L'étude de la presse à l'école, c'est difficile
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le samedi 04 avril 2009.
Le CRAP-Cahiers pédagogiques organisait, le 25 mars, un débat sur l'étude de la presse à l'école, d'où il ressort que, après des années de "semaines de la presse à l'école, rien n'est acquis. Voici le compte-rendu de ce débat
L'éducation aux médias s'inscrit dans le socle commun. Elle devrait donc s'imposer à tous. Or elle reste un objet flou.
Le terme de média lui-même est flou: la presse, tous les médias d'aujourd'hui (presse écrite, radio, télé, internet) ? d'hier et d'aujourd'hui ? Doit-on même élargir le champ et y inclure les manuels scolaires ? aux messages laissés par les ruines de l'antiquité aux générations qui se succèdent depuis ?
La connaissance des médias est fragmentaire. Ainsi le CRAP et Curiosphère ont produit cette année des outils à destination des enseignants, tandis que les journalistes de l'ARPEJ en ont produit un autre (La presse à l'école, Victoires éditions). On aurait pu souhaiter un croisement des deux approches.
Même ainsi, et malgré les efforts du CLEMI, la bonne volonté des enseignants est souvent mal récompensée: faire comparer des articles de journaux différents traitant une même information paraît être une démarche pédagogique de bon sens, aussi longtemps qu'on ignore qu'ils sont écrits à partir d'une même dépêche AFP, ou d'un même dossier de presse. L'exercice a toutes les chances d'être frustrant.
Les enseignants ont du mal à porter sur les médias un regard nuancé, et voient souvent une intention maligne là où il faut voir une erreur de bonne foi, ou une simplification qui peut paraître abusive, mais que nécessitent les impératifs de lisibilité
L'étude des médias hésite souvent entre la production de médias, initiée par Freinet, avec le risque de produire des recueils de poèmes adolescents, ou, à tout le moins, une expression qui n'intéresse que ceux qui se sont "exprimé", et une analyse plus ou moins raisonnée et distanciée, des médias professionnels, sans que le lien soit établi clairement entre les deux approches.
L'analyse des médias se heurte vite à deux limites: les contenus sont politiques, et dérangent dans une institution qui doit respecter un devoir de neutralité. Les médias sont nécessaires à l'exercice de la démocratie. Mais sommes-nous tous d'accord sur ce qu'est la démocratie? Est-ce le somme des opinions et des avis plus ou moins éclairés de la population, qui, au vu des articles de la presse locale, était prête à lyncher la boulangère et le curé à Outreau ?
Un moyen de sortir de ces zones de flou serait de considérer la presse pour ce qu'elle est: un objet commercial (qui se définit donc par l'existence d'une clientèle, d'un lectorat par exemple) qui permet à une personne (que ce soit un ministre désireux de communiquer ou "Gorge profonde" qui refuse, pour des raisons personnelles, de cautionner les mensonges de Nixon) de s'adresser à d'autres personnes qu'elle ne connaît pas, et auxquelles elle n'a pas les moyens de s'adresser autrement. Cette définition "phénoménologique" est rarement donnée.
Une étude des sources d'informations (dépêches AFP accessibles sur le site de l'AFP ou sur VousNousIls, dossiers et discours accessibles sur les sites des ministères et de l'Elysée, ou sur les sites des syndicats) permettrait sans doute de mesurer le travail du journaliste, alors que l'étude des articles eux-mêmes ne le permet pas.
Objectif des enseignants : que les élèves sachent différencier une opinion d'une thèse fondée et argumentée et qu'ils développent un esprit critique
Attentes du côté des journalistes : Qu'ils annoncent leurs sources/ Qu'ils précisent leur point de vue/ Qu'ils argumentent leurs conclusions/ Qu'ils utilisent l'explicite plutôt que l'implicite
Attentes du côté des élèves/lecteurs : Qu'ils connaissent les conditions matérielles de production d'un article (sources variées/ contraintes financières etc.)/ Qu'ils utilisent la méthode de recherche documentaire pour construire un regard critique/ qu'ils sachent assumer leur incompétence éventuelle !
Du point de vue des jeunes qui découvrent l'univers des médias, le très large accès à l'information permis par Internet est très différent de la consultation classique d'un journal papier : celui-ci est un objet matériel bien délimité, qui s'obtient moyennant finances dans un kiosque, ou bien en consultation dans un lieu dédié, la médiathèque. Sur Internet, tous les sites sont accessibles de la même façon, sans hiérarchie, avec des signalétiques qui ne permettent pas de distinguer simplement entre le site le plus officiel et un site amateur, entre le site d'un journal très sérieux et un site d'opinion. Ceci contribue sans doute à la désacralisation du journaliste, à la dépréciation de leur travail (à côté de d'autres phénomènes comme les journaux gratuits).
Le journal, c'est l'ouverture de l'école sur le monde, cette actualité qui rentre dans les murs des établissements, qui s'invite dans les programmes scolaires, qui interfèrent entre les contenus du cours et les connaissances des élèves. Travailler avec la presse, c'est aussi, pour l'enseignant, ne pas prétendre être le seul détenteur du savoir, se placer côte à côte avec l'élève face à l'information venue de l'extérieur.
Travailler avec la presse pose la question de l'élaboration des opinions personnelles : avoir le droit de formuler une opinion nécessite-t-il un minimum d'informations ? Entre le droit de s'exprimer sans rien connaître, au risque du caprice, et le monopole du droit de parole aux experts... S'informer, c'est aussi un processus, une gestion du temps : le temps de réfléchir, le temps de savoir plus, mais aussi la nécessité de décider sans tout savoir...
Travailler avec la presse porte donc l'enseignant davantage sur l'attitude face à l'information que sur sa maîtrise, l'actualité étant en constant renouvellement : cela permet de travailler la posture face à l'information, des valeurs comme la probité, l'honnêteté, les techniques argumentatives.