Groupes en 6ème - 5ème : l'inspection générale décrit des effets presque totalement négatifs
Paru dans Scolaire le mardi 17 juin 2025.
La "mise en place des groupes de besoins en français et mathématiques au collège" est un échec. L'inspection générale n'emploie pas le mot dans le rapport qu'elle vient de publier sur le sujet. elle veut croire qu'il est possible d'en faire évoluer les modalités et lors de sa présentation à la presse, tant la cheffe de service de l'IGESR que la DGESCO ont tenté de mettre en avant des points positifs, mais à la lecture du rapport, il est clair que toutes les mises en garde adressées en leur temps au "choc des savoirs" s'avèrent fondées.
La mission, qui a mobilisé trente-cinq inspecteurs généraux, s’est déplacée "dans trente-neuf collèges" qui mettent "effectivement en œuvre la mesure" alors que "nombre d’établissements" s'y sont refusé. Même "parmi les établissements du panel, certains n’ont opté que pour une mise en œuvre partielle de la mesure", ce qu'explique en partie le contexte. L'IGESR rappelle ce que fut l'attitude des politiques, Gabriel Attal avait annoncé des "groupes de niveaux", Nicole Belloubet des "groupes de besoins", la note de service parlait de "groupes" et le ministère préconisait "souplesse et adaptabilité". Résultat, "une majorité d’établissements a opté pour la mise en place de groupes de niveaux" (...). Plusieurs collèges" ont toutefois souhaité construire des "groupes hétérogènes" et "une infime minorité d’établissements a réellement opté pour des groupes de besoins".
La mission note de plus "un écart important entre le déclaratif des équipes et les réalités observées" et elle "souhaite alerter sur le faible usage des évaluations nationales pour constituer les groupes". Elles "suscitent encore de la défiance en maints endroits (...) à l’exception notable du test de fluence, bien connu et souvent évoqué positivement". Les inspecteurs ne disent pas sur quels critères ont été constitués les groupes de niveau.
Les collèges n'ont pas non plus joué le jeu des "semaines de regroupement", "41 % ont déclaré avoir choisi de ne pratiquer aucune semaine de regroupement, 20 % de 1 à 5 semaines, 31 % de 6 à 10 et seuls 7 % (soit 2 collèges) ont envisagé une modalité hybride de regroupement". Ils n'ont pas non plus fait évoluer la composition des groupes pour tenir compte des progrès des élèves. "La constitution des groupes n’a presque jamais évolué." Tout changement de groupe obligerait les élèves "à s’adapter à des méthodes de travail différentes de celles jusqu’alors pratiquées (...). Il est marquant de constater que les mobilités organisées à plus grande échelle entre les groupes, quand elles existent, sont souvent le fait des collèges REP+ où les habitudes de concertation et d’organisation collective sont plus ancrées".
Tout n'est pas négatif, "le principal avantage ressenti de la mesure est l’amélioration de la dimension relationnelle et psychosociale avec les élèves les plus en difficulté" mais ce constat est immédiatement suivi d'un sérieux bémol : "Ce constat est à moduler lorsque trop d’élèves, aux comportements perturbateurs, se trouvent dans le groupe de niveau 'faible'. Les enseignants sont alors dépassés par la gestion de classe (...) (et) déclarent être régulièrement épuisés à la fin de chaque séance. Dans certains établissements, il a fallu mettre en place une rotation des enseignants pour soutenir ceux qui prenaient en charge le groupe à effectif réduit."
Le constat est également sévère s'agissant des élèves, certains enseignants "estimant que les plus faibles n’effectuent aucun progrès, voire régressent par rapport aux années précédentes". Beaucoup adaptent leurs évaluations au niveau de leurs élèves, "ils ôtent un exercice, des questions plus exigeantes cognitivement ou plus techniques (...). Il parait envisageable que les effets sur les apprentissages ne soient pas réellement signifiants et que les écarts entre les élèves se creusent."
"Reste que les professeurs disent avoir pris conscience de l’ampleur des difficultés de certains élèves (...). Les équipes qui semblent le mieux réussir sont aussi celles qui ont cherché à s’approprier la mesure pour proposer une organisation spécifique (...). Le résultat s’apparente, dans l’organisation choisie, à des dispositifs tels que 'plus de maîtres que de classes', mêlant temps en groupe entier, temps de co-interventions et interventions de type RASED." En effet, le dispositif a pu se combiner avec la liaison CM2-6ème et le Pacte enseignant proposé au 1er degré, ce qui a permis, dans certains établissements, des initiatives intéressantes. Mais cette collaboration entre professeurs des écoles et professeurs de collège existait avant la réforme et a souvent "au contraire pâti de la mise en place des groupes".
Autre effet notable, la mesure a "favorisé certains échanges pédagogiques et didactiques au sein des équipes disciplinaires, ce qui a pu parfois conduire à l’élaboration de progressions communes en français (...). De manière très minoritaire, les équipes disciplinaires de certains collèges sont allées jusqu’à élaborer des ressources et des supports de cours communs (...). Dans d’autres collèges, la mise en œuvre de la mesure a, au contraire, généré des tensions au sein des équipes (...). L’écart de compétences se creusant entre les groupes au fur et à mesure de l’année, les professeurs ont progressivement renoncé au commun pour revenir à des progressions distinctes (...). La mission constate unanimement que le regroupement d’élèves de très faible niveau scolaire a rendu davantage visible et incontournable la réalité de la grande difficulté, ce qui est à saluer et à porter au crédit de la mesure (...) (mais) force est de constater que la mesure n’a que peu permis de faire émerger des solutions (...). Le seul geste didactique identifié en réponse aux difficultés des élèves semble être une baisse des exigences" de la part d'enseignants "désemparés par la grande difficulté de certains de leurs élèves".
La mission liste encore un certain nombre de difficultés matérielles, la complexification de la construction des emplois du temps, la difficulté de remplacer les absences de courte durée des enseignants de français et de mathématiques, l'éclatement du groupe classe et de ce fait, la difficulté pour les enseignants de français et de mathématiques d'être professeurs principaux: "Paradoxalement, alors que les moyens sont déployés pour renforcer les savoirs fondamentaux, les professeurs de mathématiques et de français deviennent des acteurs secondaires des équipes pédagogiques."
Au total, "la mission souligne le risque que la mesure accroisse les écarts entre les élèves plus qu’elle ne les réduise" tandis que "le regard de certains professeurs sur les élèves les plus faibles (a) pu évoluer" négativement : ils ne croient plus "en l’éducabilité de tous", disent qu'ils "n’ont pas leur place au collège", "au risque de transmettre à des élèves de onze ans une vision dégradée de leurs capacités à progresser et à apprendre".
Le rapport "Mise en place des groupes de besoins en français et mathématiques ici