La place des corps à l'école, un impensé des systèmes scolaires (Revue internationale d'éducation - Sèvres)
Paru dans Scolaire le mardi 18 novembre 2025.
"Aujourd'hui, le dualisme corps - esprit domine largement les pratiques scolaires (...). Toutefois, des initiatives nombreuses et créatives émergent pour repenser le rapport au corps à l'école (...) et repenser l'apprentissage - enseignement comme un processus collectif, collaboratif et incorporé." La rédaction de la RIES a voulu poser la question des "corps à l'école" en évitant les réponses déjà évoquées par la "Revue internationale d'éducation de Sèvres" sur la place de l'EPS (éducation physique et sportive), sur la santé, sur les disciplines artistiques, là où le corps est très évidemment impliqué. Mais qu'en est-il des corps dans tous les autres cours ? et des corps des enseignants ? A cette dernière question, l'équipe n'a pas reçu de réponses, et pour ce qui est des élèves, "il n'a pas été aisé (...) d'identifier des auteurs au niveau international".
Bien que "les pays étudiés relèvent de traditions éducatives et philosophiques plurielles (...), les auteurs s'accordent largement sur l'existence d'un modèle éducatif de référence, caractérisé par la séparation du corps et de l'esprit, qu'ils attribuent à la pensée de Descartes (...) ou au colonialisme qui a propagé ce modèle au-delà de l'Europe (...). Le paradigme dominant de l'école reste souvent celui d'un corps contraint de rester assis et de faire silence pour mieux apprendre." Les diverses contributions permettent d'affirmer "au contraire la place centrale du corps dans l'expérience humaine : la cognition n'est pas (...)localisée uniquement dans le cerveau, mais comme un processus dynamique qui engage le corps et les émotions."
"La discipline des mathématiques, souvent perçue comme le modèle de l'objectivité scolaire, semble à première vue échapper aux influences culturelles", mais la contribution qui compare les manuels français et allemands et leurs chapitres concernant les grandeurs et mesures au cycle 2, montre qu'il n'en est rien. En Allemagne, on commence par mesurer avec la largeur de la paume ou la longueur de l'avant-bras, les élèves se déplacent dans la classe pour évaluer les dimensions des fenêtres ou des tables avant de les exprimer en mètres et centimètres, en France, le seul exercice qui convoque une dimension corporelle demande aux élèves de calculer, sans quitter leur chaise la longueur et la largeur de la cour telle que l'imagine l'auteur du manuel, en supposant que l'adulte qui la traverse fait 20 pas de 1m...
La place faite aux corps ne s'inscrit pas seulement dans une perspective pédagogique, l'analyse de l'iconographie de manuels scolaires iraniens montre qu'ils véhiculent "un système de valeurs" : le corps féminin est moins souvent présent, il est voilé, "la séparation des genres est une donnée structurante"... Le dossier de la revue donne plusieurs exemples d'identités culturelles, et de tensions au sein de ces identités, dont la place faite au corps est la manifestation. Au Brésil, le système scolaire hérité de la colonisation vise à créer "un corps docile, facile à dominer, à immobiliser et même à occulter", mais la loi 10.639/03 rend obligatoire l'inclusion de la culture afro-brésilienne et indigène dans les programmes, "des modèles alternatifs émergent"; dans certaines écoles, et surtout hors temps scolaire, la capoeira met les enfants "au défi de bouger leur corps et d'apprendre à sentir leur potentiel".
Au Maroc, à l'école moderne, "pas une mouche ne bouge" tandis qu'à l'école coranique, les enfants accompagnent de leurs corps la psalmodie qui leur permet d'apprendre les sourates. En Nouvelle-Zélande, on ne se bagarre pas dans la cour de récréation, on règle ses conflits avec des mots, au Japon, l'échange de quelques coups témoigne d'un solide caractère...
Revue internationale d'éducation - Sèvres, n° 99, "les corps à l'école", 196 pages, 19€ (infoprofs@editions-hatier.fr)

