Une école peut constituer une nuisance pour son voisinage (CAA de Paris)
Paru dans Scolaire le mardi 17 décembre 2024.
Monsieur et Madame A. habitent à Paris depuis les années 60 une maison de deux étages avec jardin. "Entre septembre 2006 et février 2009, d'importants travaux ont été entrepris à proximité immédiate de leur propriété pour la construction d'une école élémentaire" de six classes (140 élèves). En 2018, ils ont obtenu 20 000€ en réparation des troubles de jouissance qu'ils ont subis du fait des travaux et des "nuisances sonores lors des récréations dans la cour de l'école mitoyenne de leur propriété". En 2020, ils demandent à la Ville "de procéder aux travaux préconisés par l'expert désigné par le tribunal administratif dans son rapport du 30 novembre 2015 pour atténuer les nuisances sonores causées par le fonctionnement de l'école élémentaire et de prendre à sa charge le paiement des travaux d'isolation acoustique et de ventilation de leur maison".
La Ville soutient que c'est pour le bien-être des élèves que la hauteur des murs entourant la cour ne dépasse pas trois mètres (le permis de construire prévoyait pourtant un mur de 5 mètres) et que les fondations du mur de séparation ne pourraient pas supporter le poids d'un ouvrage de deux mètres de haut. Les requérants font valoir que "l'école a été édifiée sur une parcelle de 600 m² alors que la surface de la cour de récréation aurait dû être de 700 m² selon les recommandations du ministère chargé de l'éducation nationale", que "la cour de récréation offre moins de 2 mètres carrés par élève" et que l'ouvrage a été mal conçu, faute de prévoir "les aménagements nécessaires afin de limiter la réverbération du bruit (sur les murs des immeubles voisins, ndlr) à l'intérieur de la cour de récréation". Ils ajoutent que "la pose de panneaux transparents pour rehausser le mur ne privera pas la cour d'ensoleillement". Outre la réalisation des travaux, panneaux transparents en surélévation du mur de séparation et panneaux absorbants sur les murs des immeubles, ils demandent 126 694 euros au titre du préjudice de perte de jouissance qu'ils estiment subir depuis le 18 janvier 2018, et 194 626 euros pour les travaux d'isolation et de ventilation de leur maison.
Le tribunal administratif de Paris a enjoint à la Ville de "réaliser tout ou partie des travaux préconisés par l'expert" et l'a condamnée à verser à M. et Mme A. une indemnité de 12 000 euros en réparation de leur préjudice. La Ville fait appel. La CAA lui donne tort. Certes le premier jugement est devenu définitif après que le Conseil d'Etat eut rejeté la requête de M. et Mme A. tendant à sa réformation, mais la Ville ne peut invoquer l'autorité de la chose jugée "en l'absence d'identité d'objet". Bien que la nouvelle demande d'indemnisation soit "fondée sur la même cause juridique" et sollicite "la réparation du même chef de préjudice", c'est "pour une période postérieure à celle ayant déjà donné lieu à indemnisation". Les deux époux pouvaient de plus demander que la Ville "prenne les mesures de nature à mettre fin au dommage".
La Cour considère surtout qu' "une école élémentaire constitue un ouvrage public dont la présence est susceptible d'engager envers les tiers la responsabilité de la personne publique qui en a la garde, même en l'absence de faute. Il appartient toutefois aux tiers d'apporter la preuve de la réalité des préjudices allégués et du lien entre la présence ou le fonctionnement de l'ouvrage et ces préjudices. Ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnités les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics."
Le préjudice est constaté par huissier : "Les niveaux moyens constatés lors de la période de récréation de 12 heures 10 à 13 heures 30, soit pendant plus d'une heure, constituent les niveaux les plus élevés atteignant (...) 83 dB en pointe". La CAA note aussi que la Ville, "n'a pris aucune mesure, ni réalisé aucun aménagement de nature à atténuer le bruit résultant des cris des élèves lors des récréations" depuis 2015. Le montant des travaux, moins de 60 000 euros, n'est pas "disproportionné".
L'indemnisation du préjudice subi est ramenée de 12 000 à 11 000 euros pour tenir compte de la période durant laquelle l'école était fermée pour cause de pandémie. Il est enjoint à la Ville de Paris "de prendre les mesures de nature à remédier aux conséquences de la hauteur insuffisante du mur séparant le jardin de Mme et M. A. et la cour de récréation de l'école" et de "procéder, dans un délai de six mois, à la pose de panneaux limitant la réverbération du bruit".
La décision n°23PA03885 du 10 décembre 2024 ici
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