Eduquer à la sexualité, l'éducation sexuelle à l'école, deux points de vue radicalement opposés (ouvrages)
Paru dans Scolaire le vendredi 20 septembre 2024.
Comment comprendre la genèse des "divers dispositifs d'éducation publique à la sexualité" que les Etats occidentaux ont mis en place au cours de ces dernières années ? Anne-Cécile Bégot et Philippe Portier, qui dirigent un ouvrage collectif, "Eduquer à la sexualité" "sollicitent deux paradigmes principaux", l'individualisation et la rationalisation, la valorisation du pluralisme des orientations sexuelles et les moyens que se donnent les pouvoirs politiques pour "fixer l'usage des corps dans une morale de l'autocontrôle". Ils y ajoutent "une autre matrice", celle de la laïcisation.
Les auteurs rappellent l'importance des "discours de contrainte" au XIXème siècle, les propos "scientifiques" sur l'onanisme, la justification du contrôle des moeurs par la lutte contre les maladies vénériennes, les politiques natalistes, le rôle de l'Eglise... et à l'inverse, l'apologie de l'amour libre par Madeleine Pelletier. Dans les années 1950, l'éducation sexuelle "procède d'une préparation au mariage" et du souci de "la bonne entente sexuelle des époux. Dans les années 60, certains médecins tentent d'imposer "la légitimité d'une éthique médicale laïque" et Jacqueline Kahn-Nathan "prend position en faveur de la contraception pour les mineures". En 1973, la circulaire Fontanet place "la partie proprement éducative de l'éducation sexuelle (à la différence de l'information intégrée au programme de sciences naturelles, ndlr) sous le contrôle des parents". Il faut attendre la loi de 2001 pour que soit prévu "qu'une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles (...). La plupart des parents (...) acceptent désormais le principe d'une éducation sexuelle dans le cadre scolaire" mais la campagne menée en 2014 contre les ABCD de l'égalité, si elle a de "potentielles motivations religieuses", trouve aussi ses fondements dans la culture viriliste qui est inculquée dans les quartiers populaires et dans une grande méfiance d'une partie de la population à l'égard des institutions étatiques.
Le point de vue de Sophie Audugé (SOS Education) et de Maurice Berger (pédopsychiatre) est très différent. Ils considèrent que "la petite enfance est une période de grandes angoisses" et que, éloignés de leurs parents comme ils le sont à l'école, les enfants ont "besoin de se sentir en sécurité". Or "les enseignements à la sexualité dispensés à cet âge risquent de créer une effraction dans (le) psychique fantasmatique qui est nécessaire aux enfants pour grandir", surtout si, avant la sieste, la classe lit collectivement "zizis et zézettes". De même si on montre à un enfant de 9 ans comment utiliser une capote et comment le pénis entre dans le vagin... Les deux auteurs dénoncent encore "la menace permanente d'être traité d'homophobe dès lors qu'on ne pose pas l'homosexualité comme l'équivalent de l'hétérosexualité" et surtout, ils considèrent que la finalité de l'école est "l'instruction de l'enfant et non son endoctrinement". Ils estiment d'ailleurs que l'OMS et les signataires de ses recommandations "se revendiquent libertariens et ultra-libéraux" : "On peut légitimement s'interroger sur les motivations qui poussent des Etats à promouvoir une société de la sexualité et de la jouissance, émancipée du modèle traditionnel de la famille nucléaire".
Eduquer à la sexualité, Religions, laïcités, sexualités", collectif dirigé par Anne-Cécile Bégot et Philippe Portier, ESF sciences humaines, 204 pages, 25 €
L'éducation sexuelle à l'école, les nouvelles orientations de l'Education nationale en question, Sophie Audugé et Maurice Berger, Artège, 256 pages, 18,90€