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Penser l'évaluation pour "tirer le poil du mammouth" (conférence des IUFM de Créteil, Paris, Versailles)

Paru dans Scolaire le mercredi 21 décembre 2011.

Des agences de notation à la question du suivi des enseignants, "nous sommes actuellement dans une société où l'évaluation occupe le champ des réflexions sociales", note Marc Bru (Toulouse-II) à l'ouverture de la conférence de consensus organisée par les IUFM de Créteil, Paris et Versailles le 14 décembre sur "l'action d'évaluer et ses pratiques dans le champ scolaire".

Gérard Figari propose une réflexion sur les fondements des dispositifs d'évaluation. A la suite de son intervention dans un colloque précédent (ToutEduc Toute évaluation comporte des biais (journée d'étude de la SFE)), il rappelle que tout classement comporte des biais qui ne dépendent pas seulement de la méthodologie employée, mais aussi de l' "ensemble des concepts" utilisés pour justifier l'évaluation. Dans ce cadre, les mêmes termes ("autonomie", "contrôle", "mesure") peuvent renvoyer à des sens différents. Si l'on veut éviter de transformer les systèmes d'évaluation en une "tour de Babel" où chacun privilégie sa propre conception, il faudrait "fonder les choix évaluatifs sur une réflexion préalable et transparente". Souvent dénoncée pour son caractère arbitraire, l'évaluation pourrait être perçue comme une "activité unificatrice au niveau des apprentissages et de la formation".

Il s’agit donc de construire une "culture de l’évaluation" partagée par l’ensemble des acteurs d’un même système scolaire. Pour Lucie Mottier Lopez (université de Genève), une véritable culture de l’évaluation doit être pensée de manière "dialogique". Elle passe par la prise en compte des représentations des acteurs, afin de "retrouver une cohérence entre les attendus institutionnels et les situations réelles".

Eviter la "Frankenstein pedagogy"

Pour Xavier Pons, cette analyse permet d'envisager l'évaluation comme "un processus d’ajustement continu" entre les attentes institutionnelles et la perception des acteurs. Une telle définition "différencie l’évaluation de la notion de contrôle". Ainsi, l'action d'évaluer ne doit pas reposer sur ce que Léopold Paquay nomme, après Philippe Meirieu, la "Frankenstein pedagogy" : une pratique de l’évaluation autoritaire, qui revient à vouloir fabriquer l’autre malgré lui. L’évaluation "n’est pas un jugement qui vise à classer, mais plutôt un moyen de donner du sens aux situations". C’est une pratique qui a des effets positifs "en termes de motivation, de développement personnel et de dynamique de collaboration au sein d’une équipe"; ces bénéfices augmentent avec l’engagement de l’individu évalué. Or son degré d’engagement dépend de sa compréhension de la situation à laquelle il est confronté et de son implication dans la définition des modalités de l’évaluation. Que ce soit à l’échelle d’une classe ou d’un établissement, "les effets de l’évaluation sont particulièrement positifs lorsque le processus d’évaluation a été l’affaire de tous, et non la seule affaire d’un comité d’experts".

Auto-évaluation et formation continue

Dans le cadre de la notation des enseignants, Léopold Paquay (Louvain) défend une évaluation "interactive", articulant "auto-évaluation et évaluation externe", ce qui devrait inviter les enseignants à développer une réflexion critique sur leurs pratiques. Il faudrait donc que leur formation combine théorie et travail sur le terrain. "Nous avons besoin d’enseignants professionnels, très efficaces dans l’espace de la classe mais aussi capables de réflexion sur leurs pratiques", ajoute-t-il.

"Il faut éviter de séparer formation universitaire et formation à la gestion de la classe", acquiesce Marc Bru. La formation "initiale" ne serait qu'un volet du processus continu de formation des enseignants, invités à s'auto-évaluer régulièrement. Cette idée de formation continue ne va pas de soi. Face au poids des structures établies, elle risque de rencontrer une certaine hostilité, y compris de la part des professeurs. Comme la rappelle Xavier Pons, "la logique des concours, des diplômes nourrit le mythe d’une évaluation 'une fois pour toutes' des enseignants."

La réflexion sur l'évaluation porte aussi sur celle des élèves. "Quand on veut évaluer, il faut préciser les attentes qui sont liées à cette évaluation", relève Martine Rémond, docteur en psychologie cognitive. Les consignes des exercices proposés aux élèves sont une forme de "chaîne conceptuelle" qu’il s’agit de clarifier, en tenant compte du mode de raisonnement des évalués. Les enseignants gagneraient à s’intéresser davantage à l’activité cognitive de leurs élèves. "Il est intéressant d’aller du côté des élèves et de comprendre ce qu’ils ont dit, écrit", relève la cogniticienne. Certaines erreurs révèlent moins un défaut de connaissances chez l’enfant qu’une difficulté à s’adapter à la consigne donnée. Les travaux des élèves doivent donc permettre à l’enseignant d’ajuster ses pratiques d’évaluation.

Cet ajustement est primordial si l'on veut réduire les erreurs d'évaluation: Jean-Marie De Ketele (Louvain) signale ainsi le danger des "échecs abusifs" et des "réussites abusives". La question du "seuil de réussite" et la définition d’un socle de "compétences fondamentales" deviennent alors primordiales. Elles encadrent la mise en place d’une "évaluation éthiquement responsable" et doivent être définies collectivement. La perception que l’évalué a de sa propre performance entre aussi en ligne de compte. Ne faudrait-il pas développer la "métacognition" des élèves, c’est-à dire "une aptitude à réfléchir sur leurs propres connaissances".

C’est précisément dans ce domaine que les élèves français accusent un certain retard, si l’on en croit Martine Rémond. Les évaluations PISA révèlent en effet que les difficultés des élèves en mathématiques dérivent de leur manque de flexibilité : ils ne parviennent pas à appliquer leurs connaissances à des situations inattendues.

Au-delà des classements

Cette analyse est un exemple du regard que nous devrions porter sur les classements publiés. Qu’ils concernent les compétences des élèves (PISA) ou des universités (classement de Shanghaï), ils ne sont utiles qu’à condition de dépasser le strict bilan comptable qu’ils proposent. Tous les intervenants du colloque s’accordent sur ce point, et comme le rappelle Xavier Pons, les classements internationaux sont "des outils d’apprentissage relativement faibles".

L’analyse des pratiques d’évaluation implique de réfléchir sur toute la structure du monde éducatif : formation des enseignants, contenu des enseignements, définition des "valeurs" du système scolaire, implication des évalués dans le processus d’évaluation. C’est pourquoi, comme l’affirme J-M De Ketele, "pour transformer le système éducatif, il faut d’abord changer certaines pratiques scolaires, dont l’évaluation". On en revient à l’image avec laquelle Jean-Pierre Chevalier, directeur de l’IUFM de l’Académie de Versailles, avait ouvert ce colloque. Si les rigidités et l’académisme du système scolaire ont conduit à le comparer à un "mammouth", alors "l’évaluation, c’est le poil du mammouth. Tirez ce poil...et le reste viendra naturellement".

 

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