"Les orientations par l'échec sont devenues la régle en matière d'enfance handicapée". (Daniel Calin)
Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 27 janvier 2011.
L'école peut-elle être un lieu de soins? Voilà la question posée lors de la soirée d'échange organisée le 26 janvier par l'APCOF (association de psychologues cliniciens d'orientation freudienne), s'agissant de la scolarisation des enfants présentant un handicap mental (psychotiques, autistes...). Certains enfants disposent d'un soutien à travers des réseaux d'aides (RASED) ou d'une orientation dans des classes CLIS ou ULIS, souvent l'ultime moyen de leur donner un statut d'écolier identique à celui des enfants de leur âge. Pour d'autres, l'orientation relève directement d'institutions spécialisées ou médicalisées. Quelle est la logique de ces orientations?, s'interrogent les spécialistes de la soirée, la plupart issus de l'enseignement spécialisé.
"Depuis l'adoption de la loi de 2005, on note une multiplication des orientations et des réorientations de ces enfants par l'échec", regrette Daniel Calin, philosophe et formateur d'enseignants spécialisés et d'AVS. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées renforce les actions en faveur de la scolarisation des élèves handicapés. Elle affirme le droit pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à un parcours scolaire continu et adapté. Les parents sont de plus étroitement associés à la décision d'orientation de leur enfant et à la définition de son projet personnalisé de scolarisation (P.P.S.).
Daniel Calin constate la multiplication des structures d'accueil des enfants présentant un handicap mental: CLIS, ULIS, centre médico-éducatif, classes ordinaires avec accompagnement de ces élèves par AVS... Il ne peut que souligner, en réponse à cette mulitiplication de l'offre et du "pouvoir quasi-illimité" donné aux familles par la loi de 2005, une certaine "errance" de ces enfants, d'une structure à une autre, avec toute la souffrance pour ceux-ci quand la seule image qui leur est renvoyée est celle de leur impossible inscription scolaire. "On retrouve des enfants de tous les types et degrés de handicap dans tous les modes de scolarisation qui existent aujourd'hui".
L'ensemble des modalités d'accueil évoquées par le philosophe serait par ailleurs très souvent "mis à mal" par le fait que sont présents ici ou là des enfants "auxquels ne correspondent pas la structure, l'environnement, la formation professionnelle des intervenants". En opposition, Daniel Calin affirme son souci d'"une construction cohérente" du projet personnel et de professionalisation de ces enfants. "Le profil antérieur à 2005, certes rigide mais logique, d'une orientation basée sur la correspondance linéaire entre un type de handicap et une institution donnée, dispensatrice d'un programme adapté au type de handicap, explose au profit d'un grand n'importe quoi".
Il estime que dans la majorité des classes d'intégration CLIS/ULIS, la fréquentation est "chaotique": "On y retrouve un ou deux autistes, des enfants présentant une déficience intellectuelle, d'autres présentant des troubles graves du comportements. Certains enfants sont des fils et filles de migrants primo-arrivants qui n'ont pas pu être scolarisés ailleurs".
Deux raisons à cette situation: le discours ambiant, qui, pour des considérations budgétaires entre autre, tendrait à recommander à tout prix l'inclusion des ces enfants au sein de l'école ordinaire; la toute-puissance des familles dans les choix d'orientation. "La loi de 2005 a entrainé un phénomène de décomposition de la guidance des familles". L'orientation véritablement adaptée de ces enfants dépendrait ainsi "de la maléabilité" ou de "la bonne volonté" des familles.
"Pour certaines familles, il est très difficile d'accepter le souci de santé mental de l'enfant. Nous observons que l'infirmité de l'enfant atteint fortement la mère sur un plan narcissique", souligne Gaëlle Brigardis, de l'hôpital Marc Jacquet (Melun). Conséquence: certains enfants seraient scolarisés en classes ordinaires, leur handicap n'étant pas posé comme tel, donc pas pris en charge ni accompagné. De citer également le cas de parents préférant faire appel à des AVS privées, pour "contourner la nécessité du recours aux centres de soins médicalisés".
Concernant les auxiliaires de vie scolaire, une note préconise l'organisation d'un module de formation d'adaptation à l'emploi d'une durée minimale de 60 heures, auquel peuvent s'ajouter des modules, dans une logique de formation professionnalisante en cours d'emploi. Les intervenants soulignent les profils très divers, en terme de qualification, des AVS, certains organismes privés recrutant des AVS ayant validé une formation en psychologie, auxquelles les familles peuvent directement faire appel.
"Oui aux apprentissages, mais en tenant compte de la singularité des sujets", s'exclame Dario Morales, psychologue et psychanalyste. Le thérapeuthe souligne qu'au delà de la diversité des pratiques professionnelles, l'apprentissage ne doit pas relever pour ces enfants d'un forçage scolaire, mais leur permettre de rentrer dans le discours. "A partir d'une diversité d'approche, il nous revient de témoigner d'un souci constant, celui du soutien de la fonctionnalité du langage, pour créer un espace pour la parole chez des garçons et filles jusque là privés de cet accès".
Les actes de cette rencontre devraient prochainement être mis en ligne sur le site de l'APCOF (ici).