La Cour des comptes étrille la gestion politique de la fonction RH dans l'Education nationale
Paru dans Scolaire le dimanche 27 octobre 2024.
Mots clés : DGRH, Cour des comptes
"Au MENJ, les dernières années se sont caractérisées par une multiplicité de réformes à mettre en œuvre dans des délais contraints (réformes du lycée, du lycée professionnel, revalorisations salariales des fonctionnaires puis des enseignants, prise en charge des accompagnants des élèves en situation de handicap, AESH...), avec une communication descendante lacunaire, des procédures peu formalisées et variables d’un territoire à l’autre, une organisation en silo et des SIRH (systèmes d'information pour la gestion des ressources humaines) en construction." La formule n'est pas en tête du rapport que la Cour des comptes consacre à la gestion des ressources humaines au ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse, elle n'en reflète pas moins le sentiment général de ses auteurs qui soulignent aussi l'importance des disparités territoriales. En 2022, "alors qu’une note globale de 13/20 est nécessaire pour être reçu (au CRPE, le concours du 1er degré, ndlr) à l’académie de Toulouse, une note de 4/20 suffit pour être admis dans celle de Créteil".
Ils soulignent l'importance des enjeux. Le besoin de recrutement d’enseignants à l’horizon 2030 est estimé 328 000 personnes, le ministère gère 1,2 million d’agents mais "les effectifs de son administration centrale apparaissent, en proportion, très limités", 0,3% du total. De plus, le rôle de la DGRH (direction générale des ressources humaines) est contraint dans la mesure où la gestion des ressources humaines est répartie "entre des acteurs nombreux" et que l’organisation de l’administration centrale "ne comporte ni pilote unique, ni comité de pilotage RH, ni lettres de mission pour les acteurs centraux de la fonction RH."
Autre critique de la Cour, la gestion des personnels dépend du "barème", la "traduction en nombre de points de la situation individuelle (familiale, médicale etc.) et administrative (ancienneté, conditions d’exercice particulières, par exemple en REP ou Outre-mer), sans prise en compte de la valeur professionnelle ni de compétences particulières" des agents, ce qui "garantit une équité de traitement" au détriment "d’un appariement optimal du profil au poste".
C'est aussi ce qui fait que "les académies peu attractives (...) sont surdotées en jeunes enseignants, souvent désireux de quitter rapidement une affectation non souhaitée", mutations qu'ils n'obtiennent que longtemps après, et leurs nombreuses demandes non satisfaites génèrent des frustrations et des démissions. Le nombre des démissions et ruptures conventionnelles (1er et 2nd degrés) est d'ailleurs passé de 2 534 en 2020-21 à 2 902 l'année dernière (2022-23). Autre conséquence, "de plus en plus d’enseignants contractuels expérimentés refusent de passer les concours" et pour "fidéliser leurs contractuels", certaines académies privilégient leurs souhaits d’affectation par rapport à ceux des titulaires. "Ce type de pratique, dont on comprend l’intérêt à court terme, est susceptible de dévitaliser à moyen terme les concours."
La Cour s'inquiète également des disparités académiques en termes de taux d’encadrement des élèves et note qu'il "particulièrement élevé dans les académies de Corse et de Paris". Or dans la capitale, compte tenu "du niveau très satisfaisant des élèves dans certains établissements", on pourrait "augmenter le nombre d’élèves par classe" et envisager des fermetures. Autre singularité de la capitale, les directeurs d'école sont déchargés d'enseignement, mais la Ville ne compense plus le surcoût de cette mesure : "Depuis 2017, le budget de l’État a supporté partiellement, puis totalement la charge des enseignants remplaçants des directeurs d’écoles", soit une dépense de 73 M€. "Les juridictions financières demandent qu’il soit mis fin à ce régime dérogatoire."
Autre poste de dépense mal justifiée, les TZR (titulaires de zone de remplacement) qui sont rémunérés sans certitude qu'ils soient employés en permanence : "Le système de suivi ne permet pas de déterminer si les TZR aptes à effectuer des missions de remplacement de courte durée en assurent effectivement, ni le nombre et la durée de ces missions, ni la nature des fonctions exercées, entre deux missions, par les TZR dans leur établissement de rattachement."
Et la Cour pointe les défauts du SIRH, le système d'information des ressources humaines, "très complexe", composé de 135 applications, alors que le ratio "gérants - gérés", 0,6, est "le plus faible des ministères" et varie du simple au double selon les académies. La plupart des responsables que les magistrats ont rencontrés "ont exprimé leur inquiétude face à l’épuisement de leurs équipes RH, matérialisé par une hausse des arrêts maladie, mais aussi du taux de rotation sur les postes, avec une perte d’expertise". Tous ont souligné "une dégradation des conditions de travail, accentuée par le déploiement concomitant de nouveaux systèmes d’information (en particulier Op@le) (...) modifiant profondément les pratiques de travail" et pour lesquels ont été constatés "de nombreux dysfonctionnements". Le contexte de pénurie d’enseignants, de recrutement croissant de contractuels, de multiplication des statuts à gérer" a compliqué leur travail. "Les services RH déconcentrés, longtemps gestionnaires de concours, sont devenus en quelques années des services de recrutement, sans qu’un effort de formation n’accompagne cette évolution majeure (...). La prise en charge des AESH s’est effectuée sans système d’information unique, forçant les gestionnaires à naviguer entre trois SI distincts."
L'année dernière, le ministère a lancé le projet "RH 2026" pour "une GRH plus qualitative", ce qui passe par la plateforme Virtuo mais "la multiplicité, voire la concurrence, des attentes liées à Virtuo porte en elle le germe d’une déception". Un second risque tient aux modalités choisies pour l’hébergement des données de la plate-forme qui "repose sur une entreprise états-unienne; il ne peut dès lors être totalement exclu que des données à caractère personnel soient stockées ou transitent hors du territoire de l’Union européenne."
Le rapport examine de près les aspects techniques de la gestion des ressources humaines de l'Education nationale, mais la Cour s'inquiète surtout du "très fort" sentiment d'insatisfaction des personnels de l’éducation nationale, enseignants et non enseignants, dont le premier motif est un "déficit de considération" qui génère "un manque de confiance vis-à-vis de l’institution en général. Le salaire des enseignants "est inférieur à la moyenne UE‑2022 à tous les stades de leur carrière et fait partie des plus faibles de la zone." S'y ajoutent les rigidités du système et les quotas pour les avancements de carrière. "Alors que la plupart des enseignants obtiennent une majorité d’avis excellents" lors de leur évaluation" ils ne bénéficient pas, "pour des raisons budgétaires" des promotions auxquelles ils pensent avoir droit.
La Cour souligne d'ailleurs, pour la regretter implicitement, l'évolution du rôle des syndicats. Les décisions individuelles "ne sont plus examinées en commissions administratives paritaires. Le rôle d’information des personnels sur les décisions individuelles revient donc désormais aux services RH (...). Dans ce contexte, le rôle des organisations syndicales auprès des personnels sur les questions d’affectations, mobilités et promotions, se déplace progressivement d’un rôle de médiation et d’explicitation des décisions entre les personnels et leur administration vers un accompagnement centré sur les procédures contentieuses."
Quant à la mise en place en 2018 de la gestion des ressources humaines de proximité, "en l’absence de moyens qui y soient consacrés et d’orientations claires, (elle) ne se montre pas à la hauteur des attentes (...). En termes quantitatifs, le nombre global de conseillers RH de proximité (364, dont 90 recrutés entre fin 2019 et fin 2020) masque des différences importantes entre les académies (...). La fonction de conseiller RH de proximité exige des compétences variées, allant de la connaissance du statut et des dispositifs RH ministériels au conseil en évolution professionnelle en passant par la médiation et la coordination", mais le conseiller est "rarement formé à la psychologie" alors qu'il est "surtout en contact avec des enseignants en situation de fragilité". Il peut envisager avec l’agent des solutions, par exemple une mutation, "puis porter son dossier auprès des services académiques, mais il n’a souvent pas la main (...), le dispositif national Passerelles, plébiscité par les enseignants à qui il permet d’évoluer vers des fonctions d’attaché d’administration de l’État, ne compte que 150 places par an."
La Cour recommande notamment de "renforcer la gouvernance de la fonction RH, (de) poursuivre l’assouplissement des règles de la mobilité et (de) s’adapter aux disparités territoriales", elle considère que "les postes à profil constituent une (...) alternative au mouvement sur barème, système rigide et impersonnel".
La Cour recommande notamment d'actualiser "le cadre de gestion des enseignants contractuels", d'intégrer "pour les enseignants affectés à d’autres missions que l’enseignement et les enseignants remplaçants", "leur taux effectif d’activité", de "recentrer les missions des conseillers RH de proximité sur le conseil en évolution professionnelle", d' "instaurer un comité de pilotage de la gestion des ressources humaines" (...).
Le rapport ici
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