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L'approche par compétences: Avancée pédagogique ou soumission au marché de l'emploi? (actes de colloque)

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 03 janvier 2011.

"Il est indéniablement urgent de réinventer une conscience politique de la pédagogie", estiment N. Hirtt et Ch. Laval. "Comment les mouvements de pédagogie nouvelle, qui poursuivaient à l’origine des finalités politiques (comprendre le monde pour le changer) ont-ils pu être aussi facilement retournés par les diktats économiques?", s'interrogent les deux intervenants en conclusion d'un colloque international qui se tenait le 13 novembre 2010, à l'Université Libre de Bruxelles. L’Aped (l’Appel pour une école démocratique, mouvement Belge de réflexion et d’action) publie cette semaine les actes de ce colloque, intitulé "L’enseignement européen sous la coupe des marchés", également disponibles sur leur site Internet (ici).

Comment se fait-il qu’autant de relais pédagogiques, même de gauche, aient plongé à pieds joints dans l’approche par compétences? L’appel lancinant du patronat à plus d’adaptabilité de l’école reflète-t-il une vraie évolution du marché du travail ? Le patronat forme-t-il un seul bloc ? Ou bien est-il traversé par des contradictions, des rapports de force, certains secteurs ayant des intérêts différents des autres ? Autant de questions formulées par Nico Hirtt (Aped), et débattues par Mateo Alaluf (sociologue, professeur à l’Université libre de Bruxelles) et Christian Laval (FSU et Attac).

Pour Mateo Alatuf, deux approches polarisées coexisteraient de la part des entreprises: un besoin de salariés peu qualifiés et à bas coût, émanant de secteurs traditionnels comme la construction ou la fabrication métallique; un besoin de salariés flexibles, adaptables aux besoins du marché, d’où une tendance lourde à l’individualisation des formations. "Les pourvoyeurs d’emplois sont en pleine mutation : ce ne sont plus seulement des entreprises, mais aussi des ensembles financiarisés (par exemple, les libraires indépendants disparaissent au profit d’officines de grandes chaînes, tenues par des personnels exerçant des compétences non reconnues par des qualifications). De plus en plus d’emplois se créent dans ce cadre 'sans entreprise' ". Dans un contexte mouvant, l’important, pour le patron, serait non seulement de trouver un travailleur qualifié, mais aussi et surtout un travailleur qui accepte des horaires flexibles, et ayant intégré les valeurs de l’esprit d’entreprise. L’approche par compétences, imposée à tous les systèmes scolaires, servirait cette attente polarisée du marché.

Christian Laval se montre plus nuancé s'agissant des liens entre l'approche par compétences et le patronat: Les milieux patronaux ont-ils une conscience claire de leurs propres intérêts ?, sinterroge t-il, avant d'estimer: "Oui, bien sûr, mais le système qui se met en place est-il réellement conforme à leurs intérêts, sans contradictions et sans difficultés ?" Il faudrait, selon lui, se demander si ce lien est "le fruit de décisions fonctionnalistes", ou si il s’impose "petit à petit, de manière aveugle et inconsciente".

L'inféodation, plus ou moins linéaire, du système scolaire aux attentes du marché n'en inciterait pas moins chacun "à devenir entrepreneur de soi", ce qui expliquerait bien l’importance "devenue démesurée" des dispositifs d’orientation des élèves. Le leitmotiv "apprendre tout au long de la vie" devrait également se comprendre comme une injonction à développer sans fin des compétences nouvelles. Il y aurait un "recyclage permanent" à faire de soi-même, avec un risque de culpabilisation en cas d'échec: "Les politiques se déchargent de leurs responsabilités. Le destin social et professionnel de chaque individu repose désormais sur ses seules épaules. S’il échoue, c’est de sa faute".

Les deux intervenants appellent les "pédagogues progressistes" à reconsidérer l'approche par compétences, dans toute la complexité de sa portée politique et économique, sous peine de se limiter à être "des techniciens de la pédagogie" qui auraient oublié leurs objectifs émancipateurs.

Voir aussi sur ToutEduc:
L'orientation des élèves européens en question


 

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