Discipline scolaire: quel sens prend-elle aujourd'hui (recherche)
Paru dans Scolaire le jeudi 30 septembre 2010.
Les discours communs et médiatiques sur l’Ecole relayeraient "une nostalgie des règles et de l’autorité qu’il nous faut penser", alors que "l’École a institué la relation savoir / pouvoir au travers des règles disciplinaires qu’elle fait mine d’imposer" mais que "la transformation même des modalités de socialisation (...) renforce les incompréhensions et les frustrations de tous les acteurs". Béatrice Mabilon-Bonfils (Université de Cergy-Pontoise/IUFM de Versailles) analyse dans un article publié par la revue Socio-Logos les crises sporadiques qui agitent le système scolaire depuis plusieurs années. Elles témoigneraient d'un désenchantement de l'Ecole, "à saisir comme symptôme d'une crise de citoyenneté collective, d'une véritable crise du politique, crise des institutions et plus largement de l’intégration républicaine".
Les jeunes des périphéries, "ceux-là mêmes qui cherchent vainement tour à tour une reconnaissance de l’Ecole et une voie d’une conformité à ses exigences qu’ils ne peuvent pas atteindre", pâtiraient de l’inadéquation de leurs socialisations familiales à celle prescrite par l'Ecole. Ils imposeraient aux enseignants des rappels continuels à la règle, des prises de sanctions, mais surtout "des stratégies de compromis nécessaires à la réduction des tensions".
La mise en cause de la "norme scolaire" tiendrait également de l'avénement de l'individu post-moderne. "La post-modernité se caractérise par la quête de l’accomplissement de l’être, la recherche de l’épanouissement individuel, de la liberté et du plaisir. (...) Ce contexte culturel (...) questionne les valeurs scolaires d’effort, de travail, de discipline et de rigueur". L’Ecole serait soumise à de nombreux codes, souvent contradictoires, des exigences civiques à celles du marché, "des exigences de performances individuelles au respect des identités collectives et individuelles".
"Il nous faut tirer toutes les conséquences du fait que les sujets ne passent pas seulement leur temps à s’ajuster dans des interactions ou des situations mais produisent, transforment, reconfigurent, qualifient, interprètent des relations, qu’ils vivent", estime la chercheuse, qui souligne que les élèves/adolescents sont le miroir de cette mutation, "réagissant au non-négociable / tout-négociable dans un monde d’incertitudes et d’exigences croissante".
Elle évoque notamment un nouveau mode d'absentéisme: "Les stratégies consuméristes et les rituels ludiques à l’origine de l’absentéisme touchent des populations scolaires qui maîtrisent le jeu scolaire, qui ont intériorisé les modalités de fonctionnement scolaire, au point de vouloir jouer avec les règles et limiter les conséquences de leurs actes". Souvent bons ou moyens, ces élèves n’auraient pas de difficultés sociales ou scolaires particulières, seraient bien intégrés dans leur classe ou leur établissement mais utiliseraient les failles, les zones d'incertitude de l’organisation scolaire.
Face à ces élèves, les enseignants disposeraient d'une certaine marge de manoeuvre, qui participerait, paradoxalement, d'une redéfinition de l'ordre scolaire: "Dans les relations de pouvoir qui s’instaurent dans un établissement scolaire, les fluctuations de la règle sont un élément possible de production collective d’un ordre scolaire, fait de désordres temporairement stabilisés, au sein d'une organisation fixant un cadre, qu’il est toujours possible de déborder."
Au final, la chercheuse évoque une "fracture scolaire", qui aurait "valeur de 'trauma' pour le modèle républicain, jamais réfléchi car vécu comme universel et universalisable".