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Il faudra réinventer l'espace scolaire, et le métier d'enseignant (Pascal Clerc, ouvrage)

Paru dans Scolaire le mardi 27 août 2024.

La géographie est une science politique, puisque l'espace est "toujours, explicitement ou non, relié à un projet de société", y compris "les spatialités de la forme scolaire" estime Pascal Clerc (U. de Cergy-Pontoise). Le chercheur analyse, dans son ouvrage, par le prisme de la géographie, mais aussi de l'histoire de l'institution scolaire, "les résistances aux changements" qui "sont celles d’une société qui instrumentalise l’école comme moyen de contrôler les individus" et comme "lieu de la reproduction sociale en dépit des discours permanents sur la lutte contre les inégalités".

Il interroge le concept de "sanctuaire" appliqué à l'école, au terme d'une analyse de toutes les frontières qui délimitent les divers espaces scolaires. "L’école telle que nous la connaissons depuis le XIXe siècle est porteuse d’une pensée de la surveillance et de la séparation. Elle est un espace autre (...), un espace en situation de discontinuité avec son environnement qui peut s’ouvrir ou se fermer selon les moments." La ligne de démarcation est bien marquée, comme en témoigne le geste "efficace, discret, incorporé, presque chorégraphié" de ces lycéennes qui, "à la hauteur du portail, ni un peu avant, ni un peu après", "font glisser leur foulard sur leur nuque", signifiant ainsi "à la fois l’acceptation de la règle et la volonté de conserver une forme de maîtrise de leurs pratiques".

A l'intérieur de cet espace, les comportements et les vêtements sont normés, "la vision du nombril des (garçons) est tolérable, celle de celui des (filles) déclenche parfois des cris d’orfraie" et l'auteur fait semblant de s'interroger : "est-ce vraiment en demandant aux élèves d’abandonner à l’entrée des écoles une part d’eux-mêmes que l’on va construire les dispositions permettant de dépasser les singularités ?" L'ouvrage est clairement militant, et s'oppose à "une conception exclusive, potentiellement excluante, de la laïcité".

La délimitation de l'espace scolaire concerne aussi les parents : "Chacun dans son camp donc, les parents d’un côté de la porte, l’équipe éducative de l’autre, et les élèves seront bien gardés (...). Pourquoi ce mouvement de fermeture se diffuse-t-il partout (...) ? Qu’importe si un établissement est tranquille, qu’importe si la sécurisation relève plus d’une démonstration de force que d’une action efficace, qu’importent les éventuels effets sur la pédagogie ou la vie de la communauté scolaire. Qu’importe, c’est le discours de l’évidence. Les peurs sont là, tenaces : il faut fermer."

La position de Pascal Clerc évite-t-elle toujours le systématique ? Comme le fait remarquer Philippe Meirieu dans sa préface, "rien n’est simple. Il faut que l’école reste un espace hors menace où chacun et chacune peut prendre le risque de s’engager dans des aventures intellectuelles nouvelles sans, pour autant, se mettre en danger, ni psychiquement, ni physiquement. Mais il faut aussi que, de l’école, on puisse partir à la découverte du monde, explorer la nature et découvrir les institutions des adultes." On ne peut donc pas opposer "école ouverte" et "école sanctuaire". Encore faut-il être conscient des contradictions du système, souligne l'auteur : "on parle d’autonomie et on surveille, on prône l’ouverture au monde et on enferme, on plaide pour l’hybridation et on sépare (...). La forme scolaire est une séparation doublée d’un enfermement. Il ne suffit pas de mettre à l’écart, de distinguer, de discipliner, il faut aussi enfermer pour éduquer."

Il faut aussi dénoncer les faux-semblants de "l'égalité républicaine". Dans une même ville, deux collèges, "deux mondes urbains aux antipodes et deux écoles qui ressemblent à leurs quartiers. Entre inégalités territoriales, stratégies d’évitement des familles, jeu faussé par l’offre d’enseignement privé et manque d’efficacité de la puissance publique, les différences souvent se cumulent pour arriver à des établissements qui n’appartiennent pas au même monde. L’éducation 'nationale' est une illusion."

Autre limitation mise à l'invention de formes scolaires nouvelles, "la culture du risque zéro (qui) est devenue centrale en France, une véritable obsession renforcée par la crainte de poursuites en cas d’accident". Et pourtant, il faudra bien que l'espace scolaire évolue : "Le numérique s’est imposé dans les lieux d’enseignement, sauvagement, par l’intermédiaire des smartphones et des ordinateurs portables (...). Jusque-là, tout ce qui entrait était sous contrôle", mais avec leurs téléphones, les élèves "sont en relation avec l’extérieur", ils ont "un point de vue sur le changement climatique, le conflit israélo-palestinien, l’intérêt de la vaccination contre la Covid-19 ou les migrations de la misère et de la peur vers l’Europe. Un point de vue bricolé, fondé sur des informations erronées peut-être (...), mais un point de vue quand même (...). Il faut faire de l’épistémologie quand on enseigne (...). Comment sait-on ce que l’on sait ? Comment une donnée est-elle construite (...) ? Les enseignants d’aujourd’hui doivent se réinventer une identité professionnelle et peut-être réinventer leur métier. Ce n’est pas simple mais il n’est pas sûr que ce soit une mauvaise nouvelle."

"Émanciper ou contrôler ? Les élèves et l’école au XXIe siècle", Pascal Clerc, préface de Philippe Meirieu, éditions Autrement, 224 pages, 20 €

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