Hétérogénéité: dans un collège du Territoire de Belfort, deux classes de 6e divisées en "espoirs" et "experts"
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 26 avril 2011.
Depuis 2006, le collège de Beaucourt (90) a instauré un dispositif original pour éviter le décrochage scolaire aux 6e qui arrivent et sont en difficulté. Deux classes qui ont donné leur nom au dispositif, "6B6C", sont composées de façon à y mélanger des élèves faibles, dits "Espoirs", et des bons élèves appelés "Experts". Elles ont un emploi du temps identique pour permettre des regroupements d'Espoirs et d'Experts sur le français, les mathématiques, l'histoire/géographie et l'anglais. 16 heures où les élèves fonctionnent par niveaux alors que sur les autres matières ils rejoignent leur classe. Le dispositif, instauré après la disparition des classes dites "de consolidation" qui regroupaient tous les redoublants et élèves en difficulté, a été inscrit dans le projet d'établissement ainsi que le contrat d'objectifs et fait l'objet d'une dotation horaire supplémentaire de 2 heures par semaine obtenues sur ce projet spécifique.
Un vrai "choix politique", explique le principal, Éric Ansart, car "le collège recrute sur un secteur très hétérogène en terme d'origines sociales. Du coup des élèves arrivent sans problèmes mais d'autres avec des lacunes". Le dispositif a été imaginé pour que ces derniers "puissent s'adapter plus rapidement et plus efficacement, ne traînent pas le poids de leurs difficultés accumulées au primaire et les rattrapent". Parmi les principales figurent des difficultés sociales, d'ordre familial et de maîtrise de la langue - certains sont dyslexiques, d'autres primo-arrivants notamment -.
Mêmes notions et thèmes à voir mais des méthodes d'apprentissage adaptées
Pour composer ces deux classes d'une vingtaine d'élèves (19 cette année avec au total 11 Espoirs et 22 Experts), le collège est en liaison avec les écoles élémentaires qui signalent les élèves en difficulté et la nature de ces difficultés mais aussi des bons élèves pour constituer des classes hétérogènes. Dès la rentrée, les deux classes révisent le programme de CM2 durant trois semaines avant de passer des évaluations en maths et français qui permettent de répartir les élèves dans les groupes Experts et Espoirs.
Si les élèves ont le même programme, c'est-à-dire les mêmes notions et thèmes à voir dans l'année, ils n'ont pas les mêmes contenus, exercices et évaluations. Comme le résume Bénédicte Armengaud, enseignante de français pour le groupe Espoirs, "pendant que le groupe Espoirs renforce ses connaissances, le groupe Experts approfondit". "Parce que l'écrit est l'un des gros points faibles des élèves en difficulté, le travail en français se fait notamment sur des textes moins longs et difficiles", explique-t-elle. "Je demande beaucoup moins d'écrit que ma collègue, propose davantage de polycopiés, des textes à trous, quelques questions auxquelles répondre..." Ce travail qui permet de "rester sur l'essentiel, en évitant par exemple de travailler sur les exceptions" est accompagné de beaucoup d'outils "pour les guider" qui passent prioritairement par le visuel et l'oral. On adapte aussi le vocabulaire, "on trouve des exemples avec les élèves de la classe"... De la même manière, on ne demande pas aux Espoirs de faire "de grandes analyses" en anglais et en histoire et géographie. Côté Experts, en revanche, les élèves ont des recherches supplémentaires à réaliser, travaillent sur des textes plus complexes, réalisent des exposés... Quand les enseignants font lire un livre, les Experts le font tout seuls alors que l'enseignante en charge des Espoirs "le lit avec eux". D'ailleurs, constate Bénédicte Armengaud, "4 seulement de [s]es élèves ont déjà lu un bouquin tout seuls!" Idem en mathématiques où les leçons sont les mêmes mais les activités, problèmes et exercices changent.
Un dispositif valorisant puisque l'on peut changer de groupe
Le système semble être un bonus pour tous, car, analyse encore l'enseignante, s'ils sont "chouchoutés et maternés en Espoirs", c'est aussi côté Experts "davantage intéressant et valorisant, car ils peuvent aller plus vite et plus loin; on s'en occupe davantage et ils s'ennuient moins". Le dispositif a un autre avantage que n'offraient pas les classes de niveaux puisque les élèves peuvent appartenir à un groupe Expert dans une matière et à un groupe Espoir dans une autre et il permet les passerelles dans un sens comme dans l'autre en cours d'année en fonction des progressions ou des régressions. "Une composition non figée, moins stigmatisante et davantage valorisante", poursuit Bénédicte Armengaud, "parce qu'elle permet aux Espoir d'intégrer l'idée qu'ils peuvent sortir de l'échec". Les évaluations ne sont pas communes non plus - même thème ou même notion mais moins longues et moins difficiles pour les Espoirs "pour partir sur de bonnes bases, ce qui les rend d'ailleurs plus actifs" -, sauf à raison de trois fois par an, pour faire des bilans et évaluer les possibles transferts d'élèves d'un groupe à l'autre.
L'adaptation des cours et évaluations nécessite, outre les réunions mensuelles de concertation, de fabriquer les supports, donc un investissement particulier des enseignants, tous volontaires et qui fonctionnent par binômes sur les matières qui accueillent les groupes de niveaux. Un effort d'innovation, de "recherche et d'expérimentation" qui permet à l'enseignant d'être aussi "plus performant", selon Bénédicte Armengaud. "Car il faut d'abord comprendre les difficultés et ensuite avoir une réflexion personnelle sur nos enseignements pour nous adapter au public que l'on a en face."
En outre, les enseignants doivent noter tous les 15 jours, dans un cahier de suivi de classe, les progrès et soucis observés discipline par discipline. Les élèves y gagnent ou perdent des points (sur un capital de 16 points au départ) en fonction des progressions, comportements (travail à la maison, leçon apprises ou non, soin...), etc. Un outil qui permet des bilans plus fréquents que les trois conseils de classes annuels "et donc de réagir très vite"
Le rapport à l'école change parce que la confiance se développe vis-à-vis des enseignants
Pour les élèves en difficulté, le dispositif a surtout des bénéfices en termes de "socialisation, car c'est un lieu où se développe la confiance vis-à-vis des enseignants. Le rapport à l'école change alors qu'au départ on les accueille plutôt angoissés", remarque Bénédicte Armengaud. Et l'équipe relève très peu de problèmes de comportements.
On a conscience néanmoins ici que l'on n'est "ni un monde idéal ni des magiciens" et que "la majorité des profils Espoirs n'iront pas en LGT", comme le remarque l'enseignante. Car "à la fin de la 6e toutes les difficultés n'ont pas disparu". Mais "ils ne décrochent pas, au moins jusqu'en 3e, ne sont pas contre l'école et s'en sortent mieux que les autres [en difficulté mais en cursus classique, NDLR]", se réjouit la CPE, Véronique Tribble, qui a bénéficié du dispositif pour l'un de ses enfants.
Si celui-ci n'a pas son équivalent dans les autres niveaux, il est suivi en revanche en 5e d'une classe projet axée sur la culture, dans laquelle de nombreux Espoirs peuvent ensuite poursuivre. Objectif: continuer de "les motiver avec la création par rapport à l'apprentissage de la langue et de l'écrit".