Où en sommes-nous de la remise en cause de la "forme scolaire" traditionnelle ? (Revue Recherches en éducation)
Paru dans Scolaire le lundi 16 décembre 2024.
Mots clés : pédagogie alternative
Comment distinguer "pédagogie traditionnelle", "alternative pédagogique", "pédagogies alternatives" et "pédagogies différentes" ? Et pourquoi ? C'est à ces questions que répondent les contributions au dossier "Interroger la forme scolaire à partir de pratiques et de dispositifs pédagogiques actuels" proposé par la revue "Recherches en éducation" (U. de Nantes). Les auteurs soulignent que la forme scolaire n'est pas une donnée immuable dans le temps : "Dans tout l’Occident moderne du XVIe au XVIIIe siècle, un apprentissage par 'ouï-dire, voir faire et faire avec', a été remplacé par une transmission de savoirs privilégiant l’écrit."
Comme le souligne Sylvie Jouan (U. de Montpellier), ce que Laurent Lescouarch (U. de Caen) appelle "pédagogie traditionnelle" nous vient de Jean-Baptiste de La Salle et des Frères des écoles chrétiennes qui ont institué "la méthode d’enseignement simultané tout entière ordonnée à l’éducation morale et religieuse des élèves", ce qui suppose des classes de niveau homogène. Cette forme s'est rapidement imposée comme une évidence au point que c'était pour la IIIème République le modèle, alors même que la plupart des écoles étaient situées dans des villages et que "plus de 80 % des écoles (étaient) alors à classe unique". "La classe à plusieurs cours étant par essence une classe hétérogène", elle ne pouvait "qu’être problématique dans une École structurée selon cet idéal". Ferdinand Buisson dans son Dictionnaire la présente d'ailleurs comme un "état embryonnaire de l’École". Il faut "attendre la loi de 1989 et la mise en œuvre des cycles à l’école primaire pour une reconnaissance de l’hétérogénéité des élèves et l’affirmation d’une logique différenciatrice".
Aujourd'hui, le "cadre législatif international" promeut le développement d’une école "inclusive" qui s’adresse à tous les apprenants et qui prend en compte les élèves à "besoins éducatifs particuliers". Mais cette évolution s'accompagne d'une "montée des dispositifs" qui se caractérise "par une logique d’innovation contrainte, diffusée d’en haut".
La revue propose plusieurs exemples de différenciation de la forme scolaire. Des enseignants en milieu urbain, donc qui n'y étaient pas contraints par de trop petits effectifs, ont mis en place des classes de cycle regroupant trois cours, ce qui les amène à renoncer "à l’omniprésence de l’enseignant auprès de tous les élèves en même temps" et favorise "par nécessité" l’autonomie des élèves en même temps que la prise en compte de leur hétérogénéité. D'autres ont choisi de faire "l'école dehors", et, comme le montre Julie Delalande (U. de Caen), "pour emporter l’adhésion de la hiérarchie", les enseignants ont dû détailler "dans un tableau comment les activités en forêt (allaient) répondre aux attendus du programme scolaire", même si, lorsqu'on sort des murs de l'école, on doit accepter de "se laisser surprendre et de rebondir sur les propositions des enfants". Une ATSEM décrit d'ailleurs "un changement important" dans l'attitude de l'enseignant, "des fois, il s'adapte. Tiens, un enfant pose une question, ah ba on va parler de ça. Alors qu’en classe, il a son programme, avec ses fiches."
Maxime Tant (U. de Rouen) paraît assez admiratif du travail mené en commun par un professeur des écoles ayant une classe de CM2 et un professeur d'EPS ayant une 6ème qui ont organisé un co-enseignement et aménagé leurs pratiques pour un élève présentant des troubles autistiques importants. Au Québec, expliquent Philippe Chaubet, François Bissonnette, Vicky Lachance, Jasmin Beauclair et Akâsha Fadoul (U. du Québec à Montréal), le "Réseau des écoles publiques alternatives du Québec" tente d’inverser la logique taditionnelle, de "miser sur les besoins des élèves pour parvenir aux savoirs" au lieu de laisser au premier plan "la préoccupation de transmettre des savoirs".
Pour L. Lescouarch, "la place de l’enfant constitue un critère essentiel. Dans les pédagogies traditionnelles ou rénovées, il est exclusivement pris en compte dans sa dimension 'élève' et les situations lui sont imposées. Même si des techniques relevant des 'méthodes actives' peuvent lui être proposées, sa place reste assujettie dans les situations d’apprentissage. A contrario, dans les formes relevant de la reconstruction, sa place change pour qu’il devienne pleinement acteur des situations et la dimension 'enfant' est prise en compte au même titre que celle d’'élève'." La pédagogie traditionnelle "a su évoluer en se parant des atours de certaines techniques issues des méthodes actives pour, in fine, se prolonger", sans rupture "de fond". Les degrés de rupture avec le forme initiale "et les changements de professionnalité induits constituent un enjeu important pour la diffusion de ces nouvelles formes et leur acceptabilité par les professionnels et les usagers".
Les diverses contributions sont issues d'un symposium organisé dans le cadre du colloque sur L’école primaire au 21ème siècle qui s’est tenu à Cergy-Paris Université en octobre 2021.
La revue (en accès libre) ici
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