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Autonomie des élèves : un concept "flou" mais omniprésent dans le monde scolaire (ouvrage)

Paru dans Petite enfance, Scolaire le vendredi 22 novembre 2024.

De nombreux enseignants font état de "la très grande difficulté" qu'ils rencontrent "à susciter un travail autonome chez beaucoup d’élèves". C'est partant de ce constat que Patrick Rayou (Paris 8, sciences de l'éducation) s'interroge, en philosophe et sans aucune complaisance, sur ce que recouvre ce concept d'autonomie qui est partout, qui est devenu "le fil d'Ariane de nos vies", de la crèche à l'EHPAD. "Confondue avec l’indépendance, l’autonomie qui est reconnue (aux élèves) l’est souvent sans que soient proposés les supports sans lesquels elle ne peut exister. Une telle attitude manque singulièrement de profondeur historique. Elle oublie notamment que l’individu moderne est une création récente à l’échelle de l’histoire de l’humanité et résulte d’un long processus de socialisation" écrit-il.

Le chercheur revient notamment sur la loi de 1989 et "la proclamation" de "l'élève au centre", qui peut "apparaître comme une défausse des adultes qui, ne sachant pas comment garantir la démocratisation scolaire qu’ils proclament, finissent par en laisser la responsabilité (aux élèves) à travers la construction de leur projet personnel", au risque, "en cas d’échec éducatif" de le rendre "seul responsable de son malheur".

Dès le début du xxe siècle, "l'éducation nouvelle" a tenté de repenser la forme scolaire traditionnelle "au prisme de l’autonomie". L’enfant n’est plus vu "comme un être malléable à façonner, mais comme un être humain à part entière (...). Dans la société occidentale, les routines cèdent de plus en plus la place à des activités de haut niveau pour lesquelles des qualités déployées dans des activités autrefois héroïques, comme la ruse d’Ulysse, le sont au quotidien."

Des "arrière-plans" mal connus

Il convient donc de prendre en compte "les arrière-plans à travers lesquels les élèves perçoivent les attentes scolaires". P. Rayou donne un exemple : si l'on demande à un élève "combien cela coûtera de repeindre une pièce dont il a de quoi calculer la surface, des indications sur le pouvoir couvrant de la peinture et son prix selon différents conditionnements", il n'est pas absurde qu'il réponde "qu’il serait plus prudent d’acheter un pot de 5 litres et de revenir au magasin en cas de besoin", vu que les fabricants "optimisent souvent les performances de leurs produits". Mais ce sont les élèves qui calculent le prix en fonction des données qui sont "dans la vérité scolaire", car ils ont compris qu’il s’agissait "de mathématiques et non de bricolage". La difficulté, pour les élèves, "n’est pas de donner un sens aux situations qui leur sont proposées, mais de donner le sens requis par l’exercice".

L'autonomie considérée comme une finalité aboutit à un paradoxe : "L’élève autonome idéal devrait pouvoir s’affirmer dans l’espace public que constitue la cité lycéenne, où ses droits d’expression et de réunion sont élargis depuis les années 1990. Or les enquêtes de l’inspection générale comme de nombreuses recherches montrent la frilosité des jeunes pour siéger au conseil de classe ou d’administration ou pour investir la Maison des lycéens (...). Une telle prudence se manifeste aussi dans des tâches qui engagent l’autonomie au plan individuel. Les jeunes Français de 15 ans se distinguent ainsi, dans l’enquête PISA, par une aptitude à répondre avec pertinence aux questions engageant des activités comme 's’informer' et 'interpréter', mais par une fragilité, voire une abstention totale, pour celles qui impliquent de 'réfléchir'. La dissertation de philosophie constitue un autre observatoire intéressant de leur réticence intellectuelle. Appelés à y fournir des réponses engagées et étayées, ils tentent très souvent de 're-standardiser' l’exercice en y prenant le moins de risques possible (...). Les enseignants ne sont guère plus à l’aise pour départager des copies formellement conformes mais vides d’interprétation d’autres, présentant, hors des canons scolaires, des jaillissements de sens." Il arrive d'ailleurs que certains élèves qualifiés par leurs enseignants de "peu autonomes" les surprennent "par leurs prises d’initiative à l’occasion de tâches non scolaires". Ils sont donc autonomes, mais pas au sens voulu.

Et l'orientation ?

Ce qui vaut pour la dissertation de philosophie ou pour le commentaire de textes littéraires vaut aussi pour l'orientation. "Les lycéens, souvent inquiets de la valeur du titre scolaire qu’ils obtiendront, rechignent à trop se projeter. Ceux qui le peuvent choisissent les séries ou options 'qui ouvrent toutes les portes' et permettent, précisément, de retarder les choix. Une affirmation trop ostensible de soi ferait courir le risque de fragmenter une communauté des pairs qui reste le soutien le plus sûr au long de ces années d’incertitude."

Et bien évidemment, "vouloir que tous les élèves se comportent de manière autonome présuppose que chacun peut agir à l’école comme s’il possédait les ressources dont bénéficient ceux qui y réussissent, inégalement partagées selon les différents milieux sociaux (...). L’autonomie est davantage du côté des élèves issus des catégories de cadres." Les enfants de classe populaire font souvent "preuve de déférence envers leurs enseignants, lorsque ceux de classe moyenne (ou de classe supérieure) usent de leur influence pour mettre les enseignants à leur service. Les premiers sont porteurs d’injonctions parentales à ne pas apparaître comme une charge, à être leur propre recours. Les seconds, encouragés à considérer les enseignants comme des ressources à leur disposition".

Et les enseignants ?

Mais "le développement de l’autonomie des élèves dépend en grande partie de la capacité des enseignants à être eux-mêmes autonomes dans l’exercice de leur métier, ce qui suppose non pas un système de fonctionnement en 'boîtes à œufs', où on coexiste sans coopérer, mais la mise en œuvre de collectifs organisés autour de finalités partagées. Or, après bien d’autres, un récent dispositif comme 'Devoirs faits' montre une faible circulation des informations entre les prescripteurs et les intervenants, la plupart de ceux-ci n’osant pas faire de retours aux premiers par crainte d’être intrusifs dans leur pédagogie. Les évolutions contemporaines du métier (...) induisent surtout des façons de se conformer individuellement aux changements introduits dans l’école. Elles sont loin de l’émancipation collective que requiert une autonomie des enseignants, elle-même clé de l’autonomie des élèves."

"L’autonomie des élèves, Injonctions, pratiques, inégalités", Patrick Rayou, Presses universitaires de Lyon, 176 p., 18 €

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