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Elèves en situation de handicap : "des marges considérables de progrès" (Cour des comptes)

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 16 septembre 2024.

A la question "le système scolaire s'est-il transformé afin de répondre à l'objectif d'inclusion scolaires des élèves en situation de handicap ?", la réponse de la Cour des comptes est globalement positive. Mais elle émet, dans le rapport qu'elle vient de publier, de nombreuses réserves. "Du fait du manque de données, toutes les analyses n’ont pas forcément permis d’avoir une vision exhaustive des élèves en situation de handicap ou de proposer des analyses causales (...). L’effet de la scolarisation des élèves en situation de handicap sur leur réussite constitue aujourd’hui une sorte d’angle mort de la politique publique d’inclusion scolaire."

Encore faut-il lire entre les lignes le dossier, très complet (133 pages hors annexes). Alors que ses auteurs n'hésitent pas, en conférence de presse, à évoquer les souffrances "évidentes" des élèves, des familles et des personnels, le mot n'apparaît qu'une fois dans le rapport. L'expression des magistrats est, sinon euphémisée, du moins très prudente. A noter que la ministre "partage les recommandations et les constats émis par la Cour" et que celle-ci se défend vigoureusement de vouloir réduire le nombre des AESH, même si "il paraît indispensable (...) de s’interroger sur le caractère soutenable (de la) hausse de (leurs) effectifs".

Voici des éléments significatifs du rapport (133 pages hors annexes)

Chiffres clés. En 2022, l'Education nationale comptait 3,3 % d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu scolaire ordinaire (436 085, 501 724 en incluant ceux qui sont accueillis dans les établissements médico-sociaux) : 3,2 % dans le premier degré, 4,4% au collège, 4,9 % dans les lycées professionnels, 0,9 % dans les lycées généraux et technologiques. Le coût budgétaire estimé "est d’environ 3,7 Md€ en 2022 (hors participation des collectivités territoriales dont le montant n’est pas connu). Les AESH sont, en 2023, au nombre de 78 816 ETP.

"Les données statistiques dont dispose le ministère de l’éducation nationale sur les élèves en situation de handicap, restent lacunaires (...), le ministère n’est en capacité ni de suivre la trajectoire de ces élèves, ni de mesurer le temps de scolarisation réel, ni de mesurer leur performance scolaire ou leur bien-être dans le système scolaire (...). Il subsiste également un manque de visibilité sur les individus d’âge scolaire, mais qui ne sont pas scolarisés."

Pilotage. "A l’échelle nationale, les objectifs de l’école inclusive demeurent définis de manière approximative, sans référence explicite à l’atteinte de résultats quantifiables ou observables." Le rapport fait état d' "une structuration notable du pilotage institutionnel", mais ajoute aussitôt qu'il "reste à conforter".

Les familles. Pour scolariser un enfant en situation de handicap, "les familles doivent passer par plusieurs étapes successives: dépôt du dossier de demande auprès de la MDPH, passage en commission, réception et mise en œuvre de la décision au sein de l’établissement scolaire, etc.. (...) Certains récits de famille relèvent du registre du 'parcours du combattant' pointant les nombreuses difficultés rencontrées pour compléter correctement le dossier et les délais d’attente ressentis comme très longs", ces délais varient de moins de deux mois dans de nombreux départements à plus de 8 mois dans le Finistère et en Gironde.

LPI. "Afin de permettre la centralisation et la circulation de ces informations, le livret parcours inclusif (LPI) a été développé (...). Selon le ministère de l’éducation nationale, en juin 2023, seulement 164 000 élèves bénéficiaient d’un LPI (...). Il existe un peu plus de quatre LPI ouverts pour 100 élèves scolarisés dans les académies de Nice, de Reims et de la Guadeloupe (4,1%, 4,1%, 4,5%) alors que les académies de Paris et de Mayotte présentent des taux de moins de 0,1 livret ouvert pour 100 élèves." Le rapport fait état "de nombreux dysfonctionnements opérationnels : problèmes concernant les droits d’accès, absence d’interfaçage et d’interopérabilité avec les données des MDPH".

Signalement. "Il n’existe pas de procédure destinée aux personnels de l’Education nationale pour faire remonter des potentielles situations de handicap, la procédure de reconnaissance de la situation de handicap devant être portée, en premier lieu, par la famille. Les chefs d’établissement et les professeurs des écoles sont ainsi parfois démunis pour échanger avec les familles face à une situation de handicap, en faciliter l’acceptation et les accompagner dans leurs démarches."

Référents. Alors qu'il apparaît comme le "maillon central de la sécurisation du parcours des élèves", l’action de l’enseignant référent "apparaît souvent limitée. Il a en effet la charge du suivi d’un nombre de dossiers allant d’une centaine à parfois plus de 300." De plus, "ces postes ne sont pas toujours pourvus dans leur totalité et 31% d’entre eux ne (le) sont pas des enseignants spécialisés".

Enseignants spécialisés. Durant l’année scolaire 2022-2023, 1 573 professeurs du premier et du second degrés ont obtenu le CAPPEI, soit 223 professeurs de plus que l’année précédente (1 350). Toutefois, la proportion de postes spécialisés en ULIS occupés par des enseignants spécialisés ou en cours de spécialisation est seulement de 65% dans le premier degré public et de 76% dans le second degré public."

ULIS. Le passage des CLIS (classes d’intégration scolaire) aux ULIS (unités localisées pour l'inclusion scolaire) représente une transformation "notable" du système scolaire, mais "il n’est pas possible de connaitre aujourd’hui la durée effective d’inclusion des élèves, ce qui constitue une limite pour mesurer l’effet de la transformation de classe à dispositif d’inclusion".

Matériel. "La croissance de la demande en matériels pédagogiques adaptés est constante, avec toutefois un taux de couverture en diminution depuis une décennie. En 2022, 19,3 M€ ont été dépensés (...), le taux de couverture est de 67 % pour 44 995 demandes".

Moyens. "Les conditions d’accueil tant humaines que matérielles ont nettement évolué mais sont confrontées à l’enjeu d’une croissance rapide des effectifs d’élèves en situation de handicap et à la stabilité des moyens consacrés à certains dispositifs d’intervention, notamment au sein des RASED. D’autres paramètres, comme le nombre d’élèves par classe, peuvent également impacter les capacités d’accueil de ces élèves et l’adhésion des équipes pédagogiques aux dispositifs inclusifs. Cette analyse qualitative n’est aujourd’hui pas réalisable faute de mesure."

"Les procédures d’acquisition et de mise à disposition de matériels pédagogiques adaptés à l’accueil de ces élèves pâtissent de délais souvent longs (...). Les enseignants rencontrés ont souvent exprimé leur sentiment d’être démunis, si bien qu’ils doivent 'bricoler' des supports pédagogiques, financés bien souvent sur leur propre argent (...). Par ailleurs, des besoins d’aménagements bâtimentaires et d’adaptation de l’environnement pédagogique subsistent. Sauf exception, il ne paraît pas exister, en concertation avec les collectivités territoriales qui en sont responsables, de programmations spécifiques des travaux."

Transports. "La loi NOTRe a transféré la compétence du transport scolaire aux régions, à l’exception de celle du transport des élèves en situation de handicap qui est restée aux départements (...). Ceci conduit les départements à compenser les défauts de mise en accessibilité des transports ordinaires par le recours à des prestations de chauffeurs de taxi (...). Un certain nombre de départements ont délégué leurs compétences aux régions en matière mobilité des élèves en situation de handicap.".

Médico-social. "Le rapprochement entre secteurs scolaire et médico-social nécessite une convergence des cultures professionnelles."

Adhésion 1. "L’augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap accueillis à l’école a notablement modifié le cadre de travail de l’ensemble de la communauté éducative (...). Il en résulte une intégration croissante du principe d’inclusion scolaire chez tous les professionnels rencontrés. Toutefois, l’évaluation a permis de mettre à jour de nombreux points de fragilité tels que l’hétérogénéité des pratiques selon les contextes et le besoin insuffisamment couvert de formation et d’accompagnement (...). Certains établissements peuvent se prévaloir d’une culture professionnelle tournée vers l’inclusion (...). Néanmoins, un nombre encore important d’établissements n’intègrent pas spontanément cet enjeu dans leur dynamique pédagogique (...). Il n’existe pas de mesure régulière de la perception de cette politique."

Adhésion 2. "Plus forte est l’adhésion à l’idée de méritocratie scolaire, moindre est l’adhésion aux principes de l’éducation inclusive (...); plus les croyances sont stéréotypées (...), moins les attitudes sont favorables à l’égard de l’éducation inclusive (...); les enseignants du second degré ont des attitudes plus positives que ceux du premier degré au sujet de l’inclusion scolaire (...). Il existe encore des défis à relever pour mieux sensibiliser et former les acteurs à l’inclusion scolaire, et ainsi renforcer l’efficacité et l’efficience de cette politique publique."

RPS. La politique d'inclusion peut générer chez les personnels des risques psycho-sociaux (RPS) "liés à la gestion de la classe (et plus particulièrement à certains comportements liés aux troubles de l’élève), à l’adaptation des contenus et des méthodes pédagogiques pour une grande diversité d’élèves, à la relation entre enseignants et AESH au sein de la classe ou encore à la vie collective au sein des établissements."

Formation. L’offre de formation est encore sous-mobilisée, notamment en ce qui concerne la formation continue des AESH : sur la période 2017-2020, le taux d’exécution des crédits consacrés aux dépenses de formation des AESH oscille entre 11,3% (en 2020) et 58% (en 2018).

AESH. Le métier d’accompagnant d’élèves en situation de handicap "connaît aujourd’hui un déficit d’attractivité (...). Selon le ministère, 86 % des AESH avaient une quotité de travail inférieure ou égale à 70% à la rentrée 2022 et seulement 2% bénéficiaient d’un temps plein." La réalité de leur métier varie selon les établissements, "certains AESH accompagnent uniquement l’élève dans ses gestes physiques quand d’autres jouent un rôle pédagogique, allant jusqu’à retravailler les supports de cours pour les rendre accessibles. Leur intégration au sein de la communauté éducative paraît également variable et globalement insuffisante."

Le rapport note par ailleurs que les AESH n'ont pas "de référent hiérarchique clair (...). Ce flou est illustré par le fait que nombreux sont les AESH rencontrés qui ont déclaré n’avoir jamais été évalués et ignorer la personne en charge ainsi que ne pas savoir à qui envoyer leurs documents administratifs (arrêt de travail par exemple).

MDPH. Le rapport pointe "de très fortes inégalités territoriales" en ce qui concerne "les pourcentages de réalisation des prescriptions des MDPH (...). Parmi les élèves en situation de handicap bénéficiant d’une notification d’aide humaine, 21% étaient en attente d’accompagnement dans l’académie de Créteil au 30 avril 2023, alors que seulement 2 % l’étaient dans les académies de Corse et de Besançon."

Territoires. Les pourcentages d’élèves en situation de handicap (ESH) varent de 2,2% (Hauts-de-Seine) et 5,5% (Gers). La Cour fait l’hypothèse que les décisions d’accompagnement des MDPH sont, pour partie, guidées "vers le secteur médico-social lorsqu’il existe une structure spécialisée dans la prise en charge du trouble" et "vers le milieu scolaire ordinaire en cas de tension sur les places disponibles dans le milieu médico-social".

Efficacité 1. Les données présentées par le ministère "sont d’une portée limitée puisqu’elles ne renseignent pas, par exemple, sur l’adaptation des enseignements. Elles n’offrent aucun élément d’appréciation sur la différenciation pédagogique en fonction des besoins des élèves." Les magistrats évoquent le contraste "entre une image globalement positive de la scolarisation des élèves en situation de handicap et l’existence de difficultés persistantes. À ce titre, les termes de 'souffrance' ou d’école 'à bout de souffle' sont revenus à plusieurs reprises lors des échanges avec la Cour."

Efficacité 2. À la sortie de la maternelle, 17,5% des élèves en situation de handicap ont un an de retard par rapport à leur classe d’âge. Cette proportion augmente jusqu’à 47 % en CM2 : "L’école primaire n’est pas en capacité d’amener des élèves en situation de handicap (ESH) aux mêmes acquis que les autres élèves de leur classe d’âge."

Efficacité 3. "Aucun élément ne permet de comparer les effets d’une scolarisation en classe ordinaire, par rapport à celle en établissements spécialisés relevant du secteur médico-social."

Violence. "Face à certains cas d’élèves en situation de handicap ayant des comportements violents à l’égard d’autres élèves, les responsables d’établissements scolaires s’interrogent légitimement sur les mesures à prendre (...) sans que des conseils et des outils d’aide à la décision ne leur soient toujours proposés."

Divers handicaps. "Les conditions de scolarisation paraissent globalement réunies pour les élèves présentant des handicaps moteurs (...). Des obstacles à une scolarisation optimale existent, en revanche, pour les élèves présentant des handicaps sensoriels (...). Les difficultés les plus sensibles concernent l’accueil des élèves présentant des troubles mentaux et psychiques importants ou des polyhandicaps (...). Face à ces cas, les enseignants et les responsables d’établissements expriment fréquemment un sentiment de désarroi, en particulier face à certains élèves qui présentent des troubles autistiques sévères et dont la présence peut entraîner des situations des mises en danger des enfants concernés et des autres élèves."

Ministère 1. Le ministère de l'Education nationale n'a pas été associé aux "études d’impact liées aux lois successives relatives à l’inclusion scolaire (...), les annonces faites dans le cadre de la dernière conférence nationale du handicap d’avril 2023 ne paraissent pas avoir fait l’objet de prévisions budgétaires en amont. En d’autres termes, la politique de l’école inclusive paraît souvent plus fondée sur l’affirmation de valeurs que sur un souci de maîtrise des financements que requiert leur mise en œuvre."

Ministère 2. Avec le PAS, le ministère ne vise pas à "retirer la compétence de reconnaissance du handicap à la MDPH, mais d’affiner, en amont, le travail d’évaluation (...), le système actuel gagnerait en fluidité et en cohérence si la responsabilité de définir l’aide humaine prescrite par la MDPH était confiée à l’Education nationale."

L'essentiel des recommandations de la Cour

- S’assurer que le projet personnalisé de scolarisation est systématiquement rédigé et transmis à la famille et au chef d’établissement

- S’assurer du déploiement complet du livret parcours inclusif sur tout le territoire et de son caractère opérationnel au plus tard d’ici la rentrée scolaire 2025

- Développer les coopérations entre le milieu scolaire, le secteur médico-social et les acteurs libéraux en développant une «culture commune de travail»

- Renforcer les dispositifs de formation initiale et continue en direction des personnels éducatifs

- Renforcer l’attractivité de la certification des enseignants (CAPPEI) afin d’améliorer la couverture des besoins en matière d’affectation des enseignants spécialisé

- Mettre en place un cadre renforcé de gestion des ressources humaines pour ces personnels (les AESH, ndlr)

- Améliorer les procédures d’acquisition de matériels pédagogiques et de supports d’enseignement adaptés aux élèves en situation de handicap,

- Établir un état des lieux des besoins restant à couvrir en matière d’accessibilité aux bâtiments et espaces scolaires

- Mettre en œuvre un référentiel harmonisé concernant les prescriptions des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH)

- Mettre en place une base de données exhaustive à visée statistique

Le rapport ici

 

 

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