Bac pro en 3 ans: Un premier bilan de leur généralisation (Recherche).
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 30 novembre 2010.
Quels sont réellement les objectifs et les enjeux du bac professionnels en 3 ans? Comment les élèves s’emparent-ils de ce nouveau dispositif ? "Les premières analyses montrent la diversité des élèves, des liens et des rapports qu’ils établissent avec la formation qui leur est offerte. Elles témoignent aussi de discours contrastés, allant de l’enchantement à la désillusion", déclare la chercheuse Carole Daverne (Université de Nantes), qui a choisi de centrer son attention sur deux établissements de Nantes. La mise en place du bac professionnel en 3 ans (BP3) dans la spécialité "comptabilité" a été décidée dans l’académie, sous forme d'expérimentation la première année avant sa généralisation. L'analyse proposée est le fruit du suivi sur trois ans des élèves concernés par cette expérimentation.
La chercheuse note le rôle prépondérant des enseignants, renforcé par le caractère expérimental du BP3: "L’un des rôles de l’ensemble des enseignants en LP est de rassurer et valoriser les élèves (...) Les enseignants ont particulièrement à coeur de réussir cette expérimentation et désirent que leurs élèves réussissent. (...) Tous les élèves interrogés signalent bien le regard positif que portent sur eux les enseignants". Le discours change en dernière année: si les élèves d'un des établissements pilote décrivent toujours une équipe enseignante présente, les autres se sentent davantage délaissés, soulignant qu’"il n’y a pas vraiment de programme : on est une classe expérimentale". Ils déplorent également "la charge de travail donnée par les enseignants et le manque d’organisation de certaines séances ".
De plus, certains jeunes motivés se désengagent peu à peu et deviennent "démissionnaires". A l’inverse, des élèves initialement désimpliqués deviennent actifs et engagés, avant tout motivés par l’obtention du BP rapidement et non par la formation en tant que telle: "Il n’y a plus de motivation. C’est peut-être le fait aussi qu’on arrive au terme des 3 ans et qu’il y a une forme de lassitude. Parce que la plupart des élèves ne sont pas venus ici parce qu’ils voulaient être comptables, ils sont venus ici parce qu’il y avait un bac pro 3 ans".
La première année est vue "comme une opportunité" par les élèves, commente Carole Daverne: "Ils ont peut-être le sentiment 'd’appartenir à une élite', comme l’a souligné un jeune, et sont tiraillés entre une appartenance collective à une communauté parfois stigmatisante (élèves de l’établissement, élèves de LP) et une distanciation de cette communauté par le fait d’avoir été 'choisis' pour l’expérimentation". Elle note que certains élèves semblent aussi "transformés par le BP3". "Ce phénomène a déjà été relevé dans de nombreux travaux sur les LP, mais nous semble accentué dans ces classes expérimentales qui les distinguent. Enseignants et élèves semblent enfin partie prenante de l’expérimentation, solidaires de sa réussite".
Au fil du temps, la désillusion est toutefois grande chez bon nombre d’élèves : ils se plaignent notamment de l’accélération du rythme de la formation et "de plus, parce qu’ils ne sont plus les seuls concernés par le BP3, ils redeviennent en quelque sorte des élèves ordinaires de LP", analyse la chercheuse.
Côté professeur, l'enthousiasme est fort la première année, "tandis que le travail est facilité par le contexte expérimental" (taille des classes réduite, élèves sélectionnés, moyens horaires accrus). La deuxième année de formation, un désenchantement transparait, parallèlement à celui des élèves: "confrontés à l’absentéisme et aux incivilités de certains élèves, les professeurs interrogés se sentent délaissés par les corps d’inspection - ces derniers sont décrits par les professeurs comme incapables de répondre à leurs doutes sur le bien fondé du BP3 et à leurs interrogations sur la mise en place concrète de la réforme". Ils s’interrogent enfin sur la pertinence d’une expérimentation qui ne dure qu’un an, certains enseignants dénonçant "une manipulation".
De l’expérimentation à la généralisation du baccalauréat professionnel en 3 ans :
parcours d’élèves (dés)enchantés, Carole Daverne.
Cette étude a fait l'objet d'une communication lors des rencontres Jeunes et sociétés organisées fin octobre à Montpellier.