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Nouveaux programmes des cycles 1 et 2 : "la classe est vue comme un univers où tout peut être prévu et maîtrisé" (S. Plane)

Paru dans Petite enfance, Scolaire le mardi 17 décembre 2024.

A la rentrée 2025, les élèves de la maternelle au CE2 auront de nouveaux programmes en français et en mathématiques. Quels changements et quelle conception de l’enseignement portent ces programmes ? Entretien avec Sylvie Plane, professeure des sciences du langage et ancienne vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, pour qui les nouveaux programmes ne tiennent pas compte de la diversité des élèves et risquent d’accroître les inégalités.

 

ToutEduc – Quelle nouvelle conception de l’école portent ces nouveaux programmes ?

Sylvie Plane – Il faut d’abord rappeler ce qui demeure : les visées principales, comme apprendre à lire, à écrire, etc. sont inchangées. Ce qui change, c’est l’organisation de l’enseignement, avec la segmentation des apprentissages et l'imposition d'un calendrier des apprentissages extrêmement strict. C'est-à-dire que les apprentissages sont découpés en tranches autonomes, et ce sur deux plans. D’une part, des tranches en matière de contenus, d’autre part, des tranches chronologiques,

ToutEduc – Cette organisation en tranches ne facilite-t-elle pas l’enseignement ?

Sylvie Plane – Elle a son utilité puisqu’elle décrit avec précision ce qui doit être appris. Mais la segmentation des contenus fait que leur articulation est finalement à la charge de l'élève. Celui-ci va acquérir des savoirs et des compétences mais qui sont disjoints et il est attendu de lui qu'il les organise. C’est le point d'achoppement le plus important, l'autre étant celui du calendrier qui contient certes des progressions, mais il s’agit de progressions idéales, pour un élève modèle.

S’agissant du domaine d’apprentissage particulier qu’est l’oral, il est très peu présent et est appréhendé comme un apprentissage de formules et non comme un moyen de travailler et d’apprendre. Cette quasi-disparition peut s’expliquer par la gestion du temps : la moitié de l’horaire est consacrée à l’apprentissage de la lecture, il reste peu de temps pour d’autres apprentissages relatifs au français. Et aussi par le manque de confiance dans ce qui fait appel à l’initiative personnelle des enseignants ou des élèves, or c’est le cas de l’oral. Mettre des élèves en situation d'oral, c'est prendre le risque de l’imprévu, ce que les programmes veulent éviter. L'idée qui sous-tend le programme des cycles 1 et 2 est que tout doit être prévu et programmé. Il ne faut pas laisser de place à l'incertitude, au tâtonnement, à la différence de rythmes entre élèves. La classe est vue comme une machine parfaite, un univers dans lequel tout peut être prévu et maitrisé. Alors qu’il faudrait laisser des marges de décision aux enseignants et envisager la diversité des élèves.

ToutEduc – Dans un contexte de crise d’attractivité du métier, ces programmes ne seraient-ils pas une aide pour les nouveaux enseignants ?

Sylvie Plane – Aujourd’hui, 10% des enseignants, tous niveaux confondus, sont contractuels. C'est un chiffre inquiétant dans la mesure où beaucoup de personnes sur le terrain assurent une charge d'enseignement sans avoir été formées. De ce point de vue, l’écriture du programme dans une langue très claire est un fait positif. Grâce à cela, quelqu'un qui n'a pas expérience, qui n’a pas été formé, peut enseigner. Ou plutôt faire les gestes qu’on attend de lui. C’est une manière d’encadrer l’enseignement.

ToutEduc – Ces programmes permettront-ils d’obtenir de meilleurs résultats aux évaluations internationales, comme PISA ?

Sylvie Plane – L'objectif annoncé est en effet de répondre aux attentes de PISA. Les programmes tentent d’y arriver en chargeant les apprentissages, en les rendant plus précoces, avec l’idée qu’on gagnerait ainsi en puissance. Mais dans la mesure où la diversité des élèves, des parcours et des rythmes d'apprentissage n’est pas considérée, on aura du mal à parvenir au résultat voulu parce que seuls les élèves les plus forts seront stimulés. Ces programmes risquent d’accroitre les inégalités.

De plus, les évaluations internationales montrent que la France est l'un des pays dans lesquels les écarts de performance sont les plus importants et les plus corrélés au milieu socioéconomique des familles. Si l’objectif était de réparer cet écart, d’amener tous les élèves à avoir de bons résultats, il aurait fallu regarder précisément sur quels points portent les difficultés. Dans le domaine du français, les difficultés constatées par Pisa ne portent pas sur le décodage : elles portent sur la compréhension, et plus particulièrement sur l’interprétation. Les élèves français sont peu habitués à s’interroger sur l’interprétation de ce qu’ils lisent. Or les nouveaux programmes ne s’y intéressent pas. Ils envisagent la compréhension principalement sous l’angle des relations locales entre les mots. C’est bien sûr important, mais la compréhension de ce que veut dire un texte l’est davantage ; or c’est peu traité.

ToutEduc – Quelles sont les conséquences du côté des enseignants ?

Sylvie Plane – Cette organisation annuelle rigide, décomposée en périodes, ne donne pas aux enseignants la possibilité d'être souples, de s’adapter à leur classe et à la diversité de rythme des élèves. Un autre risque est que le programme devienne un outil de contrôle sur les enseignants par leur hiérarchie. Dans la mesure où le calendrier est très détaillé, il peut servir non seulement à l’évaluation des élèves mais aussi à celle des enseignants tenus de respecter ce calendrier très serré.

S’agissant du niveau de l’école maternelle, ToutEduc s’était entretenu avec Pascale Garnier, professeure des sciences de l’éducation et de la formation (voir ici).

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Propos recueillis par P. Kempf, relus par S. Plane

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