Le Pacte enseignant, un dispositif intéressant mais déjà menacé (Cour des comptes)
Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 30 juin 2025.
Quel est l'avenir du "Pacte enseignant" ? Le Cour des comptes qui a mené un "audit flash" publié ce 30 juin, estime qu'il a provoqué un "effet de cliquet" : "s’il venait à être supprimé, le système aurait beaucoup de mal à revenir à la situation qui lui préexistait. Cette crainte s’exprime à tous les niveaux, des enseignants aux services rectoraux", constatent d'ailleurs les magistrats qui voient cette innovation plutôt d'un bon oeil, mais qui s'inquiètent de ses fragilités.
Premier constat, il s'agit d'une mesure d'amélioration des rémunérations, mais, "au-delà de la simple revalorisation, ce dispositif a été pensé comme un levier d’intéressement salarial, dans une démarche
relativement étrangère à la culture propre au monde enseignant". Il porte néanmoins sur des sommes relativement faibles : "Durant l’année scolaire 2023-2024, le Pacte a représenté une dépense directe de 764,3 M€,(dont 31,5 M€ pour l’enseignement agricole), à mettre en regard de la masse salariale des enseignants : 52,4 Md€ en 2024."
Certaines missions couvertes par le Pacte étaient auparavant rémunérées en heures supplémentaires effectives (HSE) ou en indemnités pour mission particulière (IMP). La Cour constate des effets de substitution "importants dans le second degré" puisque "le volume d’HSE a baissé de 10 % pour les enseignants ne participant pas au Pacte et de 44 % pour ceux qui y participent. Quant aux IMP, leur volume a augmenté de 4 % pour les agents qui n’y participent pas et a baissé de 1 % pour ceux qui y participent."
La Cour estime que les enseignants se sont approprié le Pacte, malgré une baisse d'une année sur l'autre. "Alors qu’ils étaient 32 % d’enseignants participant au Pacte en 2023-2024, leur taux moyen de participation, public et privé confondus, se situe maintenant à hauteur de 29 % (...). L’académie de Nice a estimé que la mise en place du Pacte a eu un effet positif sur le climat scolaire (...). Le Pacte est, en outre, venu renforcer des dispositifs antérieurs, par exemple 'École ouverte' (...). Il a également permis de développer (...) le dispositif 'Devoirs faits' (...). Dans les établissements publics du second degré, le taux d’efficacité du RCD (remplacement de courte durée) (...) serait passé de 4,5 % en 2022-2023 à 10,5 % en 2023-2024, première année scolaire de mise en œuvre du Pacte."
Et surtout, les magistrats insistent sur la dimension contractuelle du Pacte. Le chef d'établissement connaît, à la rentrée, les moyens dont il dispose, notamment pour les remplacements de courte durée, puisque les enseignants s'y sont engagés et touchent d'ailleurs dès le mois de septembre un neuvième de "brique", et non pas après coup. De son côté, l'enseignant sait ce qu'il va toucher chaque mois. Du moins en théorie ! "Le circuit de gestion des moyens budgétaires alloués au Pacte (...) est caractérisé par sa nature descendante. À chaque niveau hiérarchique, les moyens sont notifiés par l’autorité supérieure (...), cette verticalité contraste avec l’objectif initial de renforcement de l’autonomie locale."
"Suite à l’annulation, en février 2024, de 692 M€ sur le budget de l’enseignement scolaire, le Pacte a été amputé de 110,8 M€ (...). Cette mesure a été répartie sans concertation préalable dans les académies (...). Des enseignants avaient pourtant commencé à réaliser des briques (...). Ce gel a induit une défiance envers le Pacte de la part de certains enseignants et personnels de direction. De plus, les dotations pour la rentrée 2024 n’ont pas été notifiées aux académies en février comme prévu, mais fin mai (...). A la rentrée 2024, l’allocation des moyens s’est faite à partir du niveau de consommation de 2023, avec un accroissement significatif des briques RCD (...) et une réduction de celles dévolues aux projets innovants."
La Cour craint d'ailleurs que le Pacte ne soit victime des politiques budgétaires à venir, que le dispositif n'aient pas les moyens de s'installer durablement. Autre source d'inquiétude, le Pacte n’a pas fait disparaître les autres outils de rémunération "si bien qu’une même mission peut aujourd’hui être rémunérée selon des modalités et des taux différents. À titre d’exemple, la mission de référent harcèlement relève du Pacte pour le premier degré, mais d’une rémunération par IMP dans le second degré(...). Le choix fait de maintenir les HSE, les IMP et le Pacte pose ainsi question. La coexistence de ces différents leviers, fonctionnant sur des logiques administratives différentes, contribue à complexifier un système de rémunération déjà peu lisible."
De plus, la "ligne de partage" entre ce qui relève du Pacte et ce qui relève des obligations réglementaires "est parfois ténue, comme c’est par exemple le cas des activités pédagogiques complémentaires dans le premier degré qui relèvent de ces obligations règlementaires, ou des démarches de différenciation et d’individualisation des enseignements qui, au-delà du Pacte, constituent des modalités usuelles de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap." La Cour craint, à terme, ce qu'elle appelle une "rigidification du Pacte" qui serait simplement un élément de la rémunération de tout un chacun, sans qu'il y ait nécessairement un service fait.