Discriminations et laïcité : le Défenseur des droits rappelle et précise les règles qui s'appliquent dans le domaine scolaire
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mardi 09 décembre 2025.
"Rappeler le droit, tout le droit, rien que le droit" et porter un regard objectif et apaisé, c'est l'ambition du Défenseur des droits dans son rapport sur "les discriminations fondées sur la religion". Or l'enquête "Accès aux droits" révèle que 32 % des parents ayant des enfants âgés de 6 à 23 ans déclarent que, "au cours des cinq dernières années, leur enfant a été traité différemment des autres élèves, dans la notation, lors des décisions d’orientation, dans la discipline et les sanctions ou dans la façon dont les enseignants s’adressaient à lui", une proportion qui, pour les parents "de confession musulmane ou perçus comme tels" monte à 40 %. "Faute d’effectifs suffisants, les résultats "concernant les élèves de confession déclarée ou imputée juive ne permettent pas de produire des statistiques robustes à partir des données de cette enquête, une enquête de l'IFOP "révèle un
antisémitisme prégnant dans le milieu scolaire".
La présentation de l'enquête "Accès aux droits" est pour l'institution l'occasion de rappeler quel est l'état du droit de la laïcité à l'Ecole. En voici l'essentiel :
En ce qui concerne l'enseignement public
"En tant qu’agents publics participant à une mission de service public, les enseignants sont soumis à une stricte obligation de neutralité durant le service, même lorsqu’ils ne sont pas en contact avec les élèves (salle des professeurs, réunions pédagogiques, etc.). Cette obligation de neutralité leur interdit le port de tout signe religieux, même discret."
"Dès lors qu’ils assurent un service public, les employés d’organismes de droit privé sont également soumis à ce devoir de neutralité. Il en est ainsi des animateurs des activités périscolaires, à condition toutefois qu’elles soient mises en place sous le contrôle étroit des collectivités dans les établissements publics. L’exercice d’une mission de service public suppose en effet que la mission soit, cumulativement, d’intérêt général, voulue par l’administration publique, organisée et pleinement contrôlée par elle."
Aux élèves "s’applique une obligation de discrétion religieuse". Le rapport rappelle les termes de la loi du 15 mars 2004, mais aussi ceux de la déclaration des droits de l'Homme qui "empêche que soit interdit le port de signes discrets (petite croix, main de Fatma, étoile de David,etc.)". Si la loi de 2004 "a pour objet de protéger les élèves contre toute forme de prosélytisme, son application peut aussi générer des situations de discriminations fondées sur la religion."
En ce qui concerne l'enseignement privé sous contrat
"Une liberté de conscience absolue est garantie aux élèves comme aux enseignants, et les uns comme les autres sont protégés contre toute discrimination religieuse."
"Les enseignements sont laïques" et dispensés "par des agents publics soumis – comme tous les agents publics – à une stricte obligation de neutralité".
Les élèves ne sont pas, "en principe, soumis à une obligation de discrétion religieuse", à moins que leur établissement ait décidé d’insérer cette règle dans leur règlement intérieur. "Dans la pratique, il semble que
la majorité des établissements catholiques sous contrat prévoient une telle obligation."
En cas de doute, le Défenseur des droits préconise
"En cas de doute (...) et afin de ne pas porter une atteinte injustifiée à son droit à l’éducation, il paraît opportun de laisser l’élève accéder à l’établissement et d’envisager ultérieurement, si nécessaire, la poursuite de ce dialogue avec lui et ses représentants légaux sur un temps dédié. Cette précaution paraît essentielle pour éviter toute déscolarisation hâtive."
Cette préconisation intervient après que "le Défenseur des droits a été saisi d’un certain nombre de réclamations portant sur le port de tenues qualifiées d’abayas par les établissements scolaires (...). Après instruction, le Défenseur des droits constate soit une absence d’atteinte aux droits de l’élève (ainsi lorsque l’établissement justifiait en quoi il avait pu légitimement considérer que par sa tenue la jeune fille manifestait de manière ostensible son appartenance religieuse (...), soit une atteinte aux droits de l’élève. Le Défenseur des droits a par exemple été saisi d’une réclamation concernant une élève qui, lors de la rentrée scolaire, s’était rendue au lycée habillée d’un long kimono beige, porté ouvert sur un pantalon et un t-shirt noirs. Le proviseur avait refusé de la laisser accéder à l’établissement (...). Même si l’élève avait refusé d’ôter son kimono ce jour-là, il n’apparaissait pas que ce seul indice était suffisant pour laisser penser qu’elle avait l’intention, par cette tenue, de manifester son appartenance religieuse. En effet, l’élève n’avait jamais auparavant reçu de remarques sur ses tenues vestimentaires, pourtant similaires. Dans le cadre de l’instruction menée par le Défenseur des droits, le rectorat a reconnu que le port de cette tenue à l’école ne semblait pas contraire à la loi." Il prône donc "une approche individualisée et contextuelle, à rebours d’une logique d’interdiction générale et abstraite. La répétition des tenues, le dialogue antérieur, le comportement de l’élève (refus d’une activité pédagogique, contestation de la légitimité d’un enseignement ou d’un professeur au nom de motifs religieux, prosélytisme, etc.), sont autant d’indices devant être mis en balance" pour "une lecture protectrice des libertés fondamentales".
La restauration collective
"Le refus d’une collectivité d’adapter un repas en fonction des convictions religieuses des familles ne saurait être assimilé à une pratique discriminatoire" mais "aucun élève ne doit être empêché d’accéder au service public de restauration sur la base de sa religion" ni être contraint "à manger un plat contenant un aliment contraire aux prescriptions alimentaires que lui imposent ses convictions religieuses". Afin d’éviter tout litige, le Défenseur des droits préconise que "les municipalités ne souhaitant pas mettre en place de menus de substitution prévoient a minima un affichage des menus à l’avance de manière à permettre aux parents de s’organiser en prévoyant les jours de présence de leur enfant à la cantine."
L'internat
"Le Défenseur des droits a été saisi par la mère d’un collégien qui faisait état de difficultés à obtenir, dans un internat scolaire public, un petit-déjeuner et un dîner en dehors des horaires habituels pendant le ramadan. Après intervention du Défenseur des droits, le chef d’établissement a finalement mis en place les aménagements nécessaires pour que l’élève puisse consommer un repas matin et soir (sous forme de pique-nique) en dehors des horaires habituels de restauration."
Les parents
"Ni agents publics (comme les enseignants), ni usagers du service public de l’enseignement (comme les élèves), les parents n’entrent dans aucune catégorie juridique classique."
Le rapport fait état d'un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon qui estime que "les parents qui participent aux activités 'à l’intérieur des locaux scolaires' exercent des fonctions 'similaires' à celles des enseignants justifiant d’exiger d’eux le respect du principe de neutralité". Cet arrêt n'a fait l’objet d’aucun pourvoi devant le Conseil d’État et son application "demeure donc incertaine". Le Défenseur des droits "observe néanmoins que, dans les réclamations qu’il reçoit, de plus en plus d’établissements et de rectorats se fondent sur cet arrêt – qui reste pourtant à ce jour isolé – pour justifier l’interdiction du port du voile par les mères d’élèves, y compris dans le cadre de sorties scolaires (...). Pour que soit imposé un devoir de neutralité au parent d’élève, celui-ci doit faire
bien plus que d’assurer une simple mission d’accompagnement, d’aide et de sécurité au moment (limité dans le temps) de l’activité (...). L’exercice de 'fonctions similaires à celles des enseignants' suppose une véritable implication pédagogique du parent (...) pour participer à la transmission des savoirs, au suivi des apprentissages ou à l’animation éducative de l’activité."
Assiduité
"La dispense d’assiduité sera accordée si deux conditions sont remplies. D’abord, l’autorisation d’absence doit demeurer compatible avec l’accomplissement des tâches inhérentes aux études. Par exemple, l’emploi du temps peut comporter un nombre important de cours et de contrôles de connaissance organisés le samedi et empêcher toute dérogation systématique à l’obligation de présence ce jour (...). Ensuite, l’autorisation d’absence doit être compatible avec le bon fonctionnement du service (par exemple, certains cursus prévoient des enseignements dispensés par des professionnels qui ne peuvent être présents que le samedi) et le respect de l’ordre public (des autorisations massives pourraient susciter l’enclenchement d’une spirale revendicative ou l’émergence de tensions entre élèves)."
Examens, remise de diplômes
La loi du 15 mars 2004 "ne s’applique pas aux candidats qui viennent passer les épreuves d’un examen ou d’un concours dans les locaux d’un établissement public d’enseignement et qui ne deviennent pas de ce seul fait des élèves de l’enseignement public".
"Le Défenseur des droits est régulièrement saisi par des diplômées qui ont été interdites, en raison de leur voile, d’accès à la cérémonie de remise de leur diplôme (...). Cette question ne pose aucune difficulté lorsque le diplôme obtenu est le baccalauréat (...). En tant qu’ancien élève (...), le diplômé n’est plus soumis aux obligations découlant de la loi n° 2004-228 (...). Cette solution diffère lorsque la cérémonie vise à délivrer le diplôme du brevet. L’article L. 141- 5-1 du code de l’éducation (...) concerne tous les élèves scolarisés dans un établissement public (...), même lorsqu’ils se trouvent dans les locaux d’un établissement dans lequel ils ne sont pas ou plus scolarisés." Toutefois, "les enfants scolarisés dans un établissement d’enseignement privé ou déscolarisés, ne sont pas soumis à cette interdiction" et le Défenseur des droits constate "la complexité du droit applicable" pour les élèves et pour les établissements "qui doivent distinguer, parmi les diplômés, ceux relevant toujours de l’enseignement public et ceux qui n’en relèvent plus".
Stages
Lorsqu’ils sont en stage dans une administration ou une entreprise qui exerce une mission de service public," les
étudiants sont tenus de respecter, sur leur lieu de stage, la même neutralité que les agents ou salariés exerçant cette mission de service public", mais dans une entreprise privée qui "n’exerce aucune mission de service public et ne dispose d’aucune clause de neutralité dans son règlement intérieur", parce qu’il se trouve alors placé dans un environnement professionnel et non scolaire, l’élève (...) est libre de porter un signe ou une tenue manifestant ostensiblement son appartenance religieuse".
Le rapport ici

