L'administration est-elle tenue de proposer un autre emploi à un enseignant sous contrôle judiciaire ? (Conseil d'Etat)
Paru dans Scolaire le lundi 21 octobre 2024.
Un enseignant est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer toute activité le mettant en relation avec des mineurs. L'administration est-elle tenue de lui trouver un autre emploi ? Non, répond le Conseil d'Etat dans une décision inscrite au "recueil Lebon", et donc appelée à faire jurisprudence.
Un enseignant a entretenu "une relation inappropriée" avec une élève âgée de 14 ans. Il a été mis en examen et a donc été interdit d'enseigner. Sa rémunération a aussitôt été suspendue, "ce qu'il a contesté par un courrier dans lequel il a également demandé à bénéficier d'une affectation temporaire. Aucune suite n'a été donnée à cette demande". La Cour administrative d'appel (CAA) de Nantes note qu'il n'a perçu aucun traitement entre la date de suspension de son traitement et celle de sa révocation, au moment de sa condamnation à un an de prison avec sursis, laquelle survient quatre ans après la suspension de sa rémunération. L'enseignant estime qu' "il pouvait se voir confier des fonctions et/ou missions dans lesquelles il n'était pas amené à être en contact avec des mineurs". D'autre part, le recteur aurait dû prononcer une suspension de l'individu (et non pas seulement une suspension de son salaire) à titre conservatoire "s'il estimait que, dans l'intérêt du service, il ne pouvait recevoir aucune affectation".
La CAA ajoute que, lorsqu'un fonctionnaire n'est pas rétabli dans ses fonctions, "il peut être affecté provisoirement (...) dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est soumis". L'administration a donc commis une "illégalité fautive" en s'abstenant de rechercher puis de proposer à cet enseignant "une affectation compatible avec les prescriptions de son contrôle" judiciaire. Elle n'avait d'autre part pris "aucune mesure statutaire, notamment de suspension, ou disciplinaire" avant que soit engagée la procédure ayant conduit à sa révocation. La CAA a donc estimé qu'il était fondé à soutenir que l'Etat avait "commis une illégalité fautive" et que "l'absence de service fait" était imputable à l'administration qui ne lui a pas proposé "une affectation compatible avec les prescriptions de son contrôle judiciaire". Elle n'a pas non plus pris de mesure de suspension. Dès lors "le préjudice financier invoqué par M. C... demeure incertain dès lors qu'il appartenait à l'administration gestionnaire de mettre en œuvre l'une des voies d'action statutaire ou disciplinaire dont elle disposait pour régler la situation de cet agent". L'Etat est condamné à lui verser 5 000€ au titre du préjudice moral.
Le Conseil d'Etat, saisi par le ministère, a annulé le jugement. "L'autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut suspendre un fonctionnaire ayant commis une faute grave" et n'a pas obligation de le rétablir dans ses fonctions au bout de quatre mois s'il fait l'objet de poursuites pénales. "Lorsque tel est le cas, l'autorité administrative peut le rétablir dans ses fonctions (...), ou, depuis la modification issue de la loi du 20 avril 2016, lui attribuer provisoirement une autre affectation ou procéder à son détachement", mais la loi n'interdit pas à l'administration "d'interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement de son traitement pour absence de service fait".
La CAA a "commis une erreur de droit" en estimant que le préjudice subi par cet enseignant était "incertain" mais elle a commis une seconde erreur en considérant que l'Etat avait "commis une illégalité fautive" alors que "l'administration n'était tenue, ni de lui confier d'autres fonctions ou missions compatibles avec le contrôle judiciaire auquel il était soumis, ni de prendre à son égard une mesure de suspension".
La décision n° 470016 du vendredi 18 octobre 2024 ici, la décision de la Cour d'appel ici