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Jeux sérieux: "un programme d’introduction à l'école doit pouvoir s'appuyer sur un réseau d'enseignants, de chercheurs et d'industriels". (Julien Llanas)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le lundi 14 février 2011.

Quel est l'intérêt des jeux sérieux dans les domaines de l'enseignement et de l'apprentissage? Comment définir de "bons jeux" pour l'éducation? Initient-ils une révolution pédagogique dans la classe? Pour Julien Llanas, chargé de mission dans l'académie de Créteil, responsable du suivi et du développement des pratiques pédagogiques intégrant le jeu vidéo et la 3D (page web ici), leur introduction à l'école doit s'accompagner d'une mise en commun des bonnes pratiques. L'enseignant doit pouvoir exprimer ses besoins pour créer une sorte de cahier des charges, à disposition de l'industriel. Le chercheur assurerait une fonction de tuteur. Julien Llanas s'en explique pour ToutEduc.

ToutEduc: Comment définir les Serious Games?

Julien Llanas: Pour les chercheurs en ludo-sciences, sont dits "serious games" les jeux qui présentent un potentiel en terme de délivrance de connaissances, et dont le premier objectif n'est pas le divertissement. Le "serious gaming" désigne le fait de jouer sérieusement, d'utiliser les jeux pour atteindre l'apprentissage et la connaissance. La pratique de ces jeux video en classe est classée en 3 catégories: Le détournement; L'utilisation de jeux sérieux comme but en soi; L'aspect de création.

ToutEduc: Peut-on évaluer l'impact de ces jeux en termes de pédagogie?

Julien Llanas: Les gains d'un point de vue pédagogiques relèvent de divers domaines chez l'élève: la motivation, l'estime de soi, la facilité à déplacer des barrières d'abstraction, en mathématiques par exemple ou encore pour l'analyse du récit. Ces jeux contribuent aussi au développement psychomoteur des jeunes élèves et à la stimulation de la créativité. Ces gains, marginaux en classes ordinaires, sont très importants dans certaines structures comme les classes relais, ou celles où l'enseignement dispensé est progressif (classes accueillant des élèves présentant un handicap cognitif, des enfants à haut potentiel intellectuel etc.). Le recours à ces nouvelles technologies pourrait faciliter l'application d'une pédagogie différenciée, centrée sur les compétences de chaque élève, comme la mise en pratique d'une pédagogie constructiviste, où l'enfant construit son propre savoir.

ToutEduc: Pourquoi la pratique des jeux sérieux est-elle encore peu développée en France?

Julien Llanas: Le jeu vidéo est déjà employé dans plusieurs pays du nord de l'Europe, où il est directement intégré au système éducatif. Aux Etats-Unis, certains chercheurs proposent un curriculum de la sixième à la terminale fondé sur la pédagogie des jeux. L'une des raisons de leur faible développement en France est que les pratiques innovantes des enseignants sont certes valorisées à l'échelle locale, mais encore peu à l'échelle nationale. Il me semble qu’un programme d’introduction du jeu vidéo doit pouvoir s'appuyer sur une mise en communauté des pratiques, un réseau réunissant les enseignants volontaires et motivés avec des chercheurs et des industriels. L'enseignant doit pouvoir exprimer ses besoins pour créer une sorte de cahier des charges, à disposition de l'industriel. Le chercheur assurerait une fonction de tuteur, capable de familiariser l'enseignant avec ses méthodes de recherche action, tout en l'aidant à prendre du recul sur sa pédagogie. Au sein de l'académie de Créteil, les liens entre le personnel en charge de l'innovation pédagogique et les chercheurs en sciences cognitive sont étroits: nous travaillons avec le groupe compas, un groupe de chercheurs du département d’études cognitives de l’Ecole normale supérieure. Compas travaille à la frontière des sciences cognitives, de l’éducation et des technologies, pour permettre le croisement des résultats expérimentaux et théoriques de la recherche et des contextes pédagogiques. Nous avons aussi des relations suivies avec le laboratoire STEF de l’ENS Cachan et le l’équipe Mocah du laboratoire d’informatique de Paris 6.

Le plus pertinent serait d'instaurer en France ou en Europe une sorte d’institut du jeu vidéo pour l'éducation et la formation, comme cela peut exister aux Etats-Unis, avec l' "Institute of Play" et le "Games For Learning Institute", qui confrontent chercheurs, industriels, enseignants et institutionnels. En Ecosse, le Consolarium pourrait aussi servir de modèle à la France.

ToutEduc: Quelles seraient les autres limites au développement de ces jeux?


Julien Llanas: L'Intégration des jeux sérieux nécessite une certaine souplesse dans l'organisation des établissements et un travail transdisciplinaire autour d'un projet. Les enseignants français ont une formation disciplinaire très poussée, il s'agirait de pallier cette spécialisation didactique par un travail en équipe. Pourquoi pas, face à un problème pédagogique transversal, en référer au professeur d'EPS, très bien formé à ces questions? Les réformes actuelles semblent accompagner cette évolution, le socle commun des connaissances et compétences posant le principe de transversalité des enseignements. On peut imaginer, sur le long terme, qu'une refonte totale du management des connaissances aura lieu. Cette mutation de l'école demandera du temps.

ToutEduc: On ne peut donc pas parler actuellement de "Révolution" pédagogique?

Julien Llanas: Les jeux sérieux demeurent un matériel à la disposition des enseignants. Leur utilisation dépend de la manière dont l'enseignant a construit, ou non, un contexte pédagogique dans sa classe. Certains professeurs utilisent les jeux sous forme linéaire, d'autres mettent en place une éducation critique aux jeux, une réflexion sur les normes du jeu vidéo. Certains utilisent le principe de la narration interactive pour retravailler l'analyse du récit, d'autres ont recours aux TICE pour enrichir leur cours magistral grâce aux captures d'images vidéo, ou bien pour faire de l'analyse grammaticale. La question des TICE se situe en dehors du débat pédagogisme/traditionalisme, qu'il ne vient pas trancher. L'adoption des jeux vidéos peut être faite par les uns et les autres sans les amener à changer leurs paradigmes. A fortiori les nouvelles technologies renforcent la puissance de l'enseignant, puisqu'elles lui offre le don d'ubiquité. Dans tous les cas, l'éducation critique aux jeux me semble une mission de l'école. Il faut donner aux élèves un outil pour qu'ils se créent un goût, leur faire comprendre qu'il existe des effets de gamme s'agissant des jeux vidéo.

ToutEduc: Qu'est-ce qui, justement, définit un "bon" jeu pour l’éducation?

Julien Llanas: Un bon jeu vidéo utilisé en contexte scolaire est d'abord un jeu qui motive. Or, ne nous leurrons pas, ce qui motive l'élève à l’école ce sont d'abord les bonnes notes, la réussite. L'école et les jeux se rejoignent sur ce but: dépasser les difficultés, développer des compétences. De même le travail de l'enseignant et du designer se rejoignent: accompagner l'élève ou le joueur face à la difficulté croissante. L'argument du divertissement n'est pas le bon. Il ne fait pas sens pour l'élève, qui peut se sentir dupé lorsqu’on lui présente une activité purement ludique en classe.
Coté enseignant, le bon jeu vidéo pour l’éducation doit offrir de meilleures conditions de travail ou une meilleure productivité, autrement dit, permettre que davantage d'élèves arrivent à un haut niveau de savoir. L’enseignant fait partie des utilisateurs finaux du jeu vidéo. Il doit partager son expérience du terrain, pour que soient élaborés des jeux vidéo qui s’adaptent au mieux au profil particulier de chaque élève. Attention on continue à employer le terme jeu vidéo mais les logiciels interactifs de formation ou d’éducation intégrant des technologies issues du jeu vidéo sont parfois très éloignés de ce genre.

ToutEduc: Y'a-t-il un marché pour le jeu vidéo en éducation?

Julien Llanas: Le développement d'un jeu peut coûter plusieurs millions d’euros. Il n'existe actuellement aucun business model pour faire des produits de ce type pour l'éducation. En outre, les jeux sont très dépendants des programmes scolaires nationaux, donc les entreprises auraient peu de gains financiers à espérer, en terme d'export des contenus pour la plupart des matières. Le développement de standards européens avec les différents socles et cadres européens pourrait permettre de structurer un marché européen pour soutenir ce type de production. Par exemple, un jeu sur la première guerre mondiale en France ne pourrait pratiquement concerner que les élèves de l'hexagone à moins de disposer d’une vision européenne du conflit qui s’impose peu à peu dans les programmes mais n’est toujours pas d’actualité.
Pour exister aujourd'hui, les projets doivent être subventionnés. L'enseignant pour disposer de jeu vidéo d’un niveau graphique familier pour les élèves, peut détourner des jeux existants pour s'en servir en cours. Autrement il peut créer des jeux avec ses élèves, comme c'est la cas dans l'académie de Créteil. Une collaboration avec l'industrie du jeu vidéo pourrait permettre de former les enseignants à l’analyse et à la création de ces nouveaux média pour transmettre les connaissances adéquates avec des stratégies pertinentes. Les outils disponibles deviennent de plus en plus simples. Qu'on le veuille ou non, l’enseignant est un créateur de jeux sérieux et on peut même avancer l’hypothèse que l'avenir va dans ce sens : par la promotion de la démarche d’investigation en sciences par exemple on demande à l’enseignant d’exciter la curiosité de l’élève en le mettant en face d’une intrigue qu’il doit résoudre pour apprendre ; la personnalisation du parcours de l’élève et la gestion fine de la difficulté progressive à laquelle il est confronté sont aussi des pistes de rapprochement entre les métiers de l’industrie du jeu vidéo et ceux de l’éducation.
 

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