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Les enjeux liés à l’articulation des savoirs dans et hors l’école (Conférence de consensus du Cnesco)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 06 novembre 2024.

Comment se construisent les nouveaux savoirs des jeunes, dans et hors de l’école ? Et comment articuler les compétences formelles et celles acquises par les jeunes de leurs côtés, qualifiées d’informelles ? Ces questions ont servi de ligne directrice à la huitième conférence de consensus organisée par le Cnesco (Centre national d’étude des systèmes scolaires) qui se déroulait les 5 et 6 novembre dans un lycée du 14e de Paris.

"Dans le monde qui nous entoure, que ce soit sur des questions d’environnement, de développement durable, de numérique, etc., les choses bougent énormément. Le rôle de l’école, c’est de s’adapter à ces changements pour former les futures générations à ce monde en train de changer", explique André Tricot, co-responsable du Cnesco, dans une vidéo de présentation de la conférence. Dans le cadre de ces mutations, "les jeunes apprennent de nouvelles compétences par leurs pratiques, poursuit André Tricot. On a donc ces deux mondes qui se développent : le monde des savoirs et leurs mutations au sein de l’école, et le monde des pratiques des jeunes et leur développement." Ce sont justement les articulations des savoirs entre ces deux mondes qui étaient au coeur des réflexions. 

Durant deux jours, des chercheurs sont intervenus autour des trois thèmes que sont ceux du développement durable et de l’éducation à l’environnement, des compétences psychosociales, et enfin du numérique et de l’intelligence artificielle. Avec pour objectif de "faire des liens entre les praticiens et l’état des connaissances établis par des chercheurs de différentes disciplines", explique André Tricot. À partir des travaux des experts, des recommandations seront établies par un jury qui rendra ses conclusions en mars 2025.

"Le travail de recherche commence en procédant d’une rupture des concepts de sens commun. Il est donc attendu d’eux de penser autrement", fait remarquer Cédric Fluckinger, co-président de la conférence. "Ici, nous avons une conception de la recherche qui ne se fait pas en surplomb des acteurs de l’éducation mais à leurs côtés, ajoute-t-il par ailleurs. Il ne s’agit pas de produire des savoirs sur les pratiques mais avec les pratiques."

Valoriser l’articulation des différents types de savoirs

L’importance de valoriser les savoirs des jeunes acquis en dehors de l’institution scolaire a été soulignée. "L’école ne doit pas se penser comme une forteresse assiégée", avance Jean Hubac (Dgesco). Afin d’accueillir les savoirs acquis en dehors des murs de l’école, Jean Hubac insiste sur l’importance de "l’alliance éducative". "L’école ne peut pas tout, et encore moins toute seule."

Tout en reconnaissant l’importance de prendre en compte la circulation des savoirs dans et en dehors de l’école, Anne Cordier, co-présidente de la conférence, estime que "connaître et reconnaître les usages juvéniles ne nécessite pas de tous les intégrer systématiquement dans le champ scolaire", et pose ainsi la question de l’arbitrage.

Des difficultés inhérentes à cette articulation

Si l’articulation des différents types de savoirs semble souhaitable, elle n’est pas sans soulever de nouvelles problématiques. L’ouverture de l’école aux cultures juvéniles (telle que la littérature non classique, les musiques actuelles, les jeux vidéo, etc.) "ne remet pas en cause le primat de la culture ‘cultivée’ (c'est-à-dire la culture légitime, ndlr)", pointe la sociologue Agnès Grimault-Leprince (université de Bretagne). La chercheuse pointe même des "difficultés d’accès au savoir parfois accentuées quand les supports pédagogiques sont issus de la culture juvénile", notamment pour des jeunes en difficulté qui peinent à faire des liens entre les goûts ordinaires et les savoirs scolaires.

Une des solutions serait le processus d’autonomisation, "nécessaire pour transformer des expériences et des informations en savoirs scolairement valorisés et valorisables", avance Agnès Grimault-Leprince. Une autonomie d’autant plus essentielle que ce qui n’est pas pris en charge par l’école le sera par les familles, un phénomène qui a pour effet de générer des inégalités entre élèves, souligne la sociologue.

Ce risque de transformation d’inégalités sociales en inégalités scolaires se retrouve au sein de l’école élémentaire. "L’école demande en permanence d’établir des liens entre des temps différents, explique Julien Netter, professeur en sciences de l’éducation à Paris Est Créteil. Mais les encadrants ne sont pas là pour le faire, donc le travail est renvoyé aux familles." Or, "ce sont souvent les familles favorisées qui habituent les enfants à faire ce types de liens". Les dispositions demandées par l’école sont donc finalement enseignées dans les familles, et celles qui le font sont le plus souvent favorisées.

Les défis de l’éducation au numérique

C’est une évidence : le numérique fait partie intégrante du quotidien des jeunes. Pour autant, les compétences numériques informelles qu’ils développent ne correspondent pas forcément aux compétences numériques demandées à l’école, soulève Jean-François Cerisier, professeur de sciences et de l’information (université de Poitiers). Selon lui, "il faudrait aligner les référentiels", celui des jeunes et celui des attentes scolaires, et faire plus de place à l’éducation au numérique à l’école, qui est à ce jour "insuffisante".

L’éducation aux médias et à l’information (EMI) se confronte, elle aussi, à des défis. Gilles Sahut, docteur en science de l’information et de la communication (université Toulouse 2), rappelle qu’aujourd’hui, les jeunes s’informent majoritairement par la télévision et les réseaux sociaux. C’est en ce sens que l’EMI "doit s’appuyer sur les pratiques des jeunes et donc intégrer leur environnement informationnel, c’est-à-dire, les smartphones, les réseaux sociaux, les vidéos, les mèmes (reprise d’un élément décliné en masse sur Internet, ndlr)".

Ce qui n’est pas si facile pour trois raisons explique Gilles Sahut. La première est d’ordre règlementaire, car les portables sont interdits à l’école. La deuxième est liée au fait que les pratiques informationnelles adolescentes sont fortement socialisées, les rendant compliquées à faire évoluer et pouvant conduire à des tensions entre les valeurs visées par l’école et celles qui prévalent dans le milieu familial et amical. La troisième découle de la grande hétérogénéité des pratiques.

Alors que le numérique est désormais omniprésent, rappelle Anne Cordier en conclusion de la conférence, un des rôles de l’école est selon elle de "craquer les bulles" numériques et de donner de nouvelles ressources aux élèves pour que leur approche du monde ne se limite pas à ces bulles.

D’autres thématiques ont été abordées durant les deux jours, relatives aux défis environnementaux, au développement des compétences psychosociales, à la digitalisation, aux soft kills, aux modalités d’évaluation des compétences, ou encore aux dispositifs de formations pour répondre aux mutations du monde du travail. Toujours avec la perspective de construire des liens entre les différents savoirs et de s’interroger sur le rôle de l’institution scolaire dans ces articulations.

"Les savoirs en dehors de l’école ne sont pas des ennemis, mais des points d’appui pour construire autre chose progressivement, conclut André Tricot. La construction doit être cohérente et non se faire à côté. Ce travail de mise en lien est un travail à la charge de l’école, et non des élèves".

L’ensemble des interventions est accessible en ligne ici.

Conférence de consensus, "Nouveaux savoirs et nouvelles compétences des jeunes. Quelle construction dans et hors de l’école ?", les 5 et 6 novembre 2024, lycée Paul Bert (Paris 14e) et en ligne. La conférence était organisée par le Cnesco dans le cadre d’un partenariat entre le ministère de l’Education nationale et le Cnam (conservatoire des arts et métiers).

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