Comprendre le management des écoles pour mieux lui résister (ouvrage militant)
Paru dans Scolaire le vendredi 08 novembre 2024.
Mots clés : Jacqueline Triguel,
Dans son ouvrage Caporaliser, exploiter, maltraiter (dont le sous-titre est Comprendre le management des écoles pour mieux lui résister), Jacqueline Triguel, professeure de français et syndicaliste, montre en quoi les logiques managériales, d’abord apparues dans le secteur privé, se retrouvent dans le système éducatif, soumis à la mise en concurrence des un.es contre les autres et à un amoindrissement de la solidarité professionnelle.
Mais des solutions existent face à cette "prédation managériale", dictée par la compétitivité et le règne de l’évaluation, l’auteure en appelant à la force des collectifs de travail et du syndicalisme. C’est par l’analyse "des formes et des conséquences d’un management néolibéral sur les individus et les collectifs, sur la vie dans les établissements et sur les relations entre personnels", et par la compréhension de celles-ci, que naîtront des "résistances". Et pour ce faire, "il importe de repolitiser la question de l’anti-hiérarchie".
L’auteure rappelle que la logique du New public management, né au début des années 1980 dans le monde anglo-saxon, se diffuse rapidement et "envahit les écoles". "Le souci des trois E (efficacité, économie, efficience)" est ainsi appliqué à l’institution scolaire qui pâtit de plus en plus de manque de moyens. Un exemple dans le champ scolaire de cette logique : "l’autonomie des établissements" qui "oblige les équipes du secondaire à penser en termes de moyens, d’économie et d’adaptabilité avant de penser en termes d’intérêts éducatifs ou pédagogique, pour savoir comment utiliser la fameuse enveloppe d’heures."
Dans cette logique managériale, où diriger revient à "hiérarchiser les personnels et leur en demander toujours plus, avec toujours moins de moyens", le but est d’éviter toute critique et tout rapport de force. "Donner l’impression aux personnels qu’elles et ils ont la liberté de choisir et qu’elles et ils le font démocratiquement au sein des instances officielles de l’établissement permet au final de dévier le regard critique et le pouvoir d’agir des équipes en les redirigeant vers des préoccupations construites et imposées par la hiérarchie (nombre d’élèves par option, répartition des élèves, projets, etc.)."
Jacqueline Triguel s’attache à décrire les effets de ce management sur le personnel éducatif dont "les conditions de travail dégradées poussent au départ ou à la démission", un nombre d’ailleurs en hausse. L’isolement grandissant complique alors les relations et la constitution de solidarités entre pairs. "Dans une institution structurellement maltraitante, ce sont avant tout des stratégies de survie individuelle que chacun est tenté de mettre en place et c’est ainsi que la lutte des places se substitue à la lutte des classes." Ses propos sont ceux du sociologue Vincent de Gaulejac, rapportés par l’auteure qui les transpose au cas de l’école.
Pression, travail de préparation supplémentaire, injonction à la performance, individualisation accrue (qui est par ailleurs "bien pratique pour dédouaner la hiérarchie de ses responsabilités et lui éviter de remettre en question ses modes d’organisation du travail"), tout cela conduit à une souffrance au travail. En outre renforcée par la sensation chez les personnels de l’éducation "de ne plus avoir de prise sur leur quotidien professionnel".
Face à l’éclatement des solidarités, l’auteure invite au ralliement et à l’action. "Contre cette institution qui maltraite et brise les collectifs, nous pouvons transfigurer les colères, les hontes, les désemparements et les peurs." Refusant d’accepter comme allant de soi "cette course à la compétitivité", Jacqueline Triguel souligne la place des organisations syndicales dans l’éducation et incite à les rejoindre. "Ce sont elles qui siègent dans les instances départementales, académiques et ministérielles où elles font remonter les réalités et les revendications du terrain, où elles peuvent contrebalancer et dire leur refus des projets de réformes délétères du gouvernement."
Les solutions existent insiste l’auteure, et toutes semblent passer par le collectif. "Les réunions publiques, les Assemblées générales de lutte, les syndicats interprofessionnels, les associations et collectifs, les coopératives d’éducation populaire sont autant d’espaces et de rencontres, de conscientisation, d’échanges et de luttes que nous pouvons investir d’une émancipation et d’une transformation sociales."
Caporaliser, exploiter, maltraiter. Comprendre le management des écoles pour mieux lui résister, Jacqueline Triguel, Question de classe(s), 2024.
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