Un roman pour donner à voir et comprendre comment le système scolaire, malgré lui, reproduit les inégalité sociales (J-P Delahaye)
Paru dans Scolaire le lundi 20 octobre 2025.
"Je n’ai pas encore parlé de la bibliothèque de Clo (le lycée Clovis, ndlr), c’est un vrai palais. Il faut voir le nombre de livres qu’il y a sur les étagères. Chez nous, c’est simple, des livres il n’y en a pas." Jean-Paul Delahaye publie "Frapper les pauvres", un objet littéraire non identifié, à la fois roman à plusieurs voix, manifeste, cahier de doléance, message d'amour à une jeunesse qui rêve d'effacer les frontières entre ville et banlieue, qui n'en peut plus de la misère et des injustices que les conditions de scolarisation rendent palpables. "Le périphérique, ça fait un peu penser aux douves qui protégeaient les châteaux au Moyen-Âge."
Deux excellents élèves de collèges du 9-3 sont admis dans l'internat d'excellence d'un lycée "pour les bourges", et il leur faut affronter tous les stigmates de classe. Comme l'explique son amoureuse, "Dylan a longtemps détesté son prénom. Il avait reproché ce choix à ses parents. Il pensait que ça faisait minable, genre basket à deux bandes". Quant à Brandon, il n'a pu intégrer "Clo" que grâce à la communauté malienne que ses parents ont rameutée, "chacun s’est cotisé pour rassembler, soit en argent, soit en habits ou en fournitures, de quoi faire (s)a rentrée à l’internat".
Non sans essuyer des remarques racistes, ils s'intègrent, "Brandon et moi, on n’a jamais autant travaillé. Au début, ça nous faisait drôle, on n’avait pas l’habitude. Ça nous empêche parfois de dormir. Mais on remarque que plus on travaille et plus on aime ça." Mais quand ils rentrent chez eux le week-end, ils retrouvent leurs copains qui "ne comprennent pas pourquoi ça ne se passe pas comme ça aussi pour eux. Et pourquoi ils n’en prennent que quelques-uns et laissent tous les autres dans leur merde. Ils ont raison les copains." Et Elsa, la petite amie de Dylan est dans un lycée professionnel, où les professeurs absents ne sont pas remplacés. "Ce que j’ai dit à Dylan, c’est que nous, les élèves du lycée professionnel, on devrait faire comme en 1789 et écrire à notre tour des cahiers de doléances." Ce qui permet à l'auteur de nous proposer quantité de notations prises sur le vif, de la réalité de la pauvreté, de la misère parfois, saisie au quotidien dans tous ses aspects.
Mais bientôt, les cahiers de doléances ne suffisent plus "la colère est montée d’un cran", l'action politique s'impose, elle prend de l'ampleur...
"Frapper les pauvres", Jean-Paul Delahaye, Éditions de la Librairie du Labyrinthe, 18€ (le site ici)