SNU : aucun élément positif pour la Cour des comptes, le MENJ au contraire très satisfait
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le vendredi 13 septembre 2024.
"Plus de quatre ans après le démarrage du dispositif, force est de constater que l’ 'expérimentation' du SNU, menée par les équipes dans l’urgence et sans outils adéquats, n’a pas permis de préparer le changement d’échelle que constituerait une généralisation à l’ensemble d’une classe d’âge", constate la Cour des comptes dans un rapport consacré au Service national universel et publié ce 13 septembre. Elle estime d'ailleurs que "la pérennité du dispositif n’est pas garantie à cause de moyens insuffisants".
Elle rappelle que sa création fait suite à une annonce d'Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017. Il s'agissait d'un "service national obligatoire" permettant aux jeunes de "faire l’expérience de la vie militaire". Le SNU s'est déployé "selon un schéma éloigné de cette ambition initiale". La question de ses ambitions est d'ailleurs posée. Ses objectifs sont nombreux "et s’articulent autour des notions de résilience de la Nation, de cohésion nationale, d’engagement, d’orientation et d’insertion des jeunes" mais ils demeurent "incertains" et "mal compris" par les jeunes.
Son coût est également questionné. "L’estimation, proche de 2 300 € par jeune pour 2021 et 2022, ne prend pas en compte les coûts d’administration du dispositif", ni les coûts supportés par le ministère des armées ou par les forces de sécurité intérieure. "Selon la Cour, la prise en compte des charges correspondantes conduit à un coût par jeune proche de 2 900 € pour l’année 2022", sans compter l'implication des collectivités territoriales et en ne prenant en compte que la phase 1 du SNU, le "séjour de cohésion".
Le coût total en cas de généralisation serait donc en réalité de 2,5 Md€ (3,5 à 5 Md€ en tenant compte des coûts à venir des phases 2 et 3 du dispositif). Pour organiser ces séjours de cohésion hors temps scolaire, il faudrait 4 sessions de deux semaines dans 1 687 centres accueillant chaque fois 126 jeunes. S'ils sont organisés sur le temps scolaire, il faut compter 14 sessions dans 482 centres qu'il faudrait construire, soit "un investissement de plus de 6 Md€ (hors coûts d’acquisition)". S’agissant du pilotage du dispositif, le besoin est estimé à 763 ETP en administration centrale et services académiques. Aujourd'hui la sous-direction en administration centrale est "à peine mieux dotée (16 ETP) que l’ancienne mission de préfiguration", alors qu'elle estime ses besoins à 31 ETP.
Le recrutement des encadrants, entre 10 000 et 13 000 ETP est "un autre enjeu majeur" d'autant qu'il faudra "assurer un encadrement irréprochable et garantissant l’entière sécurité des jeunes participants. Sur les sessions organisées durant le premier semestre 2023, le ministère rapporte 17 situations d’agression, de harcèlement ou de propos délictueux de la part d’encadrants."
La généralisation, donc l'obligation pour des mineurs de participer à ces séjours de cohésion pose aussi des problèmes d'ordre juridique. La Constitution dispose que "la loi fixe les règles concernant (…) les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens". Cette formulation permet-elle au législateur, par une loi ordinaire, de rendre le SNU et en particulier son séjour de cohésion obligatoire, ou bien faudrait-il une révision constitutionnelle ? "La question n’est pas tranchée", mais le Conseil d’État a estimé, en 2019, qu’une telle révision serait nécessaire. En l'état, "la loi ne permet d’imposer des sujétions qu’aux citoyens", ce que ne sont pas les jeunes de 15 à 17 ans, placés sous l’autorité de leurs parents. "Enfin, se posera la question de l’extension de cette obligation aux jeunes étrangers."
En attendant une éventuelle généralisation, "le déploiement du SNU a rencontré de multiples difficultés : identification de lieux d’hébergement susceptibles d’accueillir des mineurs (...), conditions de recrutement et rémunération des encadrants, transport des jeunes vers et depuis les centres, transport des encadrants accompagnateurs des jeunes, gestion des tenues et des matériels, identification des offres de missions d’intérêt général, etc."
Le nombre des jeunes volontaires se situe "considérablement en-deçà des ambitions affichées en 2020, à savoir 100 000 jeunes en 2021 puis 200 000 en 2022, avant généralisation en 2024". Ils étaient 40 135 en 2023, année où le taux de désistement a été "le plus élevé depuis le lancement du dispositif (28 % des inscrits, contre 19 % en 2022 et 22 % en 2021)".
"La communication autour du séjour de cohésion, centrée sur sa dimension militaire et sportive, a contribué à brouiller son image. À titre d’exemple, des jeunes se sont vu proposer un séjour de cohésion par des éducateurs ou des juges qui pensaient qu’il s’agissait d’une sorte de centre de rétention ou de redressement pour mineurs."
S’agissant de la mixité sociale, les milieux d’origine des jeunes participants se caractérisent, depuis 2019, par une sur-représentation de jeunes dont les parents servent ou ont servi dans les corps en uniforme et de catégories socio-professionnelles plus favorisées. Certes, poursuit la Cour, le taux de satisfaction est élevé chez les jeunes ayant participé au séjour de cohésion", mais "ce constat n’est au demeurant pas surprenant dans la mesure où les jeunes concernés étaient volontaires et, pour beaucoup d’entre eux, issus de milieux favorables a priori à ce type d’expérience".
Le constat n'est pas plus positif en ce qui concerne le pilotage étatique. "Le choix a été fait en 2022 d’une double tutelle par les ministères en charge de la jeunesse et des armées", donc de faire du SNU une politique interministérielle, mais ensuite, "le choix de créer une délégation générale rattachée au secrétariat général du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, et de ne pas la positionner à un niveau interministériel fragilise le pilotage politique et administratif du dispositif (...)." S’agissant des collectivités territoriales, "il n’existe pas de stratégie nationale pour encourager leur implication" (et personne ne dispose de données sur cette éventuelle implication).
S'agissant des transports, en 2023, le ministère a choisi "un nouveau prestataire qui a pris en charge les séjours de cohésion (...), les défaillances de transport ont été très nombreuses. La fragilité du nouveau prestataire a été accentuée par les délais très courts dans lesquels l’administration lui a fourni, pour chaque période de séjours, les informations nécessaires à l’élaboration des plans de transport (...). Pour les séjours de l’année 2024, l’administration a pris la décision de revenir à une mobilité intrarégionale, ce qui doit diminuer les coûts de transport." S'agissant des hébergements dans des structures privées, comme les centres de vacances, les services achats des régions académiques "soulignent le faible nombre de réponses aux appels d’offres."
La Cour constate encore que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023-2027 prévoit une montée en charge importante des crédits consacrés au SNU, mais qu'avec 329 M€ en 2027, leur montant n’est "pas compatible avec une généralisation du SNU à l’ensemble d’une classe d’âge d’ici 2027".
Elle constate aussi que n'a pas été donnée au Parlement "l’occasion de débattre du dispositif, ni dans ses principes, ni dans ses modalités", la plupart des dispositions nécessaires à la mise en œuvre des séjours de cohésion ayant été introduites par décret. "Ce choix de mettre en œuvre un dispositif majeur pour la jeunesse sans débat parlementaire a eu des conséquences opérationnelles concrètes pour la bonne organisation des séjours, parmi lesquelles le recours au cadre juridique existant des accueils collectifs de mineurs (ACM) pour les séjours de cohésion." (La Cour ne mentionne pas à cet égard la question du port de signes religieux, ni de la pratique des prières par les jeunes en cas généralisation, ndlr).
Le rapport ici
Le ministère a réagi à cette publication, évoquant "des résultats très satisfaisants" et "une montée en puissance maitrisée". Il rappoelle "la très forte satisfaction des volontaires passés par ce dispositif" et ajoute que la demande des jeunes est "croissante" tandis qu'avec "un taux de participation de 40,7% de lycéens professionnels et de 6,4% de jeunes issus en QPV", le SNU répond "de plus en plus à l’objectif de mixité sociale et territoriale".
Il "renforce, complète et prolonge pleinement le parcours citoyen et les programmes de l'enseignement moral et civique". Toujours selon le ministère, "un écosystème local se noue autour des séjours de cohésion du SNU en mobilisant le tissu associatif et économique local, les collectivités territoriales". Quant à la trajectoire budgétaire "visant à la généralisation", elle a été "déclinée selon différents scénarios" entre lesquels il "reviendra au prochain Gouvernement d’opérer un arbitrage".