministère chargés de suivre les expérimentations".
Les universitaires font une description très précise des motivations des enseignants qui les mènent, de leur fonctionnement, de leur personnalité (ils se voient souvent comme des "marginaux" ou des "pionniers"), des moyens dont ils disposent, ou plutôt de l'absence de moyens ("l’investissement de nombre d’acteurs est ressenti comme du bénévolat, accompagné d’un sentiment d’injustice et d’une lassitude grandissante"), de la faiblesse des évaluations mises en place, du "flou" et des "grandes variations dans le sens attribué" à cet article 34. Il semble en effet être "à la croisée de logiques hétérogènes", puisque c'est "un outil de pilotage", destiné à "faire bouger le système (sans toujours le dire nettement)".
Les performances des élèves
Mais il sert aussi à "favoriser la concurrence entre les établissements", il permet "la promotion d'acteurs qui s'en emparent" ou leur donne "ballons d’oxygène", à moins qu'il ne serve à "anticiper des réformes", voire à "améliorer les performances des élèves"…
Au total, les dispositifs sont "peu diversifiés, souvent imprécis et rarement véritablement novateurs". La diffusion des "bonnes pratiques" au sein de l’Éducation nationale pose en outre la question de la formation, initiale et continue des enseignants.
Ces deux notes, d'une douzaine et d'une quarantaine de pages, hors annexes, sont téléchargeables sur le site du HCE, ici.