Faut-il jeter le lycée avec l'eau du bain? (cahiers pédagogiques)
Paru dans Scolaire le vendredi 16 décembre 2011.
"L'ensemble des cycles de l'enseignement scolaire est à revoir". Dans un article tiré du dernier numéro des Cahiers Pédagogiques, Françoise Clerc est catégorique: la structure actuelle du système éducatif explique l'échec de la démocratisation de l'enseignement. "Le collège ne résout pas les problèmes d'apprentissage et la 2de ne fait que trier les élèves sur la base de résultats déjà prévisibles à la fin de l'école élémentaire." Il faudrait donc définir "une école fondamentale, du primaire jusqu'à la 4e"; elle déboucherait sur un "cycle de deux ans", regroupant les actuelles classes de 3e et 2de, consacré "à la détermination des parcours".
A cet élargissement du premier degré devrait répondre "un continuum lycée-supérieur", selon Alain Boissinot, recteur de l'académie de Versailles. Pour lui comme pour Françoise Clerc, la réussite de la réforme du lycée passe par le développement de liens avec l'enseignement supérieur. La plupart des académies semblent avoir compris cet enjeu. Des inititatives locales visent ainsi à développer la "relation lycées-universités", pour reprendre le nom d'une mission de l'université Lille-I. L'objectif est souvent de "placer les élèves de 1re et de terminale en contact direct avec les enseignants et les enseignements qu'ils découvriront à l'université", pour reprendre les termes de Claude Guillemin, professeur de lettres dans un lycée du Jura. Cela se manifeste par la mise en place de conférences animées par des enseignants-chercheurs, l'accompagnement des lycéens par des étudiants-tuteurs ou la création de nouveaux postes, tel qu'un "chargé de relation lycée" à Montpellier-II. En développant un accompagnement des lycéens sur la durée, ces démarches complètent les traditionnelles opérations ponctuelles (journées portes ouvertes, forum d'orientation). Elles associent "professionnels de l'orientation, enseignants, parents, médias, pairs", comme le précisent trois maîtres de conférences de l'université Lille-I.
Le baccalauréat, un symbole obsolète
Rapprocher ansi le lycée de l'université oblige à repenser les procédures d'orientation actuelles. Selon R-F Gauthier et L. Lombardi, il faut transformer les "séries" du baccalauréat français: elles construisent des hiérarchies arbitraires et des spécialités "peu en phase avec le supérieur et les voies qu'il propose". Cette révolution obligerait à repenser l'examen auquel le lycée est sensé préparer. Toute réforme des lycées doit aussi porter sur le baccalauréat, dont la forme conditionne les pratiques pédagogiques, rappelle l'assocation Education & Devenir. "Obsolète" pour F. Clerc comme A. Boissenot, cet examen "est incapable de fournir des indications pertinentes pour l'orientation dans l'enseignement supérieur" et se révèle même "contre-productif". Il s'agit cependant d'un dossier sensible, puisque l'imaginaire collectif considère le baccalauréat comme un "symbole". "Nous avons tendance à le sacraliser en l'identifiant à un rite de passage", ajoute Françoise Clerc.
Il n'y a cependant aucune raison pour que les représentations n'évoluent pas. Comme le soulignent R-F Gauthier et L. Lombardi, le dossier des Cahiers Pédagogiques signale avant tout "la péremption du vieux modèle du secondaire autonome". Les murs idéologiques qui isolaient le lycée sont tombés: "le lycée fier et figé sur sa clôture, d'origine religieuse, cède visiblement le pas à un établissement qui ne rechigne pas à s'ouvrir sur l'environnement économique et l'enseignement supérieur universitaire". Le lycée est bien en train de devenir une passerelle "entre collège et supérieur", pour reprendre le titre du dossier des Cahiers.
Le débat ne porte donc plus sur la pertinence d'une ouverture au supérieur: il s'agit plutôt de se demander jusqu'où pousser ce rapprochement. A. Boissenot voudrait parvenir à installer dans les esprits "l'idée du continuum de bac-3 à bac+3". Cette thèse se heurte cependant à des difficultés pratiques, selon R-F. Gauthier et L. Lombardi. Elle revient à vouloir "supprimer le lycée, dans son autonomie formatrice". Or peut-on être certain "qu'en termes de formation pour tous, un système éducatif ait pu, malgré ses mérites, achever sa tâche en fin de collège, avec des élèves âgés de 15 ans?". Une professionalisation précoce des enseignements pourrait aussi avoir des effets néfastes. S''il est clair qu'il faut rafraîchir l'image du lycée et en décaper la structure pour l'adapter "aux exigences de l'enseignement supérieur", il serait sans doute dangereux de "le jeter avec l'eau du bain"
Vous pouvez accéder au dossier consacré au "lycée, entre collège et supérieur" sur le site des Cahiers Pédagogiques, , ici.