Chercheurs et enseignants, quelle collaboration ? à quelles conditions ? (Revue Diversité)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mercredi 27 novembre 2024.
"Les recherches collaboratives (RC), associant des chercheurs et des professionnels ou citoyens, sont de plus en plus nombreuses", notamment dans le domaine de l'éducation, comme le note Charles Nicaud (U. de Rouen) dans le dernier numéro de la revue Diversité. Régis Guyon (rédacteur en chef) et Patrick Rayou (Paris 8) précisent : la recherche en éducation "occupe une place singulière dans le champ scientifique (...) parce qu’elle entretient des liens particuliers avec les professionnels qu’elle observe et qui sont en droit d’en attendre beaucoup en retour". Elle doit donc "se garder d’avoir un discours normatif et prescriptif, proposant une réponse unilatérale pour 'résoudre' des problèmes" ; pour être "utile aux professionnel·le·s, elle doit accepter de participer à des espaces de controverses où les apports scientifiques (...) sont confrontés à l’expertise des professionnel·le·s du terrain".
Grégoire Borst (Paris-Cité) confirme, "le véritable enjeu est bien la façon dont les enseignants s’approprient une intervention". C'est, dit-il, "une évidence" pour les chercheurs en sciences de l’éducation, moins pour un chercheur en psychologie du développement cognitif comme lui. "Il y a encore deux, trois ans, je ne vous aurais sans doute pas dit la même chose (...), je n’imaginais pas que nous allions mener des projets de recherche dans lesquels nous observerions en classe les gestes professionnels des enseignants. Nos approches se limitaient essentiellement à manipuler la variable 'intervention' pour observer les effets produits sur les élèves, sans nous poser la question de leur implémentation, alors même que la façon dont les enseignants se saisissent d’une intervention est absolument critique pour comprendre les effets observés."
Bruno Robbes (U. de Cergy) décrit une rencontre entre deux demandes : "La recherche que nous avons conduite à l’école élémentaire de la rue d’Oran à Paris est née de la demande conjointe d’une équipe enseignante pratiquant une pédagogie différente de travailler avec des chercheurs, et d’une équipe de chercheurs d’étudier les pratiques d’écoles différentes".
Des "recherches participatives" ont pu être conduites avec des jeunes, comme celle de Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin (Nanterre) avec le Collectif Pop-Part sur "dix quartiers populaires d'Île-de-France", une occasion pour les jeunes de donner à voir leur quartier "d’une autre manière". La restitution de l'étude a d'ailleurs permis à une dizaine de jeunes de participer "à un colloque à Montréal qui concluait le partenariat scientifique international Tryspace". C'est avec des parents de Grigny/Viry-Châtillon que Martine Fourier a mené une recherche action dont le processus est décrit par Chantal Leite, une mère de famille qui a rejoint l’Université populaire des parents, avec en tête une question, "Pourquoi est-ce difficile pour nos enfants ?" Elle a apprécié la présence de l'universitaire qui leur "a apporté des outils et de la méthodologie" et qui ne les a "jamais lâchés".
Reste la question de l'évaluation des recherches, une question que Lucie Mottier Lopez (U. de Genève) retourne aussitôt, dénonçant "la folie évaluative qui s’est emparé du monde académique" et une "épidémie d’indicateurs quantitatifs, faussement objectifs, pour établir des standards à atteindre". De même Benoît Galand (Université catholique de Louvain) met en cause les lacunes des "métaanalyses", qui "permettent en théorie une plus grande confiance dans le résultat obtenu" mais qui sont trop souvent utilisées comme "argument d’autorité pour donner des injonctions aux professionnels (...). Même si elles apportent des informations très intéressantes au niveau des connaissances, elles ne sont pas en mesure d’éclairer les effets de telle ou telle façon de faire dans la classe", d'autant que "de plus en plus de sources de financement et de revues scientifiques demandent aux chercheurs de mettre en avant les retombées pratiques ou sociétales de leurs résultats. Cela pousse à surinterpréter les résultats de nombreuses recherches."
A noter également dans ce numéro un long entretien avec Najat Vallaud-Belkacem. L'ancienne ministre y expose notamment les difficultés de l'action politique.
Le numéro, "Chercher ensemble" est téléchargeable gratuitement ici

